Remise des Prix de la Laïcité le 10 novembre 2021

VIDEO Gilbert Abergel : Une culture de la victimisation ambitionne de mettre à bas l’universalisme des Lumières (Prix de la Laïcité, 10 nov. 21)

Ouverture, par Gilbert Abergel, président du Comité Laïcité République. 10 novembre 2021

Madame la Maire, Chère Anne Hidalgo, je vous remercie d’accueillir le Comité Laïcité République et ses invités en ce lieu où nous nous sentons presque chez nous, pour la 15e édition du Prix de la Laïcité.

Madame la Ministre, Chère Marlène Schiappa,
Madame la Ministre Chère Sarah El Haïri,
Monsieur le Premier Ministre, Cher Manuel Valls,
Mesdames messieurs les anciens ministres,
Mesdames Messieurs les parlementaires,
Monsieur le Président du PRG, Cher Guillaume Lacroix,
Monsieur le Directeur Général du Mémorial de Caen, Cher Stéphane Grimaldi,
Mesdames Messieurs les Grandes Maitresses et Grands Maitres des obédiences maçonniques,
Mesdames messieurs les Présidents d’association,
Mesdames Messieurs les journalistes,
Chère Denise Cher Michel Charbonnier,

Et vous tous, Chers amis, soyez les bienvenus à cette 15e cérémonie de remise des prix de la laïcité du Comité Laïcité République.

Merci à Aurélie Roux, de Charlie, pour ce document à la fois drôle et émouvant.

Nous avions l’habitude de rire avec Charlie, pas seulement de rire mais de porter sur l’actualité de notre monde un regard sans complaisance, dénonçant impostures et injustices. Certains s’offusquaient de ses unes, certes, mais n’en faisaient pas tout un plat, ils n’appelaient pas au meurtre. Ils se contentaient de détourner leur regard ou de s’abstenir de lire.

Puis eurent lieu ces assassinats.

Charb et ses amis, et nos amis, se savaient menacés. Mais ils refusèrent de se soumettre.

Et aujourd’hui encore, Charlie ne renonce pas.

C’est ce courage qui doit nous inspirer, alors que les attaques contre la raison et l’universalisme se multiplient, plus que jamais nous devons être Charlie.

Charlie, c’est encore aujourd’hui.

Nous sommes toujours dans ce temps de la menace, dans ce temps de la résistance.

Et vous constaterez, à l’annonce du nom des lauréats, combien chacun d’eux se situe dans la ligne de Charlie, celle de la liberté.

L’actualité du procès des assassins du 13 novembre 2015 est venue raviver une douleur que rien ne peut apaiser, sinon l’oubli. L’oubli qui estompe progressivement la charge affective et émotionnelle de l’épouvante que nous avons ressentie lorsque nous avons appris ce qui s’était passé.

Nous étions proches de Charlie. Certains d’entre nous étaient très proches, et ceux-là, qui les connaissaient bien, se demandent encore « Comment on pouvait vouloir du mal à ces hommes, ces femmes qui avaient trouvé dans le rire et la dérision le moyen de décrire et supporter ce monde souvent effrayant ? »

La longue liste des victimes qui concluait ce film dédié à Charlie était, vous le savez, incomplète.

D’autres, depuis, sont tristement venus s’y ajouter, à Rouen ou encore, voici tout juste un an, au sortir de son collège le professeur Samuel Paty. Cet effrayant assassinat nous a tous glacés d’épouvante, notre amie Delphine Girard professeure de lettre dans un collège d’ile de France, présidente de « Vigilance Collège Lycée », membre du Comité Laïcité République et du Conseil des Sages de la Laïcité y reviendra.

Avec l’assassinat de Samuel Paty, c’est un mur que nous avions cru infranchissable qui a été abattu : le mur de notre école de la République, lieu d’apprentissage de la liberté de penser.

Ce mur s’est effrité progressivement.

La contestation des savoirs, auxquels on a opposé des croyances, la destitution de la figure de l’enseignant, le déni de ses difficultés d’exercer son métier, sa formation lacunaire, les profanations successives de ce lieu sacré qu’est notre école, ont préparé ce meurtre hautement symbolique, celui de la figure républicaine de transmission de nos valeurs aux générations à venir.

L’arme du meurtre ce fut un couteau,

L’agent catalyseur, ce furent ce djihadisme d’atmosphère décrit par Gilles Kepel et les réseaux sociaux.

Que penser de ces médias, sinon qu’ils servent trop souvent l’ignorance et la barbarie ?

Et comment les contrer, puisque, nous dit-on, ils sont désormais inscrits dans notre quotidien et, potentiellement, au service de la haine ?

