Revue de presse

Voile en écoles de santé : le Conseil d’Etat cède au communautarisme (G. Chevrier, atlantico.fr , 7 août 17)

Guylain Chevrier, enseignant et formateur, ancien membre de la mission laïcité du Haut Conseil à l’Intégration, auteur de "Laïcité, émancipation et travail social" (L’Harmattan). 8 août 2017

"Le Conseil d’Etat a cédé devant le Collectif contre l’islamophobie en France sur les élèves en écoles des personnels de santé. Au regard de l’exigence de neutralité dans la formation des futurs professionnels de soin, le CE n’a en réalité pas tranché le débat. Il est demandé au Ministère des affaires sociales d’abroger dans son arrêté du 21 avril 2007, la partie protégeant le principe de neutralité des élèves. Une nouvelle avancée de l’islam communautariste est à craindre."

"Le Conseil d’Etat s’est prononcé le 28 juillet dernier sur un cas de port de voile d’une élève dans le cadre d’un établissement de formation paramédical [1], l’Institut de formation de soins infirmiers de l’Hôpital Saint-Antoine, survenu en 2014. Ce dernier avait sanctionné l’élève voilée par un avertissement, les signes religieux étant jusque-là interdits par le règlement intérieur, au nom de la neutralité des personnels de santé auxquels étaient assimilés les élèves infirmiers, par référence à l’arrêté du 21 avril 2007 du ministère des affaires sociales [2]. Le Tribunal administratif avait donné raison à l’élève voilée contre l’arrêté, condamnant l’Institut de formation, avançant l’argument de statut « d’usager des services public » de celle-ci, autrement dit d’étudiante. La Cour d’appel de Paris avait confirmé cette décision [3], impliquant la remise en cause de cet arrêté. Le ministère n’en avait pas tenu, cet arrêté étant toujours d’actualité. A la suite, le Conseil d’Etat avait été saisi par le Collectif contre l’islamophobie en France et la Ligue des Droits de l’Homme. La décision du Conseil d’Etat a conforté la décision déjà rendue en faveur de l’élève voilée. Le ministère de référence a été mis en cause pour « abus de pouvoir » dans le cadre de cette décision de justice, et intimé d’abroger ou modifier cet arrêté, sur lequel il était resté silencieux. Un arrêté restant fragile, car n’ayant pas le pouvoir normatif de la loi.

Le Conseil d’Etat oppose ainsi au ministère, qui s’appuyait sur les principes de santé publique concernant les personnels de santé pour imposer la neutralité dans la formation, une série de références constitutionnelles et réglementaires pour justifier, « que les instituts de formation paramédicaux étant des établissements d’enseignement supérieur, leurs élèves ont, lorsqu’ils suivent des enseignements théoriques et pratiques en leur sein, la qualité d’usagers du service public ; qu’il résulte des dispositions citées précédemment qu’ils sont, en cette qualité, sauf lorsqu’ils suivent un enseignement dispensé dans un lycée public, libres de faire état de leurs croyances religieuses, y compris par le port de vêtement ou de signes manifestant leur appartenance à une religion, sous réserve de ne pas perturber le déroulement des activités d’enseignement et le fonctionnement normal du service public notamment par un comportement revêtant un caractère prosélyte ou provocateur ».

Un coup de tonnerre contre la neutralité dans la formation des personnels de santé

Une décision qui est un véritable coup de tonnerre pour tout le secteur de la formation paramédical, qui doit s’apprêter à subir des attaques partout vis-à-vis de l’interdiction de signes religieux intégrée à leur règlement intérieur de longue date. Chose qui, curieusement, ne parait pas donner lieu aux yeux des juges à un trouble à l’ordre public, recherché par cette jeune fille voilée, en créant cette voie d’eau dans notre République. On notera au passage, comme cela le fut en appel, qu’avait aussi été reproché à cette jeune fille de s’être fait remarquer en ayant « également manifesté de manière ostentatoire sa religion, lors d’une intervention effectuée en mai 2014 auprès d’élèves d’un collège, dans le cadre d’une « action d’éducation pour la santé », s’il fallait encore s’assurer de la volonté de provocation de celle-ci.

