21 janvier 2011
La « révolution de jasmin » ouvre au peuple tunisien la voie de la démocratie et, au-delà, appelle le monde arabe à un choix décisif : laïcité ou islamisme.
Tous les démocrates se réjouissent de la chute d’un régime fondé sur la prévarication et la force et soutiennent le mouvement populaire qui devra conduire à des élections transparentes, à la mise en place d’institutions démocratiques, à des mesures économiques et sociales de simple justice.
Cette expérience, que les pays européens n’ont pas su anticiper, telle une onde de choc se propage dans le monde arabe comme un exemple, un message d’espoir pour les peuples, un message de crainte pour nombre de leurs dirigeants.
Comment ne pas s’en réjouir ? Mais nous savons que la chute du Shah d’Iran, dont nous dénoncions à l’époque le régime despotique, a ouvert la voie à celui, obscurantiste et dictatorial, des ayatollahs et au tsunami de l’intégrisme islamique.
A défaut d’une véritable montée en puissance de la démocratie dans le monde arabe, face à des régimes autoritaires et souvent corrompus, la tentation islamique apparaît déjà comme une alternative politique. Car l’islamisme, avant d’être une doctrine religieuse, est une idéologie proprement politique, l’idéologie d’une dictature et d’abord d’une dictature sur les consciences fondée sur la communauté de la « vraie foi » quand les totalitarismes du vingtième siècle reposaient sur la « supériorité » de la race ou d’une classe sociale.
L’islamisme est un projet identitaire qui se nourrit de la détestation de l’Occident, des Lumières, de la liberté de penser, de croire autrement ou de ne pas croire, de l’égalité entre hommes et femmes, de la démocratie présentée comme arme d’une conspiration contre les peuples arabes ! Mensonges paranoïaques quand le propre des principes des Lumières est de s’adresser à l’humanité toute entière, à toutes les femmes et à tous les hommes, quelles que soient leurs origines, leurs cultures...
Par la haine de l’autre qu’il développe, la violence qu’il pratique, le dogmatisme qu’il profère, l’islamisme ressemble comme un frère au populisme xénophobe qui se développe sous nos yeux en Europe. Complicité d’intérêts, complicité des bottes et des turbans : elles se nourrissent l’une de l’autre !
La montée en puissance d’un mouvement démocratique en Tunisie, pays qui dans sa jeune histoire a posé les bases d’une démocratie laïque et notamment l’égalité hommes-femmes à l’époque du Président Bourguiba, interpelle l’ensemble du monde arabo-musulman.
L’heure du choix pointe à l’horizon, entre laïcité et islamisme. Un choix qui est déjà au cœur de la société turque, en Afghanistan, en Irak, en Égypte. Quel que soit le pays, quel que soit le peuple, la démocratie à venir ne pourra être que laïque car seule la laïcité permettra la tolérance mutuelle entre majorités et minorités d’origines différentes, la liberté de conscience pour chaque citoyenne et chaque citoyen, l’égalité des droits, notamment entre hommes et femmes.
« Il ne s’agit pas d’imiter le modèle occidental mais d’assimiler la dimension universelle » plaidait un philosophe égyptien, Fouad ZAKARYA [1].
Ce serait la plus belle surprise de ce siècle encore nouveau : l’entrée du monde arabo-musulman dans la démocratie et son retour dans l’universalisme des Lumières auxquelles il a contribué un temps.
Ce serait la réponse la plus intelligente aux populistes européens qui attisent la xénophobie comme réponse à l’islamisme et aux islamistes qui veulent imposer l’obscurantisme en réponse à l’Occident. Une réponse cinglante aux tenants du choc des civilisations.
Ce serait le projet le plus pertinent pour les héritiers de la brillante Carthage qui n’ont aucune raison d’entrer dans l’Histoire à reculons. En ce sens, au delà de l’Histoire et des affinités, la « révolution de jasmin » nous concerne et nous implique. Elle parle à notre cœur et à notre raison.
Ce qui se joue sur toute la rive sud de la Méditerranée et d’abord en Tunisie, aura des conséquences lourdes sur nos propres enjeux ici et bientôt. Les Nations européennes, sans s’immiscer dans les débats internes du jeune mouvement démocratique, doivent concourir à empêcher les instrumentalisations et à soutenir le développement économique sans lequel il n’y a pas de démocratie.
A tous les Tunisiens engagés dans ce mouvement, nous voulons témoigner notre amitié, notre solidarité, notre soutien et notre affection républicaine et laïque.
Patrick KESSEL
Président du Comité Laïcité République
[1] Auteur de Laïcité ou Islamisme, Editions La Découverte, 1991.
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