Riss, directeur de la publication de "Charlie Hebdo". 28 avril 2022
[Les éléments de la revue de presse sont sélectionnés à titre informatif et ne reflètent pas nécessairement la position du Comité Laïcité République.]
"[...] Après ce scrutin, des candidats vont disparaître et passer le flambeau à la génération suivante. Sans sombrer dans le dégagisme, on n’est pas mécontent de voir apparaître des leaders politiques plus convaincants que certains prétendants à cette élection. Un caractère bien trempé, une personnalité affirmée, peut aider un candidat à sortir du lot, mais encore faut-il qu’il ait l’occasion de montrer aux électeurs ce qu’il a dans le ventre.
La classe politique actuelle n’a pas été forgée par des circonstances fondatrices comme le fut la Seconde Guerre mondiale pour les générations précédentes. Quand on votait pour un candidat, on ne choisissait pas uniquement un camp, on votait aussi pour une histoire, celle pour laquelle il avait risqué sa vie pendant la guerre. Communistes, gaullistes, démocrates-chrétiens, socialistes… l’électeur était rassuré par le parcours de son candidat. C’est ce qui explique que pendant soixante ans l’extrême droite a été écartée de la vie politique. Son rôle pendant la guerre lui avait retiré toute légitimité pour être nommée à la tête de l’État.
Depuis une trentaine d’années, on a vu apparaître des personnalités qui n’avaient pas été confrontées à des épreuves aussi révélatrices que la guerre. Aujourd’hui, l’histoire personnelle des candidats ne joue quasiment aucun rôle dans le fait qu’ils s’imposent. C’est uniquement par les mots, la parole, certains diront la parlote, qu’ils doivent fabriquer leur crédibilité. Cette élection aura été une belle tribune pour les beaux parleurs et les merles chanteurs, mais une Bérézina pour ceux qui n’avaient pas le talent de capter l’attention des foules par la puissance de leur verbe.
On a la guerre que l’on peut. Macron, lui, s’est présenté comme le chef militaire qui avait terrassé le Covid et a accusé Marine Le Pen d’avoir trahi sa patrie en ayant souscrit un emprunt à la Russie de Poutine. Les décisions des uns et des autres sont examinées pour leur donner une signification qui les légitimera ou les discréditera. Les indices pour évaluer un candidat sont maigres et, aujourd’hui, les électeurs donnent leur voix comme s’ils achetaient une voiture neuve, en espérant qu’elle roulera bien puisque c’est un nouveau modèle.
C’est peut-être pour cela qu’autant de gens, y compris de gauche et parfois assez jeunes, ont voté Marine Le Pen. L’histoire de Marine Le Pen n’est pas suffisamment édifiante pour les éclairer sur sa personnalité. Son parcours n’est pas aussi scandaleux que celui de son père, mais pas non plus particulièrement glorieux. On a beau lui prêter telle ou telle intention, telle ou telle fréquentation, beaucoup d’électeurs ont dû se contenter de photos d’elle entourée de ses petits chats pour deviner qui elle est et surtout ce qu’elle serait capable de faire.
Elle n’est pas la seule dans ce cas. C’est ce qui aura été assez flippant dans ce scrutin présidentiel : on nous a proposé de voter pour des personnalités qui ne semblaient pas elles-mêmes convaincues de leur capacité à diriger. Le soir de l’élection, les militants vus à la télé semblaient lassés, les anciens candidats, vidés, et le vainqueur, fatigué.
La mobilisation contre la candidate d’extrême droite a donné l’illusion que notre démocratie était dynamique et invincible. Si nous n’avons rien d’autre que ce genre d’épouvantail pour redonner vigueur et force à nos valeurs, on n’a pas fini de voir augmenter l’abstention et grandir chez les Français leur désintérêt pour la vie de la cité."
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