Revue de presse

"Voile sur le sport" (Elle, 29 juin 12)

1er juillet 2012

"Carton rouge pour la FIFA ? Des footballeuses pourraient bientôt jouer voilées. Enquête sur un scandale annoncé."

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"Verra-t-on, dans les compétitions internationales, des équipes féminines courir après le ballon couvertes de la tête aux pieds : caleçon long sous le short, manches longues et voile islamique ne laissant apparaître que l’ovale du visage ? Le 5 juillet prochain, la FIFA (la fédération internationale de football) pourrait autoriser le port du hidjab sur les terrains. Une petite révolution qui risque de se faire dans l’indifférence générale. Depuis que l’International Board (IFAB), l’instance qui réglemente le jeu, a donné son feu vert de principe, le 3 mars dernier, l’affaire n’a pas mobilisé les foules. Aucune sportive n’a réagi publiquement. Sollicitées, la FFF (Fédération française de football) refuse de s’exprimer et la FIFA indique qu’elle ne communiquera sur le sujet qu’une fois la décision arrêtée. Seule une poignée de féministes brandit le carton rouge. Cette décision pourrait pourtant être lourde de conséquences."

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"Comment en est-on arrivé là ? En 2010, quelques semaines avant les premiers jeux Olympiques de la Jeunesse à Singapour, l’équipe iranienne se présente sur le terrain intégralement voilée, en contradiction avec la loi 4 du règlement de la FIFA qui impose de n’arborer « aucun message politique, religieux ou personnel ». La fédération l’exclut. Puis, sous la pression, accepte un compromis : les joueuses pourront jouer avec une « casquette » laissant les oreilles et le cou découverts. Au printemps 2011, rebelote. Lors d’un match-clé de qualification pour les JO, l’équipe arrive de nouveau voilée et est disqualifiée. Le prince Ali Bin Al-Hussein, frère du roi de Jordanie et vice-président de la FIFA, décide alors d’intervenir. Porte-voix des supporters asiatiques du foulard et du Qatar, qui investit des millions dans les grands événements sportifs internationaux et qui accueillera la Coupe du monde de football en 2022, le prince réussit à convaincre l’IFAB d’autoriser le hidjab. Avec un argument de poids : « Le hidjab n’est pas un signe religieux mais un signe culturel », ce qui ne remet donc pas en cause le règlement."

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"« La FIFA, au moins, a essayé de résister, commente Annie Sugier (1), fondatrice de la Ligue du droit international des femmes. Le CIO a ouvert la brèche dès 1996. » L’apparition du voile remonte, en effet, à Atlanta lorsqu’une tireuse à la carabine iranienne a défi lé tête couverte lors de la cérémonie d’ouverture. Pourtant, l’article 51 de la Charte olympique est catégorique : « Aucune sorte de démonstration ou de propagande politique, religieuse ou raciale n’est autorisée. » Lynda Fariman sera la première d’une longue liste. « A Pékin, en 2008, quatorze délégations présentaient des femmes voilées », rappelle Fabienne Broucaret dans « Le Sport, dernier bastion du sexisme ? » (éd. Michalon). Les athlètes français, qui souhaitaient, eux, porter un badge « Pour un monde meilleur », qui devait témoigner de leur attachement aux droits de l’homme, n’y ont pas été autorisés. Deux poids, deux mesures ? Personne n’a oublié les deux athlètes noirs américains disqualifiés à vie pour avoir brandi le poing aux JO de Mexico en 1968, en soutien aux Black Panthers. Ni que l’Afrique du Sud a été exclue pendant trente ans des jeux Olympiques pour cause d’apartheid. « Pourquoi faire une exception pour le voile ? demande Annie Sugier. On est en flagrante contradiction avec trois principes de l’olympisme : la neutralité du sport, la non-discrimination et l’égalité hommes-femmes. Si la règle 51 est dépassée, alors il faut aussi accepter les T-shirts “I belong to Jesus” des Brésiliens ou la kippa. Et c’en sera fini de la trêve sportive. »

Les avocats du voile se défendent de vouloir réécrire les fondamentaux du sport. Pour eux, il est un outil de l’émancipation des femmes. Son interdiction serait même discriminatoire puisqu’elle entraverait la pratique sportive des musulmanes. « Parce qu’il permet à davantage de femmes l’accès à l’espace public, certaines le considèrent comme la clé de leur autonomie », souligne Farida Belkacem, de l’Institut de relations internationales et stratégiques. Pour autant, la chercheuse n’est pas persuadée que les footballeuses seraient plus nombreuses si elles pouvaient jouer voilées. « Le football féminin reste une pratique confidentielle, plus encore dans les pays musulmans. » L’argument de l’émancipation est pourtant repris par la FIFA et le CIO. « Il vaut mieux que les femmes qui ne peuvent pratiquer un sport que voilées participent aux compétitions plutôt que rester chez elles, même si cela choque dans un pays laïc comme le nôtre, soutient Denis Masseglia, président du Comité national olympique et sportif français. Le CIO a choisi l’ouverture, il réagit en termes d’universalité et de respect de la culture de chacun. Arrêtons de tout voir à travers le prisme franco-français. »

(1) Coauteure, avec Anne-Marie Lizin et Linda Weil-Curiel, de « Femmes voilées aux jeux Olympiques » (éd. Jourdan)."