Cela ne va pas manquer de créer, par cette véritable invitation faite à se présenter à des cours en portant le voile pour toutes celles qui le souhaitent, un mouvement de « groupe de pression ». Ce que recherchent ceux qui mènent ce combat qui relève des intérêts spécifiques d’un groupe religieux déterminé à imposer en France le communautarisme, dont le CCIF est l’un des principaux pourvoyeurs. On regrettera que la Ligue des droits de l’homme se soit associée à cette saisine du Conseil d’Etat, en se trompant pour le moins totalement de combat.

Cette décision va peser sur le vivre-ensemble et nos institutions, dans ce contexte de montée permanente, comme tous les observateurs en font état, de revendications religieuses à caractère communautaire remettant en cause la règle commune. Une décision qui rappelle la question de l’accompagnement des sorties scolaires par des mères voilées, et la remise en cause de la circulaire Chatel qui les interdisait, sur fond d’avis du Conseil d’Etat ne les considérant pas comme remplissant une fonction d’agent public. Des mères jouant pourtant clairement un rôle d’encadrant et donc de représentant de l’école publique laïque, auxquelles devrait s’appliquer les mêmes règles de neutralité qu’à tous les intervenants scolaires, pour aussi prévenir le risque de groupes de pression religieux.

Un voile de plus en plus ostentatoire à la mesure des revendications qu’il porte

L’Institut de formation en cause évoque dans sa défense un voile « ostentatoire », car cette tenue contrevenait bien au règlement intérieur dans un esprit de provocation de cette élève infirmière, comme l’épisode du collège en témoigne. Il avait déjà été considéré pourtant par la Cour d’appel de Paris que, « le foulard par lequel Mme A entendait exprimer ses convictions religieuses ne saurait être regardé comme un signe présentant, par sa nature, un caractère ostentatoire ou revendicatif et dont le port constituerait, par lui-même, un acte de pression ou de prosélytisme ». Mais peut-on lorsque l’on rend la justice, dé-contextualiser à ce point les enjeux qui se jouent là, dans un contexte d’offensive avérée de la part de ceux qui ont choisi de combattre la République pour lui imposer des règles religieuses ? Le port du voile tel qu’il est utilisé ici, comme pour enfoncer des cadres de droits régulateurs qui préservaient jusqu’alors l’esprit de corps d’une profession, à l’image de notre société, ne devient-il pas, jour après jour, de plus en plus ostentatoire ?

Croit-on vraiment que ce refus de retirer son voile en toutes circonstances par celles qui entendent l’imposer dans ces formations, comme partout, ne ressort que du souci du respect de la liberté de conscience ? Voir les choses ainsi ne peut être que d’une crédulité coupable ! N’y na-t-il pas le risque qu’il s’agisse d’imposer de l’intérieur du système hospitalier la même conception religieuse que celle qui conduit au refus de femmes d’être soignées par des hommes, du rejet du droit à l’avortement et à la contraception, qui viennent demander à des médecins des certificats de virginité pour organiser des mariages « arrangés » c’est-à-dire, forcés, qui rejettent l’idée du libre choix des individus de leur orientation sexuelle ? Il y a une convergence de faits qui tend sérieusement à le penser. Le voile n’est-il pas, d’ailleurs, si on se réfère au Coran accordant à l’homme une capacité juridique supérieure à celle de la femme (Sourates II et IV), porteur d’une potentielle discrimination qui pose ici problème, à reconnaitre aussi facilement comme légitime son port dans les institutions d’enseignement ? Dans nos textes constitutionnels, ne trouve-t-on pas pourtant : « La loi garantit à la femme, dans tous les domaines, des droits égaux à ceux de l’homme. » (Préambule de la Constitution de la IVe République repris par la Ve. Une référence qui fait défaut à tous les jugements en la matière qui pourtant n’est pas là encore, sans créer un sentiment de malaise qui concoure, insidieusement, à un trouble à l’ordre public, parce qu’il est tout simplement contraire à la loi et à l’évolution moderne des mœurs et plus généralement, à l’idée même de liberté.