Le psychanalyste Jacques Lacan parlait de poubellication, désignant ainsi la publication de déchets de la pensée. Je tords un peu ce concept et le reprends à mon compte pour qualifier cette utilisation perverse des réseaux sociaux. Ce néologisme me semble tout à fait adapté pour qualifier ce qui s’y dépose trop souvent : la haine, l’injure, le mensonge, la menace presque toujours sous couvert d’anonymat.

Mila en a fait les frais. Pour ne s’être pas excusée d’avoir usé de sa liberté de penser et de dire, Mila est devenue la cible d’une bande d’imbéciles, manipulés par l’intégrisme.

En notre nom à tous, je veux la saluer et la remercier, ainsi que sa famille qui l’a soutenue tout au long de cette épreuve.
Jamais Mila n’a demandé à être l’étendard de l’une de nos libertés les plus fondamentales, mais lorsque cela lui est tombé dessus, elle a assumé ce rôle avec une dignité et une détermination dont beaucoup pourraient s’inspirer, et qui fait honneur à notre République.

Elle l’a assumé, sans se conformer au respect des bonnes manières que certains, certaines érigent en limites à ne pas dépasser dans l’exercice de nos libertés.

Si Mila s’était tue, nous faisions, à bas bruit, mais inéluctablement, un pas de plus vers la banalisation d’un délit de blasphème pourtant absent de notre tradition républicaine. Le chemin avait été ouvert par les assassins de Charlie.
Un petit pas de plus vers le renoncement.

Deux années se sont donc écoulées depuis notre dernière rencontre. Deux années qui nous ont confrontés à la peur, à l’inquiétude, deux années pendant lesquelles nous avons tous pensé que rien ne serait plus comme avant.

Deux années au terme desquelles presque tout est redevenu comme avant.

Comme avant, l’irrationnel, paré de nouveaux atours, a continué de se faire entendre, contestant l’universalisme des Lumières.

Comme avant, l’antisémitisme le plus vulgaire et le plus meurtrier s’est exprimé à nouveau dans nos rues dans nos quartiers, sur les réseaux…

Comme avant, les églises ne se sont toujours pas débarrassées de cette pulsion qui les pousse à se prétendre au-dessus des lois de la République, on l’a encore vu récemment.

Ces deux années ont été marquées par la montée en puissance des théories les plus inattendues, nous invitant à revisiter notre histoire à l’aune d’une vision simplificatrice divisant le monde en deux catégories : les bourreaux et les victimes, souvent, les descendants des bourreaux et ceux des victimes – comme s’il s’agissait de statuts se transmettant de générations en générations.

Cette culture de la victimisation, qui révèle une conception d’une pauvreté affligeante et dégradée de l’être humain, réduit à ses supposées fragilités, ambitionne de mettre à bas l’universalisme des Lumières pour y substituer un monde ou la fraternité serait un leurre, faisant fi des progrès d’une pensée qui a su se dégager des dogmes.

Cette frénésie de dénonciations de supposées injustices bénéficie, hélas, trop souvent, d’une écoute bienveillante au sein de nos universités. A cet égard, je veux saluer le travail de nos amis de Vigilance Université qui montre bien que nous ne sommes pas dans le fantasme mais bien au cœur d’un mouvement que nous n’avions pas vu partir.

Le CLR Nantes Pays de Loire, lors d’un récent colloque dont vous trouverez la trace sur notre site, a donné la parole à des chercheurs, des universitaires qui se sont chargés de déconstruire (ils aiment bien ce terme), ces dangereuses impostures qui se nomment woke, cancel culture, intersectionnalité que l’on veut opposer à notre universalisme.

Regrettons qu’avec la complicité objective d’une partie de la gauche extrême, le communautarisme, le féminisme pro-voile, le wokisme progressent aujourd’hui dans le débat public.

Il faut les dénoncer, les combattre, et quitter cette posture d’un « je n’en veux rien savoir » qui nous a menés là où nous sommes.

Nous voulons savoir : Nos ennemis, nous les identifions, nous les nommons et nous les combattons.

C’est l’islamisme. Ce totalitarisme qui n’est pas l’islam.

Ce sont ceux qui mettent la foi au-dessus de la loi, la croyance au-dessus de la connaissance, ce sont ces penseurs en mal de repères et qui vont chercher aux Amériques de quoi renouveler notre vision du monde et notre histoire, ce sont tous les intégrismes, y compris les intégrismes identitaires.

Car nous tiendrons à égale distance les prétendus serviteurs d’un dieu meurtrier, et les faussaires, les manipulateurs qui se saisissent de tout pour alimenter leur haine de l’Autre.

Ceux qui prétendent que Pétain a sauvé des juifs aussi allègrement qu’ils vous démontreraient que deux et deux font cinq.
Ceux-là n’ont cure de la vérité. Les pulsions de rejet de l’Autre sont hors champs de la raison

Et il l’a bien compris, et il s’en sert.

