8 octobre 2023
[Les éléments de la Revue de presse sont sélectionnés à titre informatif et ne reflètent pas nécessairement la position du Comité Laïcité République.]
"Sylvaine avait 7 ans quand sa grande sœur Cathy s’est pendue au sein de la Communauté des Béatitudes. Un drame maquillé par cette communauté catholique, accusée d’abus sexuels et de dérives sectaires, qui ont mystifié son décès pour en faire une sainte et attirer de nombreux fidèles, au détriment de la vérité pour la famille. C’est pour cette vérité que Sylvaine se bat aujourd’hui.
Lorraine Redaud
Lire "Témoignage. Un suicide maquillé en mort mystique : le combat de Sylvaine contre les Béatitudes"
« J’ai grandi sur les genoux des bourreaux de ma sœur. » À 7 ans, Sylvaine Coquempot n’imaginait pas que le décès de sa grande sœur Cathy deviendrait un événement mystique. À 52 ans désormais, il lui est encore difficile de croire qu’une communauté catholique ait pu élaborer un mensonge aussi grand sans jamais être inquiétée.
Cathy avait 21 ans lorsqu’elle a été retrouvée morte dans son lit. Quatre ans plus tôt, elle avait croisé le chemin de la Communauté des Béatitudes [1], comme on rencontre aujourd’hui les Témoins de Jéhovah, avec un petit stand dans la rue. « Elle était paumée, fragile. La Communauté lui a promis monts et merveilles. », raconte aujourd’hui sa petite sœur. Nous sommes en 1975. Les Béatitudes, communauté catholique issue du mouvement du renouveau charismatique, ont été créées deux ans plus tôt par un quatuor de couples : les Hammel, les Dahler, les Madre et les Croissant. C’est au sein de cette dernière union que se niche celui qui deviendra un véritable gourou, Gérard Croissant, plus connu sous le nom de « frère Ephraïm » et aujourd’hui accusé de « viol et de non-dénonciation de crimes pédophiles ». Les faits étant prescrits, il n’a jamais été inquiété par la justice.
Le petit groupe a élu domicile dans un couvent à Cordes-sur-Ciel, dans le Tarn. C’est là-bas que la jeune femme pose ses bagages pour trois ans : « Nous n’étions pas du tout religieux dans ma famille mais nous pensions que Cathy avait rencontré Dieu, qu’elle avait trouvé la paix. », se remémore Sylvaine. Tous les étés, la désormais quinquagénaire lui rend visite. L’endroit est ensoleillé, les gens agréables, accueillants. Et puis, à 4 ans, on ne peut pas imaginer que la grande sœur avec qui l’on joue à cache-cache dans le grand jardin vit un véritable supplice.
Exorcisme et abus sexuels
Car en coulisses, le beau vernis de la Communauté, dont les dérives ont déjà été pointées par nos confrères de Golias, s’écaille pour Cathy. Si, depuis, de nombreux faits ont été rendus publiques, à l’époque les Béatitudes sont en plein essor : les fidèles affluent de partout et le Vatican commence à s’intéresser de très près à cette communauté qui réussit à redynamiser l’Église. Pour la jeune femme en revanche, l’expérience vire au cauchemar. « Cathy a vécu un calvaire. Pendant quatre ans, elle a subi des abus et des séances d’exorcisme ». À deux reprises, l’adolescente tente de s’enfuir en fuguant. À chaque fois, elle est ramenée manu militari dans son couvent.
« Ma mère a complètement perdu pied à la suite du décès de Cathy. Je me suis retrouvée à vivre pendant deux ans à Pont-Saint-Esprit où j’ai été considérée comme la petite fille adoptive des supérieurs. Puis de mes 13 à 15 ans à Saint-Brolade en Bretagne, mais également pendant les vacances scolaires. », se souvient Sylvaine qui avait interdiction de pleurer sa grande sœur. À 17 ans, elle quitte la Communauté, peu amène à goûter les « dérives sectaires » présentes. Sa mère, elle, continue à être sous la coupe des dirigeants sans pour autant s’installer avec eux. Chaque année, elle parcourt les 800 kilomètres qui la séparent du tombeau de Cathy pour aller se recueillir à la date de son anniversaire.
En 1979, Cathy change de lieu, direction Pont-Saint-Esprit, une petite commune dans le Gard, où les Béatitudes possèdent désormais un monastère. C’est là-bas qu’elle rendra son dernier souffle, là-bas aussi que les sévices ont continué si l’on en croit Sylvaine : « Les derniers mois, ma sœur était alitée sur son lit. Très souvent elle ne me reconnaissait pas, elle divaguait. » Un jour du mois de décembre, Cathy ne descend pas manger avec les autres. Un fidèle part la chercher. La jeune femme est allongée sur son lit, un voile de religieuse entoure son visage. Elle ne respire plus. Une crise cardiaque selon les fondateurs des Béatitudes.
Un suicide maquillé en miracle
Pendant plus de 30 ans, Sylvaine coupe court et n’entendra plus parler de la Communauté. Jusqu’à un soir de décembre 2019, où elle pense à sa sœur Cathy. En quelques clics sur Internet, c’est tout son monde qui s’effondre. Pédophilie, abus sexuels, abus spirituels, abus de pouvoir… La Communauté des Béatitudes est dans le viseur de la justice.
