Revue de presse

"A quel prénom se vouer ?" (V. Theis, Le Monde, 1er déc. 18)

Valérie Theis, professeure d’histoire médiévale à l’ENS. 6 décembre 2018

[Les articles de la revue de presse sont sélectionnés à titre informatif et ne reflètent pas nécessairement la position du Comité Laïcité République.]

"Il paraît que les grands esprits se rencontrent. Ils ne sont visiblement pas les seuls, puisque Marine Le Pen vient de relancer la polémique sur les prénoms, lancée par Eric Zemmour, en rejoignant Julien Aubert, député LR du Vaucluse, autour de l’idée d’ajouter un prénom « français » à ceux des personnes naturalisées. Cette possibilité existe déjà grâce à des ­formulaires de demande de « francisation ».

Au-delà de ces polémiques, l’inconscient administratif estime donc également qu’il existe des prénoms français et d’autres qui ne le sont pas. Glosant ses attaques contre Hapsatou Sy, Eric Zemmour en a donné sa définition : il s’agit d’un prénom issu du calendrier des saints chrétiens (« Votre prénom est une insulte à la France », avait déclaré Eric Zemmour à l’encontre de la chroniqueuse sur le plateau de « Salut les Terriens ! », sur C8, le 16 septembre 2018). Le 31 mai 2016, sur RTL, il fustigeait déjà dans un même mouvement les parents qui appelaient leurs enfants ­Mohamed ou Sue-Ellen, considérant que ces prénoms, étrangers à l’histoire de France, représentaient le choix d’une « autoségrégation ».

Les prénoms germaniques seraient en revanche à ses yeux de bons prénoms français, car ils furent portés par des populations en qui il voit l’origine de la France. Eric Zemmour pouvait en effet difficilement les exclure, car ils étaient largement majoritaires au haut Moyen Age, à une époque où les régions qui allaient former plus tard la France étaient déjà chrétiennes, mais où la pratique ­consistant à donner un nom de saint à ses enfants était ultraminoritaire. La plupart des noms étaient alors ­construits à partir d’éléments issus de ceux des parents. Pour les femmes, on choisissait aussi souvent des noms renvoyant à des qualités : Douce, Bonne, etc., pratique qui se poursuivit bien au-delà des XIe et XIIe siècles, quand on commença progressivement à utiliser les noms des saints du calendrier.

Faut-il alors rappeler que ces noms étaient d’abord ceux des personnages de la Bible, puis des martyrs morts en témoignant de leur foi, lorsque le christianisme n’était pas encore autorisé dans l’Empire romain ? La plupart des premiers saints sont ainsi morts à des milliers de kilomètres de la France, à une époque où elle n’existait pas.

Mais la religion chrétienne, qui visait à l’universalité, ne s’en préoccupait pas, et les calendriers chrétiens agrégèrent sans difficulté des noms venus de toutes les régions touchées par le christianisme, en Occident comme en Orient, et donc d’abord des noms hébreux, latins et grecs. L’idée d’« un » calendrier chrétien aurait d’ailleurs fait sourire un clerc médiéval, car ces derniers étaient confrontés à un très grand nombre de martyrologes, ces listes des martyrs et des saints que l’on fêtait au jour anniversaire de leur mort, qui ne concordaient ni pour les noms qu’ils contenaient ni pour les dates ­anniversaires. Ces listes étaient en perpétuelle ­transformation, notamment par ajout de nouveaux saints, dont beaucoup n’avaient pas plus à voir avec la France que leurs prédécesseurs. [...]"

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