Un enseignement laïque de moins en moins bien protégé par la loi contre l’emprise religieuse

On conviendra que de convoquer, dans cette décision, le Code de l’éducation pour citer que « Le service public de l’enseignement supérieur est laïque et indépendant de toute emprise politique, économique, religieuse ou idéologique ; (…) il tend à l’objectivité du savoir », pour justifier la banalisation du port du voile islamique, dans un contexte de montée de la volonté d’emprise sur la société et les enseignements, du religieux, pourrait être cocasse si cela n’était si grave. On devrait commencer à réfléchir à deux fois avant d’avancer à présent de tels arguments, car si l’enseignement est laïque, c’est qu’il entend être protégé contre ce qui est en train de se faire jour dans les lieux d’enseignement, du côté de certains militants religieux qui entendent faire monter la pression sur notre société. On les voit à l’œuvre, comme à l’Université Paris 8 ou dans d’autres établissements, qui organisent des réunions « non–blanches », parce que les blancs ne seraient pas les victimes mais les responsables de discriminations massives qui soi-disant existeraient dans notre pays, dont fait partie aux yeux de ceux-là l’interdiction des signes religieux ostensibles dans l’école publique (sic !). Il n’est pas une moindre contradiction de constater que les libertés et droits individuels dont on se réclame ici pour juger en faveur de la plaignante, ne tiennent que parce qu’ils constituent un bien commun protégé par la loi, par la laïcité de l’Etat. Laisser aux religions trop de pouvoir pourrait en venir à disputer justement cette laïcité de l’Etat, protectrice. Il faut là, bien voir, où on franchit le Rubicon.

Donner raison à cette plaignante, qu’on le veuille ou non, constitue un pas de plus dans le sens de cette influence que travaillent à développer des militants islamiques. Ceux qui entendent voir leurs règles religieuses s’imposer partout, gagne un peu plus les moyens d’une pression favorable à l’assignation de toute une partie de nos concitoyens de confession musulmane, de plus en plus livrés à cette logique. Et ce, au fil des reculs successifs de l’intérêt général face à une « liberté religieuse » à l’anglo-saxonne, qui privilégie le droit à la différence sur le droit commun, la loi commune. Aller dans ce sens, n’est donc pas protéger les musulmans vis-à-vis du libre choix de vivre leur religion, mais contribuer au danger de plus en plus patent qu’ils ne puissent échapper, y compris dans ces formations, à l’influence d’autres musulmans militants du communautarisme, qui pèse sur leur liberté.

Un combat contre la neutralité religieuse des personnels de santé et l’intérêt général

Cette attaque est celle contre une neutralité religieuse des personnels de santé qui est une tradition acquise comme partie intégrante d’une posture professionnelle, qui est un socle de la formation de ceux-ci. Et comme l’exprimait l’AP-HP devant la Cour d’appel « - les élèves infirmiers, même en période de formation théorique, côtoient nécessairement les patients et le personnel de l’AP-HP et des élèves du secondaire soumis au principe d’interdiction de port de signes religieux ostentatoires, une différence de traitement entre les étudiants, les élèves du secondaire et les agents publics serait donc susceptible de nuire au bon fonctionnement du service ; ainsi, l’interdiction du port de signes religieux ostensibles par les élèves infirmiers à l’intérieur des hôpitaux publics est justifiée par des considérations d’intérêt général liées à la nécessité d’assurer le bon fonctionnement de ces établissements et d’éviter la coexistence, dans un même établissement et aux mêmes moments, d’agents publics et d’élèves infirmiers soumis à des règles différentes ; » Ce qui n’a pas été retenu, malgré la pertinence des arguments bien inscrits eux, dans la réalité.

Les étudiants sont censés être formés à respecter ce sens de leur mission, d’intérêt général et d’utilité sociale, dont l’égalité de traitement des patients est consubstantielle de la neutralité religieuse et philosophique envers eux. Cette neutralité est aussi une dimension éthique de leur métier, relative à la position d’ascendant que les personnels ont sur des patients et donc, sur des personnes fragilisées par un problème de soin, qui implique une nécessaire retenue, une réserve. Ce qui est là totalement évacuée, au nom d’une liberté de religion confondue avec des manifestations religieuses auxquelles on ne sait pas donner de limites. Ce qui était jusqu’il y a peu, tout simplement inconcevable.