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"Ce relativisme culturel inquiète les féministes : au nom de la promotion et de la féminisation du football, on va autoriser un signe de domination masculine. « Ce serait accepter comme modèles d’identification des athlètes qui portent un signe de soumission aux hommes », s’insurge Sabine Salmon, présidente de Femmes solidaires, pour qui le sport est un enjeu féministe. « Tout se passe comme si le voile n’était pas une violence, ajoute Catherine Louveau, sociologue du sport (2). Or, c’est au moins une violence symbolique, si ce n’est réelle dans les pays ayant adopté la charia ou qui, comme l’Arabie saoudite, interdisent aux femmes toute licence sportive. » Quand ces nations organisent les Jeux islamiques, où les femmes concourent entre elles, cela relève de l’« apartheid sexuel », dit-elle. Alors qu’on laisse les participants se signer ou prier lors des épreuves sportives, dénoncer le foulard relève-t-il d’un réflexe islamophobe, comme le reprochent certains ? « Absolument pas, répond Annie Sugier. Mais nous ne sommes pas obligés de céder au diktat de l’Iran. N’oublions pas que des athlètes musulmanes courent en short, au risque de subir les foudres des intégristes. »

(2) Auteure du « Sport et les Femmes : inégalités et discriminations » dans « Ethique du sport » (éd. l’Age d’homme), à paraître prochainement."

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"Et en France ? S’il est autorisé par la FIFA, le voile fera-t-il l’objet de revendications ? Et comment les jeunes femmes de culture musulmane qui ne le portent pas pourront-elles résister à la pression d’un père ou d’un imam ? « La question est complexe, estime Jean-Philippe Acensi, délégué général de l’Agence pour l’éducation par le sport. D’un côté, on observe une demande croissante de dispenses de cours de gym, d’horaires spécifiques de piscine, d’entraîneuses de la part de sportives qui souhaitent vivre leur religion tout en pratiquant leur discipline. De l’autre, ces femmes ne seront-elles pas plus vulnérables face aux contraintes religieuses ? » Pour le moment, la question reste marginale, y compris dans les autres sports que le football. Le voile est toléré lors de certains entraînements, comme en boxe ou en athlétisme, mais il n’a pas droit de cité lors des compétitions de haut niveau. « Je ne vois pas comment une décision au niveau international ne s’appliquerait pas aux compétitions nationales, confie, préoccupé, un représentant de la FFF. Dernier accrochage en date, en mars, à Narbonne, un arbitre a refusé qu’un match se déroule au motif que six footballeuses du FC Petit-Bard de Montpellier portaient une « tenue non conforme ». « Je joue voilée depuis 2006. Une seule autre fois, à Perpignan, nous avons dû faire le match à huit contre onze parce que trois filles ont refusé d’enlever leur hidjab, raconte Fatima Mellouky, 29 ans, qui dirige l’équipe. C’est déjà assez difficile de trouver des joueuses dans mon quartier, je ne vais pas en plus choisir entre les voilées et les non-voilées ! Ce n’est pas de la propagande ou de la provocation. Le voile fait partie de moi. Je ne comprendrais pas qu’on nous prive du plaisir de jouer. »"

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"La FIFA a posé cette dernière réserve : l’argument de la sécurité pour les footballeuses. Un faux problème ? Un modèle de hidjab « spécial sport », en textile respirant et à fermetures Velcro, est déjà dans les tuyaux. A la clé, un juteux marché de tenues « islamiquement correctes ». En revanche, la question des performances des joueuses semble avoir été mise hors jeu. « On va accepter des sous-athlètes de haut niveau », s’inquiète Sabine Salmon. Et Nicole Abar, ancienne internationale et responsable de l’association Liberté aux joueuses, d’expliquer : « Le foot est un jeu de tête. Un foulard réduit le champ visuel et la prise d’informations. Quand les rugbymen ont adopté des maillots moulants laissant moins de prise à l’adversaire, c’était pour améliorer leur jeu. Quand on impose aux femmes le hidjab, cela entrave leurs mouvements, donc leurs performances. » Comme si on se moquait au fond qu’elles gagnent. « Encore une fois, regrette Nicole Abar, on utilise le corps des femmes pour faire passer des messages qui n’ont rien à voir avec le sport. »"

Lire "Un modèle de hidjab « spécial sport » déjà dans les tuyaux".


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