Inna Shevchenko, Grand Prix international de la Laïcité, militante féministe ukrainienne. 14 novembre 2017
Je suis très honorée de recevoir ce prix.
Honorée parce qu’il célèbre les libertés de conscience et d’expression, aujourd’hui gravement menacées par des extrémistes religieux, pour qui il est plus facile de tuer que d’accepter une opinion différente.
Honorée d’être ici entourée de ceux qui résistent aux communautaristes qui ont lâchement abandonné l’universalisme, et qui au lieu de se faire porte-voix de l’humanisme sont devenu des relais de l’islamisme. Nos valeurs sont plus fortes que celles de l’extrême droite xénophobe qui combat la diversité et rejette les minorités. Ils tentent tous de faire taire nos voix progressistes et notre combat devient encore plus difficile aujourd’hui. Ils essaient de nous enterrer, mais ils ne savent pas que nous sommes des graines. Nous sommes des millions et devrions être plus nombreuses encore.
Mais recevoir ce prix me met également un peu mal à l’aise. En tant que militante féministe, je suis plus habituée à être arrêtée, attaquée et accusée, car parler avec une voix de femme est toujours considéré comme un acte radical. Je connais la torture, j’ai survécu à un attentat terroriste, je suis plus familière aux peines d’une vie en exil qu’à de tels honneurs. Le combat que je mène est difficile mais je n’ai jamais été seule. Ce prix je veux le dédier et le partager avec l’ensemble du mouvement FEMEN, ce groupe que je définis comme un groupe de femmes qui tentent de changer le monde sans demander la permission. Je transmets ce prix à chaque activiste, chaque femen d’hier, d’aujourd’hui ou de demain. Il n’y a rien dont je sois plus fière que d’assister à la transformation d’une femme en amazone moderne, ce que vous êtes. Je suis fière de notre contribution commune à la plus longue de toutes les révolutions : la révolution des femmes.
Je veux partager ce prix notamment avec l’une de ces amazones, Pauline Hillier, avec qui j’ai écrit un livre intitulé Anatomie de l’oppression pour dénoncer et s’opposer à l’oppression religieuse et célébrer toutes les femmes. Je salue également tous ceux qui soutiennent et aident le mouvement ici en France. Vous êtes si précieux.
Ce prix va bien au-delà de moi, et du mouvement FEMEN, il va à toutes les femmes, aux héroïnes célèbres ou anonymes, qui s’opposent aux institutions patriarcales, y compris religieuses.
Parce que la laïcité est aussi un combat de femmes. Les droits des femmes peuvent progresser là où les libertés de conscience et de choix sont garanties. La laïcité et le féminisme visent à libérer les femmes et les hommes du dictat d’une autorité supérieure, les deux rejettent les règles imposées par la force sur la vie des individus. Les deux propagent la solidarité et l’égalité dans la société.
Un des principaux ennemis de la liberté des femmes est l’extrémisme religieux fondé sur des dogmes patriarcaux. Aux quatre coins du monde, ils tentent de pénétrer nos corps avec leurs normes patriarcales. Tous les jours, des paroles prononcées au Vatican, à La Mecque, à Jérusalem soulignent l’infériorité des femmes. Tous les jours, des femmes sont menacées parce qu’elles conduisent une voiture en Arabie Saoudite, enlèvent leur hijab en Iran, vont à l’école au Pakistan, avortent en Pologne, demandent le divorce en Israël, parce qu’elles changent leurs croyances ou tombent simplement amoureuses de quelqu’un ... Et parce que cette guerre menée contre les droits des femmes est universelle, la lutte féministe doit elle aussi être universelle. La laïcité et la liberté d’expression sont des prérequis à l’autonomisation des femmes et leur libération.
La libération de la parole des femmes que nous observons avec fascination ces dernières semaines n’est possible que dans une société laïque où les institutions religieuses n’ont pas de pouvoir politique et où les responsables religieux n’ont pas d’immunité. La laïcité permet une parole libérée, qui est l’élément définissant notre nature humaine, le noyau des droits de l’homme, la base de la liberté. Et je parle bien ici d’une liberté de parole inconditionnelle, qui rejette la "liberté de ne pas être offensé ou moqué". Les religions veulent les femmes silencieuses et discrètes, la laïcité et le féminisme oeuvrent pour que leurs voix soient au contraire entendues.
Mesdames, mes sœurs, mes camarades ne restez jamais silencieuses ! Le silence est une peine de mort pour nos personnalités et nos rêves. En exerçant notre liberté de parole, nous prenons le pouvoir de rejeter l’injustice du passé, de changer le statu quo, de créer une société juste pour toutes et tous. J’appelle à se rassembler et à défier les idées religieuses patriarcales, pas la foi ni la spiritualité mais bien les dogmes, les règles et les traditions créées pour imposer et maintenir une autorité masculine liberticide.
Ne tombons pas dans le piège créé par les populistes ou les xénophobes, rejetons leur tentative de diviser la société. Nos alliés sont aussi parmi les croyants laïques, qui proposent de réinterpréter les dogmes, parce que la « révision » peut aussi conduire à la « révolution ». Le désordre actuel créée par les populistes est l’occasion de se réunir. La peur généralisée des uns et des autres est l’occasion de développer une confiance mutuelle. Les murs nouvellement construits sont l’occasion d’ouvrir plus de portes. Les voix populistes qui s’expriment en notre nom sont l’occasion de reprendre nos propres voix et de défendre l’universalisme et l’égalité pour tous.
Pour nos voix humanistes soient plus fortes que leurs voix populistes, plus fortes que leurs discours communautaristes lâches, plus fortes que leurs menaces, plus fortes que leurs kalachnikovs !
Je continuerai le combat jusqu’à ce que les fanatiques religieux, les sexistes et les mysogines nourris par les dogmes monothéistes ne se mettent plus à genoux pour prier, mais pour demander pardon aux femmes qu’ils ont un jour fait souffrir.
Féministes, laïques, humanistes, le moment est venu, soyons des rebelles et plus des esclaves.
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