Revue de presse

"Tuerie d’Uvalde : Dieu reconnaîtra les siens" (J.-Y. Camus, Charlie Hebdo, 1er juin 22)

12 juin 2022

[Les éléments de la revue de presse sont sélectionnés à titre informatif et ne reflètent pas nécessairement la position du Comité Laïcité République.]

"En dépit des tueries qui se succèdent à un rythme soutenu aux États-Unis, aucune mesure législative n’est prise, y compris par le pouvoir démocrate. La conception américaine de la religion pourrait bien y être pour quelque chose.

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Il existe des kilomètres de commentaires sur la tuerie d’Uvalde, au Texas, dont quelques-uns incitent à la prudence. Par exemple l’idée saugrenue selon laquelle la division entre partisans et adversaires de la vente libre des armes recou­perait celle entre démocrates et républicains. Oui, les républicains sont généralement très attachés à la liberté de porter des armes, mais non, tous les démocrates ne sont pas partisans de l’interdiction. Et quand John Kennedy était président, il n’a, hélas pour lui, pas voulu ou pas pu légiférer sur le ­sujet, pas ­davantage que ses successeurs disposant eux aussi d’une majorité.

Il faut chercher ailleurs les raisons pour lesquelles les tueries s’enchaînent et n’entraînent que la litanie habituelle des déclarations compassionnelles, des veillées de prière et l’oubli. On pointe la puissance du lobby des fabri­cants et des vendeurs d’armes. Certes. Mais l’Amérique est une ­nation fondamentalement religieuse, et il faut interroger le lien entre ce fait indéniable et la véritable passion des armes qui anime nombre de ses citoyens.

Nonobstant cette particularité que le tueur d’Uvalde est un Latino, donc qu’il vient d’un milieu culturellement catholique, les États-Unis sont de culture protestante, et cela ­importe. Les défenseurs des armes sont souvent les mêmes que ceux qui ont une aversion envers tout empiétement de l’État sur leur droit naturel à vivre comme ils l’entendent. Et cette défiance vis-à-vis de toute régulation des droits individuels vient d’une interprétation dévoyée de la tradition protestante de résistance au pouvoir temporel absolutiste, tradition que l’Histoire explique, mais qui s’est transformée, outre-Atlantique, en individualisme libertarien.

L’autre lien entre la culture religieuse et ce fatalisme très américain face aux tueries de masse est l’injonction contradictoire que contient la théologie de Calvin (dont la pensée imprègne une bonne partie du protestantisme américain) sur la responsabilité humaine. D’un côté, chez Calvin, l’homme a une responsabilité morale à faire le bien, à se révolter contre la tyrannie : ce dernier point est à la base de la guerre d’indépendance américaine. Mais d’un autre côté, Calvin est providentialiste : pour lui, tout ce qui arrive – les événements naturels comme nos actions – est déterminé par la toute-puissance d’un Dieu qui détermine d’avance qui sera sauvé et qui ne le sera pas.

L’Américain moyen n’est pas théologien. Il retient donc qu’une tuerie entre dans le dessein de Dieu, dont la volonté nous est incompréhensible mais qu’il faut accepter. Il pense que l’auteur de la tuerie ira en enfer, et que c’était, de toute façon, son destin. Bref, légiférer ne sert à rien : pour éviter de devenir un meurtrier de masse, il suffit de craindre le jugement divin. Quant à Dieu, il entend monter les prières des familles des victimes et des hommes et femmes de foi, et son courroux qui s’apaise est censé éviter d’autres massacres. Voilà pour la théorie. En pratique, une bonne loi sévère ­votée par le Congrès à l’initiative d’un président courageux (­Biden  ?) offre plus de garanties de réussite."

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