Voilà ce qui a d’abord été omis pour prendre cette décision, en se référant à des normes constitutionnelles comme l’article 10 de la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen du 26 août 1789 : “ Nul ne doit être inquiété pour ses opinions, même religieuses, pourvu que leur manifestation ne trouble pas l’ordre public établi par la loi “, ou encore, aux premiers articles de la Constitution : “ La France est une République indivisible, laïque, démocratique et sociale. Elle assure l’égalité devant la loi de tous les citoyens sans distinction d’origine, de race ou de religion. Elle respecte toutes les croyances “ Des références qui sont essentialisées, retirées de la réalité ! On applique de façon restrictive le cadre de droit, en prétendant défendre la laïcité, en n’en retenant que le seul versant individuel de la liberté de conscience et l’égalité de traitement, pour faire falloir le droit d’exprimer sa croyance. On justifie ainsi de laisser libre cours au port du voile chez des étudiants en formation dans ce secteur, alors que cette démarche contribue à porter atteinte précisément à cette laïcité républicaine. On aurait pu ici juger les choses de façon tout à fait inverse si on avait choisi une lecture de la laïcité comme principe d’organisation de l’Etat, dont découlent des missions de service public, que sont les missions de santé, impliquant une stricte cohérence entre formation et action professionnelle relativement au principe de neutralité, comme les motifs à l’origine de l’arrêt de 2007 le font. L’intérêt général qui se dégage de l’Etat laïque, portant au-dessus des différences les missions de santé publique, sous le signe de l’égalité de traitement des patients indépendamment de l’origine, la couleur ou la religion, est ainsi remisé à l’oubli. On se demande comment il est possible qu’un élève infirmier puisse être autorisé à manifester de façon permanente une opinion personnelle qui est étrangère au contenu et au sens de la formation qu’il reçoit, par le port d’un signe religieux ostensible. Un élève qui porterait un tee-shirt « vive le libéralisme » ou « vive le communisme » ne serait pas moins problématique, et ne tiendrait d’ailleurs pas longtemps dans ce contexte face à la réprobation des autres.

L’urgence de renforcer notre République laïque par la loi, face à la montée du communautarisme religieux

Politiquement, tout cela n’est pas sans conséquence. Le trouble évident à l’ordre public ainsi créé qui grandit avec l’évolution qu’indique cette décision, provoque des réactions de rejet de plus en plus importantes, qui favorisent un FN qui n’a pas fini malheureusement d’en tirer profit. Il y a, il faut en convenir concernant les manifestations religieuses, en ces temps de libéralisme portant de plus en plus l’individu au-dessus de tout, et spécialement de l’intérêt général, une sorte de régime d’exception qui annonce la légitimation du multiculturalisme.

On doit avoir en mémoire que l’histoire des hospitalières a été celle d’un combat de longue haleine pour que les religieuses cèdent leur place à un personnel laïque, pour faire reculer l’influence d’une Eglise catholique toute-puissante. Une influence sur les patients qui était contraire à leur liberté de conscience, à l’impartialité de l’action de soin. Nous verrons quelle sera la réaction d’Agnès Buzyn, la Ministre des affaires sociales à cette décision, qui est censée avoir pour conséquence l’abrogation de la partie de l’Arrêté du 21 avril 2007 en cause.

Il en va des mêmes enjeux aujourd’hui qu’hier, au regard des dangers d’un retour de l’influence religieuse dans ce domaine. Mais les élites ont la mémoire courte. Il est urgent que les parlementaires fassent leur travail. Il s’agit d’empêcher une offensive islamique qui touche tous les domaines où le religieux avait été amené, par le passé dans l’histoire de notre pays, à laisser la place à l’esprit de l’intérêt général, parallèlement à l’affirmation d’une République laïque. Il est grand temps à nouveau de la défendre et de la promouvoir !"

Lire "Port du voile en école des personnels de santé : le Conseil d’Etat cède une nouvelle fois devant le CCIF".

[2Extrait de l’Arrêté du 21 avril 2007 relatif aux conditions de fonctionnement des instituts de formation paramédicaux, à l’annexe concernant le règlement intérieur de ces établissements : « Les signes et les tenues qui manifestent ostensiblement l’appartenance à une religion sont interdits dans tous les lieux affectés à l’institut de formation ainsi qu’au cours de toutes les activités placées sous la responsabilité de l’institut de formation ou des enseignants, y compris celles qui se déroulent en dehors de l’enceinte dudit établissement. »
https://www.legifrance.gouv.fr/affichTexte.do?cidTexte=JORFTEXT000000277377

[3France, Cour administrative d’appel de Paris, 6ème chambre, 06 décembre 2016, 15PA03527
http://www.juricaf.org/arret/FRANCE-COURADMINISTRATIVEDAPPELDEPARIS-20161206-15PA03527



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