1er septembre 2017
Régis Debray, Le Nouveau Pouvoir, Ed. du Cerf, 94 pages, 8 euros.
"Pour le philosophe, l’élection du président incarne la victoire des valeurs du « néoprotestantisme mondialisé ».
[...] Nous étions, en France, catho-laïques [1]. Pouvons-nous demain devenir néo-protestants, et troquer sans regret la virtù contre la vertu ? That is the question. Les pays issus de la Réforme ont un avantage sur leurs voisins, plus arriérés : ils ne mettent pas de volets aux fenêtres. La vertu cultive les maisons de verre, le vice, les maisons closes (les prostituées à Amsterdam sont en vitrine). Un citoyen digne de ce nom, dans ces contrées nordiques, ne traverse pas au rouge une rue déserte à trois heures du matin. Dans la demeure mal chauffée du pasteur, les descendants dʼAdam et dʼÈve ne trichent pas avec le fisc. On fait du piano et on lit la Bible le soir, à voix haute, en famille. Cette absence de rideau vient de loin. Du tout début de lʼère chrétienne.
(…)
Un bon protestant, lui, nʼa rien à cacher, et comme lʼa rappelé naguère Eric Schmidt, PDG de Google, “seules les personnes qui ont des choses à se reprocher se soucient de leurs données personnelles”.
On le voit : tyrannie tour à tour souriante et crispée, notre “bas les masques” nʼest pas dû quʼaux récents appareils de capture et contrôle, non plus quʼaux énergies infiniment renouvelables des sentiments vils, comme lʼenvie, la jalousie ou “la peine causée par la prospérité dʼautrui”. La question touche au plus profond : un pays de souche catholique, avec cent prêtres ordonnés par an et seulement cinq mille en activité, soit dix fois moins quʼil y a cent ans, peut-il non seulement effacer la triste révocation de lʼédit de Nantes par Louis XIV mais encore emboîter le pas à des parpaillots refaits à neuf ?
Que cela plaise ou non, la réponse est oui. A condition, bien sûr, de ne pas lui demander dʼaller au temple ni de placer une Bible sur la table de chevet dans chaque chambre dʼhôtel ni de sʼabonner à lʼexcellent hebdomadaire Réforme. Nous parlons culture, non culte. Une culture, cʼest ce qui reste dʼun culte qui sʼéteint, ou déteint. Et lʼauréole dʼun néo-protestantisme made in USA grandit dʼannée en année dans nos moeurs et banlieues. Et qui sait si ce nʼest pas pour notre bien à tous ? Pourquoi lʼHexagone ne bénéficierait-il pas à son tour dʼune vague théopopuliste qui couvre de lʼAmérique latine à lʼAfrique subsaharienne, de lʼAsie centrale à lʼExtrême-Orient ? Et si cette modernisation de la foi allait, du Havre jusquʼà Marseille, régénérer nos coeurs déjà bien abîmés ?
Se rattachant lui-même à lʼesprit du milieu, Ricoeur était propre à stimuler une convergence délibérative entre centre-gauche (CFDT et rocardiens), et centre-droit (démocrates chrétiens). La quête du moindre mal fait rêver dʼ« une action qui ne soit pas verticale (prise dans une relation de pouvoir) mais qui échappe dans le même temps aux allers-retours du débat » (Emmanuel Macron).
Cʼest un art du compromis, austère et précaire, entre lʼintransigeance (belliqueuse et stérile) et la compromission (apaisante mais pusillanime). En clair : le marché, oui mais pas trop sauvage. Le chef dʼentreprise, oui, le patron-voyou, non. [...]"
[1] Lire aussi Catho-laïcité : le retour (P. Kessel, 28 nov. 16) (note du CLR).
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