9 avril 2018
"Dans la cité champenoise, l’installation d’une école Espérance Banlieues au sein d’un établissement public fait des remous.
A la rentrée prochaine, la cour de récré de l’école élémentaire Barthou, implantée dans les quartiers de Reims et classée en réseau d’éducation prioritaire renforcé (REP +), sera coupée en deux. D’un côté du grillage vert, fraîchement installé, le bâtiment de l’école publique. Sur ses fenêtres s’affiche en grosses lettres "Liberté, égalité, fraternité, laïcité". Il continuera d’accueillir ses élèves, comme aujourd’hui.
De l’autre, dans une partie des locaux du groupe scolaire, aujourd’hui vacants, s’installera le cours Colibri, issu du réseau Espérance Banlieues. Ces écoles privées hors contrat ne se reconnaissent pas comme "laïques", mais se disent "aconfessionnelles". Elles se sont donné pour mission de "lutter contre l’échec scolaire et de transmettre le meilleur de la culture française" et se distinguent par leurs méthodes "à l’ancienne" : levée de drapeaux le matin, apprentissage de La Marseillaise, uniforme vert pour les garçons et violet pour les filles, corvées de vaisselle, vouvoiement de rigueur...
Un enseignement jugé "innovant" et "salutaire" par ses défenseurs. Mais perçu comme "réac" et "dangereux" par ses détracteurs, notamment par le Comité départemental d’action laïque (qui regroupe des délégués rémois de l’Education nationale, ainsi que des syndicats de parents d’élèves et d’enseignants). "Des écoles privées hors contrat, il y en a déjà à Reims, cela ne nous a jamais posé de problème. C’est le fait qu’Espérance Banlieues s’installe ici, au coeur d’une école publique, qui est pour nous inacceptable et vécu comme une provocation !" explique Aline Geeraerts, présidente de l’UNSA Education de la Marne. "Nous sommes complémentaires, puisque nous touchons les élèves en situation de décrochage, notre but étant de les ramener sur les bancs de l’école", rétorque Alix Pelletreau, présidente de l’antenne rémoise d’Espérance Banlieues.
Pourquoi cette installation suscite-t-elle autant de remous ? Assiste-t-on à une énième guerre entre le public et le privé ? Ou bien les différents sont-ils plus profonds ? Depuis sa création, en 2012, l’association Espérance Banlieues a essaimé. L’école de Reims sera la douzième à ouvrir ses portes en France. "Développer un modèle d’école spécialement adapté aux besoins des banlieues et instruire chaque enfant de manière rigoureuse et structurée", telle est l’ambition affichée. "L’idée étant d’avoir de petits effectifs - environ 15 élèves par classe -, d’assurer un suivi permanent et personnalisé, d’impliquer au maximum les parents pour les aider à remplir pleinement leur rôle d’éducateurs", explique Alix Pelletreau.
Pour les familles, cette école a un coût : environ 60 euros par mois. Pour le reste, le financement ne repose que sur le mécénat et sur des dons privés. Lors de son lancement, très médiatisé, l’association a pu compter sur le soutien de son parrain, le journaliste Harry Roselmack, ou encore sur celui de l’humoriste Jamel Debbouze. En avril 2016, l’actuel ministre de l’Education nationale, Jean-Michel Blanquer, était intervenu lors d’un colloque d’Espérance Banlieues. "Le projet rassemble, à mes yeux, les ingrédients de ce qui réussit dans le système scolaire", avait déclaré celui qui était encore alors directeur de l’Essec. Depuis son arrivée Rue de Grenelle, l’homme se fait plus discret sur le sujet.
Ce qui met en émoi les opposants à l’implantation d’Espérance Banlieues, ce sont avant tout ses réseaux, proches de certains milieux catholiques. L’association fut initialement abritée par la Fondation pour l’école, dirigée par Anne Coffinier, l’une des égéries de la Manif pour tous. Et le fondateur d’Espérance Banlieues n’est autre qu’Eric Mestrallet, ex-attaché parlementaire de Bernard Seillier, vice-président du Mouvement pour la France de Philippe de Villiers. Enfin, c’est à Montfermeil, en Seine-Saint-Denis, dans la ville de Xavier Lemoine, vice-président du Parti chrétien-démocrate de Christine Boutin, que la première école avait ouvert ses portes en 2012... "Ce qui se passe au niveau national ne nous concerne pas. Nous n’avons absolument aucun lien avec la Manif pour tous, assure Alix Pelletreau. Avec son mari, lui aussi engagé dans l’association, elle a quitté Paris pour s’installer à Reims en 2011. La jeune femme est aujourd’hui consultante en marketing. Sylvain Pelletreau, lui, est avocat, spécialisé dans le droit de l’environnement.
Avant Reims, Espérance Banlieues s’est implantée à Montfermeil, Asnières, Sartrouville, Mantes-La-Jolie, Roubaix, Saint-Etienne, Angoulême, Pierre-Bénite, Marseille, Argenteuil, Angers... Onze villes, toutes dirigées par des maires de droite. Dans certaines de ces communes, l’opposition n’a pas manqué d’agiter le chiffon rouge, accusant la majorité de favoriser l’implantation de ces écoles censées ne fonctionner qu’avec des fonds privés.
