21 juillet 2022
[Les éléments de la revue de presse sont sélectionnés à titre informatif et ne reflètent pas nécessairement la position du Comité Laïcité République.]
"Durant cent cinquante ans, l’Eglise catholique a participé au génocide de la culture amérindienne. Au Canada à partir du 24 juillet, le pape François va demander pardon.
Hélène Jouan (Montréal)
Après ceux de Jean-Paul II et Benoît XVI, le voyage de François au Canada s’annonce historique. A son arrivée en Alberta (centre du pays) le 24 juillet, le pape se rendra sur les lieux du pensionnat pour autochtones d’Ermineskin, proche de la capitale régionale Edmonton. Sur ce lieu maudit, il rencontrera les survivants de l’une de ces écoles d’"assimilation forcée", cette politique nationale en vigueur de 1831 à 1996. Et prononcera les excuses officielles de l’Eglise catholique. "Je ressens de la honte, de la douleur et du déshonneur face au rôle que certains catholiques ont joué dans tout ce qui vous a blessés, dans les abus, le manque de respect de votre identité et de votre culture", avait déclaré le souverain pontife en avril dernier au Vatican, en présence d’une délégation d’Inuits, de métis et de peuples des premières nations. "De tout mon coeur, je suis vraiment désolé", avait ajouté le pape octogénaire à la santé fragile.
Pendant presque deux siècles, 150 000 enfants inuits, iroquois, mohawks, cris ou encore algonquins - les communautés présentes sur le vaste territoire canadien huit mille ans avant l’arrivée des Français au XVIe siècle, et des Britanniques au XVIIIe - ont été scolarisés dans ces écoles dites "résidentielles".
En 1920, le gouvernement canadien modifie la "loi sur les Indiens" afin de rendre obligatoire la fréquentation de ces pensionnats, dont la gestion est assurée par les églises catholique et anglicane. "Ces écoles étaient l’un des instruments d’acculturation visant à transformer en bons petits Canadiens ces enfants autochtones, considérés comme des sauvages", explique l’anthropologue Marie-Pierre Bousquet, spécialiste du sujet à l’université de Montréal.
Originaire du nord du Québec, l’Algonquin Richard Kistabish a 6 ans lorsqu’un prêtre accompagné d’un policier de la gendarmerie royale se présente chez ses parents. Nous sommes en 1950. Comme chaque été, la famille nomade, après avoir passé l’hiver dans son territoire de chasse du grand Nord canadien, vient de dresser une tente au bord de la rivière dans la petite ville d’Amos. "Ils nous ont simplement dit : ’On va visiter l’école’", se souvient l’Amérindien, aujourd’hui âgé de 72 ans. Une vingtaine d’enfants montent à bord d’un camion, direction le pensionnat de Saint-Marc-de-Figuery, qui vient d’ouvrir ses portes à quelques kilomètres de là. Dans les régions les plus reculées du pays, voitures à cheval, bus et même hydravions sont affrétés pour arracher des milliers d’enfants à leur famille. Richard, le nouveau pensionnaire, restera dix ans sans voir ses parents.
"Le cauchemar a commencé dès le premier soir"
"Le cauchemar a commencé dès le premier soir", poursuit-il. Cheveux rasés, douché et frotté comme s’il fallait blanchir la couleur de sa peau, revêtu d’un uniforme européen bien éloigné de sa tenue traditionnelle en peau, il doit aussi s’habituer à un régime alimentaire nouveau. "L’odeur du bacon m’a soulevé le coeur pendant des années !" se souvient-il. Le processus de dépersonnalisation est implacable. Les enfants perdent leur prénom au profit d’un numéro. Parler leur langue natale est interdit. Ils doivent apprendre par coeur des phrases dans un idiome inconnu : le français. Très vite, les premières gifles tombent. "Se faire frapper pour ce que l’on était, des Indiens incultes qu’il fallait civiliser : encore aujourd’hui, j’ai du mal à me débarrasser de cette peur", avoue Richard Kistabish.
