Anne-Marie Le Pourhiet, professeur à lʼuniversité de Rennes-I, vice-présidente de lʼAssociation française de droit constitutionnel. 17 octobre 2017
"Madame Marlène Schiappa a fait une rentrée fracassante en nous annonçant à grand renfort médiatique que la loi française dite « bioéthique » devrait reconnaître en 2018 un droit à lʼimmaculée conception aux femmes célibataires et lesbiennes en mal dʼenfant que la relation physique avec le sexe opposé indispose. Le calendrier annoncé a ensuite été tempéré par le gouvernement. Mais la secrétaire dʼÉtat a aussi assuré que lʼexécutif allait sʼattaquer aux « violences obstétricales » et même faire réprimer pénalement, en plus des harcèlements moral et sexuel déjà incriminés, le « harcèlement de rue ».
Parallèlement lʼon nous impose aussi une campagne contre les « violences verbales des parents », menée par les habituels croisés de « lʼégalité entre parents et enfants » et de la « lutte contre la violence éducative ordinaire » dont lʼamendement « anti-fessée » a récemment été censuré par le Conseil constitutionnel. Mais la trépidante ministre veut aussi sʼattaquer aux budgets publics « genrés » trop favorables aux activités masculines, ainsi quʼà une campagne environnementale associant prétendument les femmes à des déchets !
Lʼintitulé du « secrétariat dʼÉtat chargé de lʼégalité entre les femmes et les hommes », dont le décret dʼattribution indique quʼil sʼoccupe non seulement de parité et dʼégalité entre femmes et hommes, mais aussi de « lutte contre la haine envers les personnes lesbiennes, gays, bi et trans », devrait faire bondir tout libéral qui aurait lu George Orwell et se souviendrait de sa description de la « police de la pensée » et de la novlangue imposées par Big Brother. Ce type de structure ministérielle rappelle en effet les ministères de la Vérité et de lʼAmour de 1984. Proférer de copieux mensonges en guise de vérité officielle ; déverser le sectarisme au nom de la tolérance ; manier censure et répression au nom de la liberté ; déguiser le passe-droit en égalité ; maquiller la tyrannie égoïste en « justice sociale » et lʼexploitation de lʼautre en émancipation de soi : telles sont généralement les spécialités de ce genre dʼofficines. Le curieux attelage ainsi institutionnalisé du néo-féminisme et du militantisme LGBT ne sʼexplique que par le commun mépris du mâle hétérosexuel par les militant(e)s des deux causes.
Ladite structure a de surcroît été confiée par le chef de lʼexécutif à une blogueuse « issue de la société civile » dont lʼincohérence est particulièrement sévère et dont la « feuille de route » semble consister à proférer une énormité par jour. On ne sʼétonnera donc pas que le ministre soit absolument incapable de définir ce quʼest le « harcèlement de rue », ni dʼexpliquer en quoi il diffère du harcèlement sexuel déjà réprimé par le Code pénal, ni dʼétablir comment la police française débordée pourrait constater et réunir les preuves de lʼinfraction proposée. Le Conseil constitutionnel avait dû censurer, en 2012, la première définition absurde et tautologique du harcèlement sexuel. Lʼon attend donc avec impatience le nouveau gloubi-boulga juridique censé nous délivrer du mâle.
La secrétaire dʼÉtat sʼabstient aussi évidemment de nous préciser quels sont les « rues » et les quartiers essentiellement concernés par le fléau visé et quel est le type de population masculine coupable des grossièretés et incivilités dénoncées. Le multiculturalisme se doit dʼinnocenter toutes les minorités, y compris lorsque cʼest lʼune dʼelles qui sʼen prend à lʼautre, comme la nuit de la Saint-Sylvestre à Cologne. Les ministères de la Vérité et de lʼAmour ne nous diront donc pas pour quelle catégorie dʼindividus exactement les femmes qui montrent leurs bras et leurs cheveux sont des « putes ». Ils ne se demanderont pas non plus si la pire violence faite à un enfant ne consiste pas à le priver délibérément de père et à mutiler ainsi sa lignée et son identité, ni si lʼinsémination artificielle et autres « droits reproductifs » ne comportent pas une part de « violence obstétricale » et surtout psychique. Les « heures les plus sombres de notre histoire » ne sont jamais opposées à une minorité quelconque, qui sera toujours considérée comme exclusivement opprimée, dominée, stigmatisée, discriminée, outragée et donc excusée et disculpée.
Sous la IIIe République, les républicains radicaux-socialistes sʼopposaient au droit de vote des femmes, quʼils taxaient de bigoterie, accusaient dʼêtre gouvernées par lʼémotion plus que par la raison et soupçonnaient de vouloir confondre lʼisoloir et le confessionnal.
Le bilan du néo-féminisme politique ne leur donne pas entièrement tort. Mais ce déferlement contemporain dʼémotion, de compassion et de dolorisme niais et poisseux, doublé « en même temps » dʼinquisition morale, dʼhygiénisme et dʼacharnement répressif, semble cependant davantage emprunté au néo-protestantisme anglo-saxon et scandinave quʼà lʼhéritage catholique latin. Régis Debray observe ainsi que lʼEurope aurait glissé « de Florence à Stockholm ». Effectivement, que peut-on imaginer de plus terrifiant que Savonarole, sinon une assistante sociale suédoise ou une sociologue américaine ? Et voilà pourquoi nos lois sont mauvaises."
Lire « La rentrée politique de Marlène Schiappa, alias « Big mother », s’annonce très chargée ».
Voir aussi R. Debray : Macron, compromis entre l’intransigeance et la compromission (Le Monde, 30 août 17), la rubrique Marlène Schiappa (note du CLR).
Comité Laïcité République
Maison des associations, 54 rue Pigalle, 75009 Paris
Voir les mentions légales