Revue de presse

E. Conan : "Baby-loup : l’arrêt de la Cour d’appel n’est pas une si bonne nouvelle pour la laïcité" (marianne.net , 2 déc. 13)

3 décembre 2013

"L’interminable harcèlement qui a eu la peau de la crèche associative de Chanteloup-les-Vignes (elle ferme en fin d’année) constitue la pathétique illustration d’une régression qui atteint même ceux qui se réjouissent de la décision de la Cour d’Appel de Paris confirmant le licenciement de l’employée.

[...] A part Jean-Luc Mélenchon, personne n’a par exemple tiqué à l’annonce de l’ouverture par la mairie de Paris d’un complexe municipal des « Cultures d’islam » destiné à tous les Parisiens « croyants de toutes confessions, athées ou agnostiques », comme le précise le dossier de presse, mais dans lequel il ne sera pas servi d’alcool « pour ne pas choquer les croyants » [1], comme dans les centres culturels d’Istanbul normalisés par Erdogan.

Des élus Verts de Villejuif se sont récemment alliés avec des intégristes pour demander que toute viande soit bannie des cantines scolaires si elle n’était hallal [2]. Autre exemple : alors que des bataillons de vigilants sont à la recherche du moindre signe annonciateur d’un fascisme rampant, aucun n’a réagit à l’apparition de propos appelant au massacre par le feu des journalistes islamophobes de Charlie Hebdo abaissés au rang de « chiens », l’insulte suprême pour un musulman [3].

Comme l’a résumé Michel Onfray, « la République a aujourd’hui honte de ses valeurs », une partie notable de la gauche s’étant muée en « force contre-révolutionnaire soutenant les religions, pourvu qu’elles ne soient pas chrétiennes ». Cela au détriment de la laïcité, du féminisme et de la liberté d’expression. C’est à la lumière de ces renoncements qu’il faut analyser le dernier épisode de l’affaire Baby Loup, ce « contentieux opposant deux visions de la laïcité » comme le présente Le Nouvel Observateur.

L’interminable harcèlement qui a eu la peau de la crèche associative de Chanteloup-les-Vignes (elle ferme en fin d’année) constitue une pathétique illustration de cette régression et de ce confusionnisme qui atteint cette fois-ci même ceux qui se réjouissent de la décision de la Cour d’Appel de Paris confirmant le licenciement de l’employée qui prétendait imposer son voile en dépit du règlement intérieur de Baby loup.

Cette partie de ping-pong entre deux Cours d’Appel et la Cour de cassation (qui avait conclu en mars dernier une « discrimination en raison des convictions religieuses » après avoir consulté un expert de l’islam proche-oriental) témoigne de la démission des politiques préférant laisser les magistrats se dépatouiller avec le problème.

Alors ce sont les magistrats qui font de la politique : aussi divisés que la gauche, que la droite et que la société sur le sujet, ils y a chez les juges des partisans de la laïcité (ou du simple bon sens) et d’autres qui n’en veulent plus (ou qui ne la comprennent pas). Ensuite, les uns et les autres s’efforcent de trouver les arguments juridiques servant leurs positions contraires.

Or, et bien peu de commentateurs l’ont relevé, les arguments juridiques utilisés par la Cour d’appel de Paris pour justifier le licenciement de l’employé voilée sont faibles et leur ambiguïté concernant la définition de la laïcité n’autorise pas les cris de victoire de ses partisans.

En effet, la Cour a additionné deux arguments très différents pour asseoir sa décision, l’un tiré des faits concrets du dossier, l’autre reposant sur une acrobatie juridique périlleuse sinon malheureuse.

La Cour a estimé qu’en dehors de toute allusion à la question de la laïcité le licenciement était justifié par des faits reprochés à la plaignante relevant d’une « faute grave nécessitant le départ immédiat de celle-ci ». Et la Cour d’énumérer des « menaces et pressions » sur le personnel et les parents au nom de « la solidarité entre musulmanes », et des « faux témoignages » sous la « dictée » de la plaignante, faits dont la majorité des médias ne nous avaient jamais parlés.

Mais c’est le raisonnement de fond développé par ailleurs au nom de la laïcité qui pose problème. Pour contourner la difficulté juridique du droit du travail actuel ne permettant pas à l’employeur de s’opposer au port du voile dans l’entreprise, la Cour d’appel a repris l’argumentation (« audacieuse » comme disent les juristes quand ils ne sont pas sûrs de leur raisonnement…) du procureur Falletti selon lequel la crèche constituait une « entreprise de conviction » (parce qu’elle entendait défendre des convictions laïques) et que cela l’autorisait à imposer la neutralité religieuse par son règlement intérieur. Or le recours à cette notion « d’entreprise de conviction » est à double tranchant.

Elle est empruntée à une jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme (peu portée sur la laïcité) concernant les partis politiques, les syndicats et les associations confessionnelles. S’en servir pour défendre la laïcité, c’est donc paradoxalement ravaler une notion qui était jusque dans les années 80 en France le principe général organisateur de la vie en commun s’imposant à tous au rang d’une croyance particulière à défendre et à tolérer parmi bien d’autres. Une débandade plutôt qu’une victoire…

Le candidat Hollande avait expliqué lors de sa campagne que la laïcité serait l’un des piliers de sa « République exemplaire » et qu’il en graverait les principes dans la Constitution.

A défaut de ce symbole dont on ne parle plus, il y a mieux à faire et plus urgent dans l’hypothèse où le principe laïque reste en vigueur et n’est pas seulement un mot creux : suivre la suggestion des signataires de l’appel que Marianne avait relayé au printemps pour qu’un texte de loi dise avec pédagogie et clarté ce qu’elle implique dans tous les cas de figure non réglés par la loi Chirac du 15 mars 2004. Des vides juridiques déjà relevés et stigmatisés le Défenseur des droits, Dominique Baudis, et qu’il ne faut plus laisser aux amateurs de surenchère."

Lire "Affaire Baby-loup : l’arrêt de la Cour d’appel n’est pas une si bonne nouvelle pour la laïcité".



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