Ce faisant, ne répétons pas les erreurs du passé, et ne détournons pas notre regard des problèmes réels auxquels sont confrontés nos concitoyens, laissant ainsi aux discours simplificateurs l’exclusivité d’une réponse d’autant mieux accueillie qu’elle est simple, voire simpliste, et s’adresse à l’émotion.

On doit pouvoir parler d’immigration sans la confondre avec le terrorisme ou le droit d’asile. Un discours républicain sur cette question peut et doit s’opposer aux solutions délirantes qui s’articulent autour du fantasme du « grand remplacement », ou celui de l’accueil systématique de l’Autre quel qu’il soit et d’où qu’il vienne.

La voie peut vous paraître étroite, mais c’est la voie républicaine qui a toujours été celle de l’effort, du courage, et du combat.

Il y aurait encore tant de choses à dire.

Sur le courage de ces femmes, comme Zarifa Ghafari, qui se battent à Kaboul pendant que notre classe politique occidentale espère encore un « gouvernement inclusif », sur le désespoir de ces autres, texanes, qui se trouvent privées du droit de disposer de leur corps, sur ordre d’un dieu qui a trouvé de zélés serviteurs sur terre.

Tant de choses à dire encore …

Sur cette scandaleuse campagne de promotion d’un voile qui n’aurait d’autres fonctions que celles d’embellir ou de libérer.
Mais cette ébauche de bilan serait incomplète si nous n’évoquions pas ce frémissement salutaire, cette prise de conscience, cette amorce de fin du déni qui a conduit le pouvoir politique à reconnaitre enfin que la République doit se défendre.

Même si la loi « confortant le respect des principes de la République » n’est pas la grande loi laïque que nous attendions, traitant, enfin, et entre autres, de cette anomalie qu’est le concordat, elle est une loi qui répond aux multiples alertes que nous portons depuis des années.

J’ai eu l’occasion d’exprimer nos doutes sur certaines de ses dispositions et notre soulagement de voir qu’enfin, on en parlait…

D’ailleurs, pour apprécier son utilité, il suffit de prêter attention à ses détracteurs systématiques et sans nuances, qui ont trop souvent été les alliés objectifs d’une laïcité complaisante, et dont certains se posent, semble-t-il, aujourd’hui, en vigie de la laïcité …

Nous attendons de voir ce que la consultation organisée dans le cadre des États Généraux de la Laïcité va donner. Et même s’ils n’ont pas eu l’effet attendu par le monde associatif, ils ont le mérite d’avoir permis l’expression de conceptions claires et dénuées d’ambiguïté de la laïcité.

Je veux croire que les alertes lancées par le monde associatif laïque, par ces militants qui se battent sur le terrain, dans des conseils municipaux parfois acquis à cette cause qu’on nomme indigéniste, ont participé à la prise de conscience de nos dirigeants, et que c’est un peu leur victoire, même si, je le répète, beaucoup reste à faire, sur le volet social notamment dimension indissociable de la laïcité.

Espérons, par ailleurs, que la grande entreprise de formation initiée par le Conseil des Sages de la laïcité au sein duquel siègent nos amis Catherine Kintzler, Patrick Kessel, Alain Seksig, Delphine Girard, permettra aux enseignants de notre école de la République de doter nos enfants de cet imaginaire républicain, qui viendrait occuper ce temps de cerveau disponible (Gérald Bronner), un imaginaire républicain tellement plus noble que ces archétypes virtuels si loin de la réalité.

Un imaginaire républicain où le gout pour la découverte, l’apprentissage de la liberté de penser l’emporterait sur la fascination d’un monde irréel.

Pour le Comité Laïcité République, la priorité restera toujours l’école publique laïque, l’intégration à la communauté nationale de tous les enfants grâce au renforcement de la laïcité.

La reconquête de la République passera par celle de l’école. Une république laïque a besoin d’une école laïque. Dans une formule séduisante, mon ami Jean Paul Escande, qui n’est pas que professeur de dermatologie, et qui voue à la recherche sur la laïcité une véritable passion, me disait l’autre jour « L’école c’est quoi dire, la République c’est quoi faire », formule un peu lapidaire mais dont le sens ne vous échappera pas.

La tâche n’est pas impossible.

Chers amis, notre cérémonie de ce soir démontre que la démobilisation n’est pas à l’ordre du jour. Les lauréats que nous allons récompenser incarnent le combat à mener pour défendre les valeurs républicaines.

Le jury du Prix de la Laïcité, présidé par Gérald Bronner que je remercie vivement pour le temps qu’il nous a offert, pour la qualité de son animation, pour la pertinence de ses observations, a fait un choix pour chacune des promotions 2020 et 2021.

Et je l’invite au pupitre.


Voir aussi la rubrique Prix de la Laïcité 2020-2021 dans Prix de la Laïcité (note du CLR).


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