13 janvier 2015
"Que veulent-ils ces groupuscules qui, de Paris à Amsterdam et Stockholm, regardent avec admiration les combattants des champs de bataille d’Afghanistan, de Syrie et d’Irak ou des maquis du Yémen et d’Afrique et essaient de les imiter ? Vient à l’esprit une explication de plus, qui n’a peut-être pas plus de poids que les précédentes, mais qui pourrait afficher une certaine logique : l’attaque de Charlie Hebdo serait l’affirmation d’un communautarisme qui voudrait réduire toutes les difficultés sociales, culturelles et psychologiques affrontées tous les jours par les habitants des cités et des banlieues à un seul et unique problème ethnique et tribal, avec un vernis religieux.
Pour ces éléments attachés à leur identité tribale, qui craignent la désagrégation progressive de la communauté ethnique et son aspiration par la communauté des citoyens, l’idéal serait que le multiculturalisme et le pluralisme se transforment en un multi-nationalisme au sein de l’Etat français. Ce qui permettrait de garder les structures de l’Etat et ses bénéfices tout en rejetant les principes de la communauté des citoyens, les valeurs de la démocratie et de la laïcité. Pour ceux qui s’emploient à creuser un fossé entre la communauté musulmane et les forces qui, selon eux, la menacent, ceux qui cherchent à affirmer leur spécificité tribale et non seulement religieuse, la violence constitue le moyen naturel.
Dans ce contexte, il ne faut pas se dissimuler le fait que la communauté musulmane, à l’exception de quelques leaders religieux importants, ne semble pas s’être associée en masse à l’extraordinaire manifestation parisienne. Ceci n’est pas sans signification. Depuis longtemps déjà la violence a aussi une adresse, les juifs. Seulement, les attaques de Toulouse et du Musée juif de Bruxelles ou de l’Hyper Cacher de la porte de Vincennes ne pouvaient suffire. Pour obtenir l’effet espéré, il fallait frapper un grand coup au cœur même du système. Les juifs aussi bien intégrés qu’ils le soient, quelle que soit leur présence sur la scène culturelle et sociale, restent encore et toujours quelque peu marginaux. L’importance d’un lieu de rencontre spécifiquement juif, que ce soit un musée ou une école, n’est pas comparable à celle d’une salle de rédaction d’un hebdomadaire fameux.
Le choix, il faut bien le dire, était excellent : alors que le 11-Septembre avait exigé de longs préparatifs, une imposante infrastructure et plusieurs exécutants, trois tueurs ont fait descendre dans la rue des millions de Français et quelques dizaines de chefs d’Etat et gouvernement, européens surtout, et fait de Paris, le temps d’un dimanche, pour parler comme Walter Benjamin, la " capitale du XXIe siècle ". Mais quel siècle ?
Les non-Européens ont brillé par leur absence, ce qui n’est pas tout à fait l’effet du hasard, à l’exception des Israéliens, en pleine campagne électorale, accourus à Paris d’une manière peu digne et parfois même vulgaire et des Palestiniens.
Finalement, c’est la vieille Europe , plutôt blanche et chrétienne, avec les juifs dans le cortège, qui marchait. Tout le monde comprend que le grandiose rassemblement parisien n’aurait pas eu lieu si les seuls en cause avaient été les juifs de France.
Les juifs se sentent mal à l’aise car l’expérience leur a appris que l’on savait comment ces choses commençaient, jamais comment elles se terminaient. Malgré l’appui et la protection de l’Etat qui sévit durement, comme nulle part ailleurs, contre toute manifestation d’antisémitisme, un Dieudonné se produit toujours avec succès et dans le nord-est de Paris les juifs ne se sentent pas en sécurité. On y fait état d’incidents mineurs dont la presse, paraît-il, ne rend pas compte parce qu’il n’y a pas de victimes, mais dont l’influence sur la vie de tous les jours est considérable.
Cependant, dans ce contexte, on ne peut faire abstraction du rôle que joue le conflit israélo-arabe dans les rapports entre juifs et musulmans français, le plus souvent originaires d’Afrique du Nord. Les organisations juives officielles s’alignent trop souvent sur les positions les plus dures de la droite israélienne et soutiennent volontiers, notamment pour tout ce qui concerne les territoires occupés, les positions gouvernementales les moins favorables à la cause de la paix et des deux Etats. Leurs instances élues ne font guère la différence entre les intérêts vitaux du pays et les positions de ses gouvernants, ce qui, il faut bien le dire, est très étonnant dans un grand pays libre et démocratique comme la France.
Le nationalisme juif israélien, notamment la législation sur la nationalité qui s’annonce, s’accommode souvent très mal des impératifs de l’existence d’une communauté des citoyens israélienne qui compte 20 % de non-juifs. On aurait pu attendre des juifs de France, surtout des jeunes, tous sortis des lycées et des universités, institutions libérales, ouvertes et laïques, de présenter une critique en règle des positions officielles inacceptables. Pour terminer, disons encore que d’une manière plus générale, il ne faut jamais oublier que le sort des juifs dépend depuis plus de deux siècles du sort des Lumières, des droits de l’homme, des valeurs du libéralisme, dans le sens noble du terme et de la démocratie.
Le niveau d’antisémitisme constitue depuis le début du siècle passé un critère fidèle de la solidité de ces valeurs au sein de la société européenne, y compris la société française. Les juifs ne peuvent oublier qu’il y a de cela à peine trois quarts de siècle l’Europe de nos jours, brillante, libre, démocratique, respectueuse de la personne humaine, était l’endroit le plus horrible à la surface de la terre. C’est nous qui faisons notre histoire. Notre monde dépend de nos choix : nous avons la liberté de le façonner à l’image des valeurs de l’humanisme que nous ont léguées les Lumières françaises ou le laisser partir à la dérive."
Lire "Un communautarisme radicalisé gangrène la démocratie".
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