Ariane Mnouchkine, Prix National de la Laïcité. 5 novembre 2019
Ariane Mnouchkine, fondatrice et animatrice du Théâtre du Soleil.
Représentée par Simon Abkarian et Alexandre Zloto.
Madame la Maire, Mesdames, Messieurs, chers amis,
Nous vivons vraiment une drôle d’époque.
Oui, une drôle d’époque où, au plaisir de recevoir le Prix national de la Laïcité, se mêle, je dois l’avouer, comme un léger pressentiment d’être d’un seul coup devenue une cible et d’avoir à rejoindre le groupe grandissant des accusés subissant les réquisitoires journalistiques ou informatiques de dizaines de procureurs autoproclamés et se disant très en colère.
Oui, étrange époque que celle où le simple fait d’affirmer, selon la loi, vouloir tenir en respect les religions, toutes les religions, leurs églises, toutes leurs églises, synagogues, temples et mosquées, toutes leurs dérives autoritaires, leurs maladies, leurs sectes, leurs dévots, leurs bigots, leurs zélotes, ferait de nous, selon certains, les ennemis d’une seule religion et de ses innombrables et plus sincères et républicains fidèles.
Arx Tarpeia Capitoli proxima. Oui, en apprenant la nouvelle, je me suis dit : le Prix de la Laïcité est proche du Pilori.
Cela dit, je suis très honorée et fière de rejoindre ceux qui, avant et bien plus que moi, méritent le titre de défenseurs de la laïcité et donc de cette loi de 1905 qui s’avère devoir être appliquée, périodiquement, pour refroidir les ardeurs enflammées confessionnelles de tel ou tel directeur de conscience, prédicateur ou chef de guerre, surgi du fond des âges, de religions toutes culturellement plus admirables les unes que les autres, dispensatrices de chefs d’œuvre architecturaux, picturaux, musicaux, littéraires, philosophiques même, mais malheureusement sujettes à de cycliques éruptions de fièvres dominatrices, prosélytes, mysoginiques, homophobiques, censurantes, liberticides, haineuses et meurtrières à l’égard de toutes différences de pensées, d’ethnies et d’abord de… convictions religieuses !
Se réclamant de leur dieu, unique ou innombrable, pour prendre le pouvoir, sur une famille comme le Tartuffe de Molière ou le diabolique pasteur d’Ingmar Bergman dans Fanny et Alexandre, ou sur tout un pays comme feu le Mollah Omar en Afghanistan, ou sur le monde entier comme feu Oussama Ben Laden, tous sont criminels. Et tous sont bourreaux, d’abord, de leurs coreligionnaires.
La laïcité est, sinon le seul et suffisant, du moins le premier et nécessaire bouclier que la République possède pour protéger celles et ceux qui sont à portée de leur folie et sanctuariser la liberté de conscience de celles et ceux qui, sans cela, de par leur proximité culturelle et historique, bien plus que par leur foi qui est diverse et souvent absente, se retrouvent otages de dogmes tyranniques.
Telle est ma conviction la plus sincère et réfléchie.
Je vous remercie de l’honneur que vous me faites ce soir et de la confiance que vous me témoignez.
Ariane Mnouchkine
Voir aussi la rubrique Prix de la Laïcité 2019 dans Prix de la Laïcité (note du CLR).
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