Responsables du pensionnat, les prêtres et soeurs de la congrégation des Missionnaires Oblats de Marie Immaculée - un ordre fondé en France en 1816 - multiplient sévices psychologiques et, parfois, physiques. Quatre des frères et soeurs de Richard Kistabish, eux aussi pensionnaires, affirment avoir subi des abus sexuels dans le confessionnal de la chapelle qui jouxtait l’école, aujourd’hui détruite. Depuis quelques années, une poignée de prêtres catholiques a été jugée et condamnée pour "pédophilie" au Canada. Des dizaines d’autres, dénoncés par leurs victimes présumées, profitent paisiblement de leur retraite.
La ségrégation et la stigmatisation sont érigées en politique d’Etat. Les femmes sont victimes de campagnes de stérilisation forcée. Dans les transports en commun, les "Blancs" sont séparés des "Indiens", qui ne bénéficient pas des mêmes droits civiques. Les autochtones doivent attendre 1971 pour bénéficier du droit de vote. Pour éradiquer les peuples et les cultures autochtones, les mineurs sont particulièrement visés, avec un seul objectif : "Tuer l’Indien au coeur de l’enfant", selon la terrible expression qui définit la politique de l’époque.
"Un génocide culturel"
Des premiers témoignages surgissent et, en 1991, le Canada instaure une Commission Royale sur les peuples autochtones afin de faire cesser abus et sévices. En 2008, une commission Vérité et réconciliation mène des milliers d’auditions auprès des survivants. Ses conclusions sont accablantes : ces écoles ont été l’instrument d’un "génocide culturel". La même année, le Premier ministre conservateur Stephen Harper brise le tabou en prononçant les mots tant attendus : "Nous regrettons." Excuses réitérées par l’actuel chef du gouvernement (libéral) Justin Trudeau, dès son arrivée au pouvoir en 2015.
A l’automne dernier, ce dernier institue une Journée d’hommage national aux victimes, le 30 septembre. Cette décision est consécutive au traumatisme de la découverte, au printemps 2021, de 215 tombes d’enfants - certains n’avaient pas 4 ans - non identifiés aux abords d’un ex-pensionnat, en Colombie-Britannique. Les décès n’avaient jamais été déclarés par les autorités religieuses. Depuis, d’autres recherches ont mis au jour près d’un millier de sépultures clandestines. A ce jour, 6 000 enfants autochtones sont toujours portés disparus.
Les traumatismes se perpétuent de génération en génération. Les parents d’hier ne se pardonnent pas d’avoir laissé leurs enfants partir. Et les enfants vivent avec la "honte d’être eux-mêmes", inculquée par les missionnaires. Quant à leurs descendants, ils se perdent dans une quête identitaire rendue impossible par l’effacement de leur culture.
Françoise Ruperthouse, de la communauté des Anishinabe, raconte des décennies de violences conjugales à son encontre, de tentatives de suicide et d’addictions aux drogues et à l’alcool. Aux souffrances endurées dans le pensionnat qu’elle a fréquenté lorsqu’elle était une petite fille s’est ajoutée une autre tragédie : la disparition, dans les années 1950, de deux de ses frères et soeurs emportés dès leur plus jeune âge par les autorités médicales afin d’être soignés hors de leur territoire. Les bambins ne sont jamais revenus. L’un a été retrouvé dans une fosse commune ; l’autre a été envoyée dans un hôpital psychiatrique à des centaines de kilomètres de chez elle sans que, jamais, ses parents n’en soient informés. "Ils étaient rongés par la culpabilité, alors qu’ils étaient des victimes et qu’on leur avait volé leurs enfants, s’indigne la sexagénaire. Je vis tous les jours avec ce passé." Qui ne passe pas."
Lire "Génocide culturel : au Canada, l’impossible oubli des Amérindiens".
Voir aussi dans la Revue de presse le dossier Canada : autochtones dans la rubrique Canada (note du CLR).
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