Revue de presse

"Une ligne de bus créée pour la sécurité des juifs à Londres : le multiculturalisme mène au "vivre-séparé"" (A. Rosencher, L’Express, 12 sept. 24)

(A. Rosencher, L’Express, 12 sept. 24). Anne Rosencher, journaliste, directrice déléguée de la rédaction de "L’Express". 17 septembre 2024

[Les éléments de la Revue de presse sont sélectionnés à titre informatif et ne reflètent pas nécessairement la position du Comité Laïcité République.]

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Lire "Une ligne de bus créée pour la sécurité des juifs à Londres : le multiculturalisme mène au "vivre-séparé"".

"[...] Les dernières semaines ont révélé, outre-Manche, des tensions et des tourments identitaires qui, par leur ampleur, semblent encore plus graves et dangereux que les nôtres. Il y eut, d’abord, au cœur de l’été, comme une promesse de guerre civile. Elle faisait suite au meurtre, le 29 juillet, de trois petites filles, sauvagement attaquées au couteau dans une école de danse de Southport (au nord-ouest de l’Angleterre). L’affaire avait, bien sûr, ému le pays.

Puis, dans les jours suivants, provoqué des manifestations anti-immigration violentes – un centre pour migrants visé, une mosquée menacée… –, en grande partie organisées par des mouvements d’extrême droite, dont l’English Defence League.

En face, des cortèges islamistes, parfois armés, entreprirent également de faire la démonstration de leur force. Comme à Bolton, le 4 août, où une foule d’hommes vêtus de noir a scandé des menaces à l’unisson.

C’était fin juillet/début août. La magie des JO battait son plein. La rentrée a, ensuite, apporté son lot de tracas et de "breaking news". De sorte que nous n’avons pas pris la mesure de ce qui s’était passé, ces jours de fièvre, au Royaume-Uni. Ni compris l’alerte que cela constituait.

Et maintenant, venons-en à cette nouvelle récente, que j’ai dû relire plusieurs fois pour vérifier qu’elle n’était pas un canular : ce mercredi 4 septembre, le maire de Londres Sadiq Khan a annoncé avoir mis en place une ligne de bus dans le nord de la capitale à destination des juifs : "J’ai été sensible aux témoignages de familles effrayées par les insultes et les menaces dont elles faisaient l’objet lors de leur changement de bus", a-t-il expliqué. Désormais, donc, une ligne dédiée reliera Stamford Hill à Hackney et Golders Green à Barnet – quartiers où vivent de nombreux juifs orthodoxes, facilement reconnaissables à leur tenue.

La BBC nous apprend qu’en réalité, cela fait plus de dix ans que des juifs londoniens réclamaient cette ligne "sécurisée". Mais depuis le 7 octobre, l’antisémitisme islamiste s’est tellement déchaîné dans les rues de Londres que cette requête devenait nécessité – rappelons, au passage, que le très sérieux quotidien The Telegraph titrait, le 7 mars dernier, sur le fait que la capitale britannique était devenue une "no-go zone" pour les juifs, à cause de la tournure virulente, menaçante et identitaire qu’y prenaient les manifestations de soutien aux Palestiniens.

A bien des égards, le 7 octobre a agi en "stress test" pour les sociétés occidentales. L’exemple britannique nous montre à quel point le modèle multiculturaliste poussé à son terme conduit au séparatisme. La sacralisation de la différence, la mise en avant des coutumes particulières plutôt que le socle commun et l’accommodement avec les injonctions politiques des religions ne pacifient pas les sociétés. Elles les antagonisent ; les rendent vulnérables aux conflits qui se jouent à des milliers de kilomètres.

Les hérauts du multiculturalisme n’ont que le mot de "vivre-ensemble" à la bouche, mais il a une drôle de tête leur vivre-ensemble : celle de bus pour les juifs.

Le modèle français, que nous avons laissé s’effriter, est censé nous protéger de cela : en reléguant au second plan les revendications particulières, en réclamant la discrétion des cultures d’origines, notre héritage philosophique est souvent critiqué (notamment par les Anglo-Saxons) pour son "manque de tolérance". Mais c’est au contraire en fabriquant de la citoyenneté républicaine qu’on cimente une société. Cet état esprit perdure chez beaucoup de Français de toutes origines, de toutes religions. C’est pourquoi nous n’en sommes pas au niveau des tourments du Royaume-Uni. Mais ne nous leurrons pas : notre nation a déjà en partie basculé dans le modèle multiculturaliste, et la partition géographique qui va avec. Si nous continuons ainsi, si nous ne nous rapproprions pas l’universalisme républicain, nous irons au-devant d’irréversibles dangers."


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