Sylvaine continue ses recherches, et tombe sur un documentaire de Karl Zéro, « Dans l’enfer des Béatitudes ». À la quatorzième minute, c’est le choc. Une photo de Cathy s’affiche sur son écran d’ordinateur. C’est le frère Cyril, ancien bras droit d’Ephraïm, qui la raconte : « Une jeune est arrivée après moi, elle avait une vingtaine d’années et venait de la prostitution [Cathy n’a jamais été prostituée, ndlr]. Donc il fallait la délivrer par exorcisme. Il y avait des prières d’exorcisme plusieurs fois par semaine et ce pendant des mois. (…) Quelque temps après elle s’est suicidée dans sa cellule. Très peu de personnes à la Communauté l’ont su. Encore aujourd’hui, dans les témoignages que peut donner Ephraïm, il parle de Cathy comme étant une Sainte qui est restée des mois allongée dans son lit et qui est morte de sa belle mort dans les mains de Dieu. »
Bien sûr, Sylvaine n’était pas dupe. « Avec mes sœurs, on s’est toujours dit que Cathy s’était suicidée avec des médicaments. Elle avait déjà fait des tentatives par le passé. » Mais pas de là à imaginer ce qu’il s’était réellement passé. En réalité, ce n’est pas dans son lit que la jeune femme s’est tuée mais en se pendant aux tringles à rideaux. Dans des auditions de gendarmerie datée de 2019 que Charlie a pu consulter, une fidèle raconte l’avoir découverte flottant au-dessus du sol. Elle pousse un hurlement qui attire les Hammel dont la chambre est située non loin de là. La suite, c’est Sylvaine qui la connaît : « Ils ont dépendu Cathy, l’ont mise dans le lit et ont caché les marques de strangulation avec un voile de religieuse. »
Le coup de pub de Gad Elmaleh
Des dizaines d’année durant, frère Ephraïm tournera le suicide de Cathy à son avantage, écrivant dans ses livres que « Sainte Thérèse de Lisieux est venue la chercher », que la jeune fille était une prostituée avant d’intégrer les Béatitudes et que la Communauté l’avait extirpée du vice. Un récit mensonger et cynique qui participe alors à la renommée des Béatitudes : « En août 2020, je suis retournée à Pont-Saint-Esprit avec une de mes sœurs. Sur place, deux jeunes de moins de 30 ans m’ont accueilli en me disant que ma sœur les avait guidés dans leur vie spirituelle ! », s’étrangle aujourd’hui Sylvaine.
Mais les Béatitudes vont encore plus loin : chaque année, ils célèbrent des messes blanches le jour de l’anniversaire et de la mort de Cathy. Pis, sa chambre a été transformée en oratoire et son corps placé dans un caveau gravé du titre « Sœur Catherine ». « La Communauté a fait signer des papiers à ma mère reconnaissant Cathy comme une religieuse. Mais elle ne l’a jamais été ! » De fait, les Béatitudes n’étant pas reconnues par le Vatican, il leur est impossible d’ordonner qui que ce soit. Un mensonge de plus que Sylvaine a tenu à rétablir quand en 2022, avec l’aide du Centre contre les Manipulations Mentales (CCMM) elle a exhumé le corps de sa grande sœur : « Quand j’ai appris la vérité en 2019, la savoir là-bas, m’a rendu malade. On ne voulait pas qu’elle repose auprès de ses bourreaux. Avant de partir, j’ai demandé aux pompes funèbres qu’ils cassent la pierre tombale de Cathy. »
Aujourd’hui Cathy « est libre », estime sa sœur. Mais Sylvaine refuse de s’arrêter là : « Mon combat ? Que l’Église reconnaisse le calvaire de Cathy, sa pendaison. Que les livres d’Ephraïm soient interdits et qu’ils arrêtent d’utiliser l’image de Cathy pour faire du prosélytisme. » Plus de quarante ans après les faits, les Béatitudes ont bien changé. Gérard Croissant a été relevé de son ministère de diacre par l’Église catholique en 2007 et poussé à quitter la communauté. Les Hammel et les Madre ont, eux aussi, été poussés vers la sortie après les différentes révélations sorties dans les médias. Seul Étienne Dahler continue de prospérer notamment sur les ondes de Radio Ecclesia, une station de radio catholique émettant du diocèse de Nîmes qu’il a fondé.
Quant aux fidèles toujours présents et désormais dispersés un peu partout dans le monde, c’est peu dire que tout va bien pour eux. Reçus par le Pape en avril, les nouveaux supérieurs continuent d’espérer l’adoubement du Vatican leur permettant ainsi d’ordonner leurs ouailles. Un allié inattendu est même venu se greffer à eux pour les encenser sur grand écran. Dans son film Reste un peu (2022), l’humoriste Gad Elmaleh, raconte son amitié avec une religieuse des Béatitudes, leur offrant ainsi un joli coup de publicité. « Je lui ai écrit mais il ne m’a jamais répondu. Son film donne une crédibilité énorme à la Communauté pour les jeunes et leurs parents, se désole Sylvaine. Interrogé par L’Express à ce sujet, Gad Elmaleh dit avoir rencontré une personne, devenue amie proche, sans pour autant mener une enquête sur la Communauté dont il ignore tout. Sylvaine de son côté ne perd pour autant pas une once de motivation dans son combat : « Je les ai prévenus. L’histoire de Cathy va leur péter à la gueule un jour ou l’autre. »"
[1] Interrogée par Charlie Hebdo, la Communauté des Béatitudes nous a indiqué avoir « fait le choix de ne pas donner suite à cette demande ».
Voir aussi dans la Revue de presse les dossiers Communauté des Béatitudes, L’Eglise catholique et la pédocriminalité dans Eglise catholique (note de la rédaction CLR).
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