13 avril 2016
"Nous avons ausculté une ville de banlieue, Sarcelles (Val-d’Oise), située à 17 km au nord de Paris, dont une mosquée « radicalisée » vient d’être fermée. Edifiant.
La poignée de commerces aux rideaux tirés le long de la rue d’Estienne-d’Orves a attiré bien des soupçons et des peurs à Sarcelles (Val-d’Oise). Une mosquée était abritée dans ces locaux, elle a été fermée en janvier par arrêté municipal.
Le motif : non-respect des règles d’urbanisme pour l’accueil du public. Mais le maire socialiste François Pupponi ne craignait pas seulement pour la sécurité des fidèles en prenant cet arrêté. Il estime qu’il pouvait s’agir d’un des principaux « points de radicalisation » de sa ville. Sur son site Internet, ce lieu de culte, baptisé centre Dar At-Tawhid, ne fait pas mystère de son attachement au mouvement salafiste, mais rejette son courant « révolutionnaire » qui mène au djihad.
« Nous sommes les seuls à combattre le terrorisme sur le terrain idéologique et religieux », clament les responsables de la mosquée sur les réseaux sociaux. Mais leurs condamnations d’Al-Qaïda ou de Daech ne suffisent pas à rassurer le voisinage. « Tout le monde a peur ici », confient des riverains qui décrivent, gestes à l’appui, des « hommes tous barbus avec des robes jusque-là » et des femmes « dont on ne voit que les yeux ». Ils assurent surtout que le lieu est toujours fréquenté malgré l’interdiction, mais seulement la nuit.
Rue de l’Escouvrier, zone industrielle. Les semi-remorques défilent toute la journée sur cette route bordée d’entrepôts. Le maire pointe là deux lieux d’enseignement islamiques qui ont ouvert ces dernières années. L’institut Sounnah propose des cours de Coran et revendique son attachement au salafisme et ses liens avec la mosquée du quartier Chantepie. Mais il s’offusque des accusations du maire : « L’institut Sounnah a toujours combattu, de la façon la plus claire et la plus ferme, les idéologies extrémistes, intolérantes, racistes et violentes », s’est-il justifié dans un communiqué. « Pour moi, ce ne sont pas des gens qui posent problème, estime un salarié d’une entreprise voisine. Ce sont des gens qui font partie de la solution. » Un employé du quartier, qui a reconnu les lieux dans « Envoyé spécial », est en revanche sous le choc. « On n’est pas dans le discours religieux, c’est plus dangereux, c’est du lavage de cerveau », estime-t-il. Quant à la tolérance affichée par l’institut, « est-ce que c’est la preuve qu’il ne se passe rien ? » interroge-t-il.
« La ville fait partie d’une dizaine de communes où le phénomène de radicalisation est bien prégnant, constate Jean-Simon Mérandat, directeur de cabinet du préfet du Val-d’Oise. » Il reconnaît que les salafistes « sont assez bien représentés », mais assure ne pas avoir « eu connaissance de prêches prônant ouvertement un discours djihadiste ».
Eric Lepetit, qui tient une épicerie, préfère mettre en avant la bonne entente entre les communautés. « Ici, il y a beaucoup de gens qui fuient l’islam radical. Ils viennent de Syrie ou d’Irak, et ils se sentent bien. » Car Sarcelles, 60 000 habitants, est une ville où vivent 90 communautés... Qui malheureusement ne cohabitent pas toujours très bien. Le 20 juillet 2014, une manifestation propalestinienne, interdite par le préfet, avait viré à l’émeute. Des commerces juifs avaient notamment été pris pour cible. Aujourd’hui, le rabbin de Sarcelles, Laurent Berros, relève un certain repli : « Il y a des endroits où il est plus difficile qu’avant d’établir le dialogue interreligieux ».
Des voix s’élèvent toutefois, comme celle de Nabil Koskossi, opposant à François Pupponi et responsable de l’association Made in Sarcelles, qui dénonce l’activisme du maire. « Il alimente les peurs. Ses accusations sont trop vagues. Je connais trois personnes qui ont été assignées à résidence. A chaque fois, la mesure a été levée car ils n’avaient rien à se reprocher. Sarcelles n’est pas Molenbeek. »"
Lire "A Sarcelles, la radicalisation gagne du terrain".
"C’est à l’Etat d’intervenir, la mairie ne peut rien faire"
François Pupponi, maire PS de Sarcelles
« Des responsables de la communauté musulmane viennent me voir parce qu’ils sont inquiets. Il y a une amplification du nombre d’associations proches de l’islam radical », estime François Pupponi, maire PS de Sarcelles.
Associations, écoles aussi. « Régulièrement, il y a des gens qui nous signalent des endroits dans la zone industrielle où on accueille des enfants. La difficulté, c’est que ce sont des lieux qui ouvrent sans autorisation. On a des raisons de penser qu’il s’y passe des choses irrégulières. Cela nécessite que l’Etat intervienne et aille voir. Nous, à la mairie, on ne peut rien faire. »
Mais le maire n’entend pas rester les bras croisés. La ville veut ouvrir, d’ici septembre, l’une des premières structures municipales en France consacrée à la prévention de la radicalisation. Un appel à projets a été lancé. Le lieu pourrait réunir pédopsychiatres, éducateurs, animateurs, sociologues, spécialistes des religions, etc. « On a recensé une dizaine de jeunes tentés par la radicalisation. Ce sont leurs proches qui nous signalent des cas de ce genre. Il faut des gens qui soient capables de diagnostiquer et analyser les signes de radicalisation et de les prendre en charge. » Le budget de la structure avoisinerait les 400 000 € à 500 000 €. L’Etat devrait contribuer au financement avec le fonds interministériel de prévention de la délinquance. Et la ville espère décrocher d’autres partenaires."
Lire "Radicalisation : le maire de Sarcelles demande « à l’Etat d’intervenir »".
Voir aussi François Pupponi (PS) (vidéo) : Ne renvoyons pas les enfants chez les intégristes (Colloque du CLR, 14 mars 15), G. Chevrier : "La vie quotidienne dans les Molenbeek français" (lefigaro.fr/vox , 29 mars 16), P. Kanner : Une centaine de quartiers en France ont des similitudes avec Molenbeek (Europe 1, 27 mars 16) (note du CLR).
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