8 janvier 2018
"Nous sommes ici ce soir pour tenter de répondre à la question : Peut-on « encore » être Charlie dans le débat public ?
Je confesse que je suis d’abord là pour dire ma solidarité avec Charlie, et ce avec d’autant plus de force que nous savons grâce à leur dernier numéro les contraintes qui pèsent sur eux à chaque instant ; et au-delà de ces contraintes, la peur à chaque instant aussi.
Le tout pour ne rien céder à ceux qui ont exécuté leurs amis, et ne pas leur laisser le dernier mot. Les Charlies font certes cela pour eux-mêmes, par conviction, par sens de l’honneur, mais aussi pour nous tous.
D’où l’immense reconnaissance que j’éprouve pour ce journal et ceux qui le créent chaque semaine. A titre personnel, je leur dois une bouffée d’oxygène inoubliable, lorsqu’au milieu d’un silence assourdissant de nos responsables politiques, ils ont marqué leur solidarité avec les caricaturistes danois.
Ce sont les pieds nickelés, les rigolards de Charlie qui ont fait rempart – on peut dire de leur corps – pour défendre nos valeurs essentielles (la liberté de la presse et la laïcité), mais aussi notre honneur.
On sait aujourd’hui quel en a été le prix exorbitant.
Ce qu’on avait peut-être pas encore pleinement réalisé, il y a plus de dix ans, c’était l’état d’avancement de la guerre contre nos principes et nos valeurs, ou plutôt leur détournement à des fins de destruction.
En fait nous vivions une véritable révolution où tout se renversait en son contraire, sans que l’on y trouve à redire. Du moins dans une grande partie de la gauche, et notamment chez les intellectuels. J’en citerai deux exemples.
Le premier concerne la laïcité. Alors que la loi de 1905 fut l’un des grands combats de la gauche au vingtième siècle, une partie de la gauche d’aujourd’hui est devenue la complice la plus active de ceux qui cherchent à détruire cette laïcité. Faute de pouvoir l’attaquer de front, car enfin la grande majorité du peuple y tient toujours, on cherche à l’annihiler par le jeu des adjectifs.
Pour l’un, elle doit être « ouverte », pour l’autre, « positive », et pour le troisième « apaisée. » C’est à qui trouvera l’adjectif le plus sympathique pour se distinguer de l’autre, celle qui n’a nul besoin d’un qualificatif – chaperon pour l’accompagner, puisqu’elle est fort bien perçue, et même avec une certaine pointe de fierté par la majorité du pays.
Le jeu des adjectifs positifs n’est pas innocent, puisqu’il permet d’apposer à la laïcité des adjectifs négatifs pour en faire un repoussoir.
Pour les uns, elle est « intolérante », pour d’autres « hystérique » et « revancharde » , et même pour ceux qui n’ont peur ni des oxymores, ni du ridicule, elle est « intégriste », ou comme l’aurait dit notre Président « une religion laïque ».
Autre exemple de renversement des valeurs par le détournement des termes est évidemment le féminisme. Depuis son origine, ce mot signifie le combat pour l’égalité des sexes dans tous les domaines de la vie. Qu’il s’agisse de la maitrise de son corps ou de l’exercice des libertés individuelles. Là aussi, il a suffi de l’adjectif « islamique » pour justifier tout le contraire.
Qu’il s’agisse donc de la laïcité ou du féminisme, on se trouve en présence d’une véritable escroquerie intellectuelle, escroquerie que nous avons à combattre. Et ce, pour une raison inattendue : lâchés par une bonne partie de la gauche, elle a laissé ainsi le Front National et ses satellites s’emparer du combat qui a toujours été le sien. Facile ensuite d’accuser Charlie et ses amis de faire le jeu des fachos et de les taxer, ô horreur, de racistes et d’islamophobes…
Ce discours tenu par nombre d’intellectuels, d’universitaires ou de média – sans parler des réseaux sociaux – en intimide plus d’un, lesquels préfèrent se taire plutôt que de souffrir ces outrages. Ce qui explique que le soutien de Charlie, toujours majoritaire, s’effrite peu à peu.
Le travail d’intimidation des islamistes et de culpabilisation des gauchistes n’est pas resté sans effets. Au soutien massif de 2015 a succédé pour une partie non négligeable des manifestants le « oui, mais… » Façon de dire que l’on est plus Charlie. On fait mine de défendre la liberté d’expression et le droit à la caricature, mais avec des limites. Défense de s’attaquer au sacré et à tout ce qui peut choquer la conscience de nos concitoyens…
A la question : peut-on encore être Charlie, je réponds oui, sans restriction. Etre Charlie est un combat et nous sommes au milieu du gué. Si nous n’avons pas encore gagné la bataille des idées, nous ne l’avons pas perdue non plus. Tout dépend de notre force de conviction, la seule arme honorable de la démocratie.
Avant de laisser la parole à mes collègues, je voudrais ajouter deux notes plus personnelles.
D’abord, je tiens à remercier deux grands titres de la presse qui accompagnent notre combat. Le premier est l’hebdomadaire Marianne qui n’a jamais cessé de soutenir Charlie et la laïcité. Le second est le quotidien Le Figaro, dont j’ignore si Charlie est vraiment sa tasse de thé, mais qui a largement ouvert ses colonnes aux avocats de la laïcité.
Sans ces deux journaux, nous serions souvent privés de paroles.
Enfin, mes derniers mots seront pour les amis et les familles endeuillées par le massacre des leurs. Je mesure l’extrême douleur que représente chaque mois de janvier de leur vie, et peut-être aussi leur amertume que l’on puisse même poser la question : Peut-on encore être Charlie ?, comme si les leurs étaient morts ou blessés pour un combat déjà perdu. A tous, je veux dire ma profonde sympathie."
Voir aussi les interventions "Toujours Charlie ! De la mémoire au combat" (Paris, 6 jan. 18), la revue de presse "Toujours Charlie !" aux Folies Bergère, 6 jan. 18, le programme "Toujours Charlie ! De la mémoire au combat" (Paris, 6 jan. 18), Marianne : "Plus que jamais soyons Charlie !" (5 jan. 18) (note du CLR).
Comité Laïcité République
Maison des associations, 54 rue Pigalle, 75009 Paris
Voir les mentions légales