1er décembre 2013
"[...] Le dernier rebondissement de l’affaire Baby-Loup a réactivé les craintes de dérives communautaristes. Dans le même temps, les accusations d’islamophobie et de discriminations raciales/religieuses n’ont jamais été aussi présentes. Est-ce un paradoxe ?
La France vit une situation particulière car elle tente de concilier deux droits : le droit à la liberté d’expression, notamment religieuse, et le droit issu des règles de la laïcité.
J’ai écrit au Premier ministre et consulté le Conseil d’Etat pour réclamer une clarification du droit. Nous ne cherchons pas à déplacer le curseur en faveur de plus ou moins de liberté religieuse, mais à définir une frontière claire et nette sur ce que dit le droit. L’incertitude c’est l’ennemi du droit. Bien souvent, nous recevons des courriers auxquels nous ne savons pas répondre. L’affaire Baby-Loup, c’est plus de cinq ans de conflits et ce n’est pas fini.
Dans ces situations, des conflit émergent, des entreprises disparaissent, des gens perdent leur emploi et les tensions s’exacerbent.
Que faut-il faire ?
Lorsqu’on définit clairement la frontière entre ce qui est permis et ce qui ne l’est pas, les gens la respectent, même s’ils ne sont pas d’accord. Prenez l’exemple de la loi sur les signes extérieurs à l’école : elle a été très débattue, très contestée mais 10 ans après tout le monde la respecte. Et pourtant, cette loi concerne des millions de personnes.
Aujourd’hui, les cas sont plus marginaux mais les pouvoirs publics hésitent à trancher. Un homme portant la kippa peut-il accompagner une sortie scolaire ? A-t-on le droit de siéger dans un jury d’Assises et de porter des signes extérieurs religieux ? Peut-on aller retirer un dossier d’inscription à un examen tout en portant le voile ?
La question raciale a resurgi dans le débat public, débat que certains qualifient d’"écran de fumée". Constatez-vous le retour d’une parole raciste en France ?
Quantitativement, non, qualitativement, oui. Le racisme et le rejet de l’autre, que ce soit par le refus de l’accès à l’emploi ou au logement, en raison du sexe, d’une origine ethnique ou religieuse, sont aujourd’hui de plus en plus assumés. Nous voyons des personnes qui n’hésitent pas à dire "je loue un appartement mais pas à un noir" ou "cet emploi ne pourra être assumé par un noir, une femme ou un juif". Sur la seule base de son nom de famille à connotation maghrébine, une femme s’est vue refuser un chèque.
La parole politique est-elle responsable ?
En tant que Défenseur des droits, je suis tenu à un devoir d’impartialité vis à vis des partis politiques. Mais il existe une responsabilité de la parole publique, qu’elle soit politique ou médiatique, qui place au centre du débat la question de la religion, des origines, et qui amène certains à se positionner. Jadis intime, cette question a pris une dimension sociale.
Les populations Roms présentes en France ont récemment été la cible de violentes critiques politiques, tous partis confondus. Faut-il y voir la quête d’un bouc émissaire ?
Nous avons fait plus de 4000 interventions sur ce sujet pour l’année qui vient de s’écouler. Je dis deux choses : la circulaire d’août 2012 est une bonne circulaire. Elle prévoit que les pouvoirs publics, avant tout démantèlement ordonné par la justice, procèdent à un bilan social des camps roms pour apporter des réponses sur mesure à chacune des familles présentes dans ce camp. Lorsqu’elle est appliquée, ses effets se font sentir. Malheureusement, dans la moitié des cas, cette circulaire ne l’est pas, ce dont j’ai fait état dans un rapport adressé au premier ministre.
Deuxième chose, l’affaire des migrants d’Europe centrale est avant tout une affaire européenne. Les pays de départ et d’accueil sont des pays européens. Si chaque pays se borne à aborder le problème d’un point de vue national, on est sûr de s’enfermer dans les slogans et les anathèmes. L’Europe ne peut pas se contenter de débloquer des fonds et donner des leçons de morale. Il y a moins de 10 millions de Roms sur 500 millions d’européens. C’est un défi que l’UE peut et doit relever. [...]"
Lire "Dominique Baudis : en matière de laïcité, "l’incertitude est l’ennemi du droit"".
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