Renaud Dély, président du Jury des Prix de la Laïcité du CLR 2019. 19 novembre 2019
Renaud Dély, journaliste.
Madame la Maire, chère Anne Hidalgo,
Monsieur le Président du Comité Laïcité République, cher Jean-Pierre Sakoun,
Chers amis,
Quelques mots pour vous faire part du plaisir, et même du bonheur, qui fut le mien de présider cette année le jury du Prix de la Laïcité.
Plaisir car c’en fut un, et un vrai, que de consacrer plusieurs réunions à débattre en si bonne compagnie des mérites et qualités des prétendants à nos différentes récompenses. Nos échanges furent riches, souvent passionnés, toujours respectueux et, évidemment, éminemment laïques.
Un plaisir donc bien sûr, mais aussi un honneur au vu de la liste de celles et ceux qui m’ont précédé à cette tâche au cours des années passées, et au regard des noms des prestigieux lauréats qu’ils ont couronnés [1]. Je tiens donc à remercier une fois encore Jean-Pierre Sakoun de m’avoir sollicité. Un plaisir, disais-je, mais aussi une lourde responsabilité, j’en ai conscience.
Car il n’est guère de mission plus importante par les (mauvais) temps qui courent et menacent notre société que de consacrer l’engagement laïque d’artistes, d’écrivains, d’universitaires, de scientifiques, bref de militants authentiquement engagés à préserver ce bien commun qui nous unit et nous rend hommes, ou femmes.
Car la laïcité est en danger. Nous le savons, mes chers amis, elle est attaquée de toutes parts. De façon spectaculaire et hélas tragique, sanglante, meurtrière, lorsque le terrorisme islamiste frappe. De façon plus sournoise, insidieuse, rampante, lorsque le communautarisme ronge le pacte républicain et la vie en collectivité, et assigne à résidence des individus, et d’abord des femmes, en les cloîtrant derrière les murs d’une identité rétrécie.
Oui, c’est bien l’archipélisation qui menace notre société, comme l’a si justement montré l’analyste politique et directeur du département Opinion à l’IFOP, Jérôme Fourquet, dans son ouvrage « L’archipel français ». Il y esquisse le tableau d’une nation multiple et divisée, rongée par la dislocation de références culturelles communes. Quel meilleur antidote pour faire face à cette dangereuse dérive que la laïcité, cet élixir de jouvence propre à « rebâtir du commun » et à conforter les fondations d’un « républicanisme pragmatique » qui fasse sens, selon la formule de note ami politologue Laurent Bouvet. Oui, la laïcité reste une idée neuve en France. C’est d’ailleurs la raison pour laquelle nos adversaires s’efforcent de la caricaturer. Ils en font une arme ou une prison, quand elle est, au contraire, un bouclier et une libération. Ils ressuscitent l’infâme terme maurrassien de « laïcard » ou agitent le spectre d’une « laïcité de combat », voire, car ils osent tout, d’une laïcité « radicale » et pourquoi pas… « radicalisée ». Nous, défenseurs de la laïcité, sommes injuriés, calomniés, parfois menacés, voire tués. Nous ne nous laisserons pas intimider. Surtout, nous ne tomberons pas dans les pièges grossiers que nous tendent ceux qui nous pourfendent. Notre laïcité n’a pas besoin d’adjectif, elle est n’est pas plus « intransigeante » que « souple » ou « positive ». Elle est laïque, c’est tout et c’est bien assez quand il s’agit de défendre sans relâche, envers et contre tout, la liberté de conscience, l’égalité entre les hommes et les femmes et l’intérêt général comme raison d’être exclusive de la loi commune. C’est en dressant une digue infranchissable entre les croyances qui relèvent du personnel, de l’intime, du privé, et la sphère publique irriguée par la raison et l’humanisme laïque que la vie en société restera possible. Notre idéal n’est pas éradicateur, comme veulent le faire croire - c’est le mot - nos adversaires, il est émancipateur.
Oui, comme le résume le philosophe Henri Peña-Ruiz dans son « Dictionnaire amoureux de la laïcité », « un tel modèle tourne le dos au communautarisme en préservant une sphère publique commune à tous par-delà les "différences" ». Les anti-laïques ne sont forts que de nos faiblesses. Ils n’avancent que lorsque nous reculons. Soyons fiers, fiers de nos valeurs républicaines et humanistes, fiers de notre généalogie, de notre passé, de notre histoire, et confiants en notre avenir. Ne reculons plus ! Avançons !
Ce combat laïque, il passe d’abord par l’école bien sûr, l’école publique, véritable institution organique de la République au sens où Condorcet forgeait le concept d’ « instruction publique » qui visait à « rendre la raison populaire » en affranchissant la transmission du savoir des inégalités économiques et culturelles propres à la société civile, mais aussi en libérant de l’asservissement imposé par les religions.
Ce combat laïque, il avance et se développe par l’art et la littérature, sur la scène comme dans les livres, bref par l’expansion, toujours et encore, de la connaissance.
Ce combat laïque, il se poursuit par l’avancée des sciences, tant le savoir scientifique a toujours fait reculer l’obscurantisme et ainsi contribué à faire rayonner plus fort les lumières de la raison.
Ce combat laïque enfin, il est en ce siècle tout particulièrement porté par les femmes, en première ligne, en France comme partout dans le monde, pour porter haut cet étendard émancipateur garant de nos libertés, et tout simplement de nos existences.
Et c’est à ce titre, mes chers amis, que, sans rien renier de l’universalisme qui est le nôtre, et de notre refus de catégoriser les individus en les assignant à une quelconque résidence identitaire, je ne peux toutefois m’empêcher de relever, avec une pointe de satisfaction, que la totalité du palmarès de cette édition 2019 que nous allons maintenant vous dévoiler, est étrangement... féminin.
Un hasard sans doute, mais un hasard laïque évidemment…
Renaud Dély
[1] Voir Les lauréats du Prix de la Laïcité et les présidents du jury depuis 2003 (note du CLR).
Voir aussi la rubrique Prix de la Laïcité 2019 dans Prix de la Laïcité, la note de lecture J. Fourquet : Une implacable démonstration de la division de notre société (G. Durand), dans la Revue de presse la rubrique L’Archipel français, de Jérôme Fourquet (Seuil, 2019) (note du CLR).
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