Lors du conseil municipal de la cité champenoise, le 5 février dernier, le premier magistrat Arnaud Robinet (LR), a ainsi dû répondre aux attaques de l’élu socialiste Eric Quénard. "Le maire s’était engagé à ne pas verser un centime d’euro à l’association. Or, bien que celle-ci en possède déjà les clefs, elle ne commencera à verser un loyer qu’à partir du 1er septembre prochain. Elle bénéficie donc de six mois de loyer gratuit, soit un total de 7 110 euros, explique-t-il. Par ailleurs, la pose du grillage destiné à séparer le terrain, mais dont l’école publique n’a jamais eu besoin pour fonctionner, aura coûté 41 000 euros à la ville !"
D’autres failles juridiques sont mises en avant par l’opposition municipale qui a saisi le tribunal administratif. Mais Alexandre Mora, le directeur de cabinet du maire, se dit serein. "La ville, en louant des locaux inoccupés à une association, tout en veillant à effectuer quelques travaux pour préserver la sécurité des enfants, est tout à fait dans son droit", assure-t-il.
Pour tout ce qui touche à la pédagogie et aux principes éducatifs, il s’en remet à l’Education nationale, chargée d’inspecter régulièrement ce type d’école. "A eux de veiller et de dénoncer d’éventuels dysfonctionnements. Pour l’instant, à ma connaissance, Espérance Banlieues n’a fait l’objet d’aucun rappel à l’ordre", poursuit Alexandre Mora. Le 29 mars dernier, l’Assemblée nationale a justement adopté une loi visant à mieux encadrer le régime d’ouverture et de contrôle des établissements privés hors contrat.
Du côté des associations de parents d’élèves locales, les avis sont partagés. Si la FCPE de Reims clame ouvertement son opposition, la PEEP est, elle, plus nuancée. "Le fait que cette association tente de pallier les manquements de l’Education nationale ne me choque pas. Chacun est libre de choisir l’enseignement qu’il souhaite pour ses enfants", explique son vice-président rémois, Jean-François Ferrando, qui pose, toutefois, la question des résultats. "J’ai essayé d’obtenir à plusieurs reprises des chiffres nationaux, mais je n’ai reçu à ce jour aucune réponse concluante", déplore-t-il.
Même opacité, selon lui, sur les programmes qui y sont appliqués. "Nous nous concentrons sur les fondamentaux, c’est-à-dire le français, les mathématiques et, bien sûr, l’histoire-géographie pour qu’ils puissent aimer notre pays", explique Alix Pelletreau. Pas d’informatique, ni d’anglais "car les élèves se doivent de maîtriser parfaitement notre langue avant". A Reims, Espérance Banlieues n’accueillera les enfants que du CP au CM2. Et après ? Les élèves arriveront-ils à se réinsérer dans un système plus classique ? "Cela ne nous inquiète pas. Mais si nous obtenons les fonds nécessaires, nous envisageons d’ouvrir un collège dans deux ou trois ans, pour assurer une continuité", poursuit Alix Pelletreau.
Autre point de discorde : pour exercer dans une école Espérance Banlieues, aucun diplôme ni formation spécifique ne sont exigés. Mais c’est le propre de ces établissements hors contrat de procéder eux-mêmes au recrutement des enseignants et de les rémunérer directement. Leur position par rapport à la place des religions à l’école ne semble pas toujours comprise non plus. "Espérance Banlieues se dit "aconfessionnel", mais la plupart du personnel est catholique, tout le monde le sait. On a l’impression qu’ils avancent masqués ; ce que l’on craint, c’est le risque de prosélytisme", explique Luc Jan, président de la FCPE de Reims. "Prosélytisme", le mot est lâché. Alix Pelletreau, tout en se reconnaissant, elle-même, comme catholique, préfère mettre en avant sa "foi en l’homme" plutôt que sa "foi religieuse". "Nous devons aider chaque enfant à aller chercher le trésor qu’il a en lui, explique-t-elle. Si on peut l’aider à la base, l’arroser d’instruction et de patience, on arrivera à obtenir une belle plante".
La jeune femme reconnaît ne pas partager la vision de la laïcité de ses futurs voisins de l’école publique : "Chez nous, la religion n’est pas taboue. Il nous paraît difficile de demander à nos élèves, en grande partie musulmans et dont la vie est rythmée par la religion, de taire leurs croyances." Et que pense-t-elle de ces articles de presse qui évoquent la présence de crèches à Noël, de prières chrétiennes affichées en salles des profs, de noms de saints donnés à des médailles ? "Si certains enseignants éprouvent l’envie de se réunir entre eux pour une petite prière avant de commencer les cours, pourquoi pas", répond-elle.
Malgré toutes ces divergences, Alix Pelletreau espère bien établir un dialogue - pour l’instant inexistant - avec le corps enseignant de l’école voisine. Les deux établissements partageront la même entrée, le même terrain de basket, les factures d’électricité et de chauffage... "Incroyable ! Ce n’est pas à l’école publique de s’adapter, s’agace Aline Geeraerts, de l’Unsa Education de la Marne. Beaucoup d’enseignants se disent inquiets, à juste titre." Ultime ironie du sort : il y a deux ans, l’école Barthou avait gagné un concours sur la laïcité. Un arbre avait été symboliquement planté dans la cour, à cette occasion, en présence des élus locaux. Or ce fameux arbre se trouve aujourd’hui du côté de l’école Espérance Banlieues. De quoi attiser encore un peu plus les tensions."
Voir aussi le dossier Ecoles privées "Espérance banlieues" (note du CLR).
Comité Laïcité République
Maison des associations, 54 rue Pigalle, 75009 Paris
Voir les mentions légales