19 octobre 2011
"C’était le " temps béni " des colonies, des petits Nègres ébahis véhiculant le
reporter blanc en chaise à porteurs, de " missié Tintin " délivrant aux enfants
une leçon sur " Votre patrie, la Belgique ". Sous l’oeil de Milou dénonçant les
bavards. A Bruxelles, on descendait vers la Gare centrale par la rue des
Colonies, et on achetait des billets de la Loterie coloniale. On cirait les
chaussures avec du Negrito et, au cinéma Eldorado, place De Brouckère, les
enfants riaient devant le " gentil bamboula " aux dents immaculées présentant les publicités.
Autres temps, autres moeurs ? Peut-être car, depuis quelques jours, la justice
bruxelloise a décidé de mettre Tintin et Georges Remi, alias Hergé, son
créateur, en examen. Il a fallu près de cinq ans pour décider s’il fallait, ou
non, examiner en profondeur le contenu de Tintin au Congo afin de décider de son éventuel caractère raciste. Le parquet entendait réduire l’affaire à un
différend à trancher par le tribunal de commerce, afin d’éviter une discussion
sur le fond, susceptible d’évoquer un passé qui ne passe toujours pas dans le
royaume.
Un comptable congolais vivant en Belgique a fini par obtenir gain de cause,
puisque le tribunal de première instance s’est emparé de sa requête. Soutenu par le Conseil représentatif des associations noires de France (CRAN), Bienvenu Mbutu Mondondo a déposé plainte contre les éditions Casterman et Moulinsart, la société qui gère les droits commerciaux - autres que les droits d’édition - d’Hergé, mort en 1983.
Pour M. Mbutu Mondondo, Tintin au Congo véhicule " des préjugés abominables ", fait l’apologie du colonialisme et de la prétendue supériorité de la race blanche. Son combat s’inspire des actions menées dans les pays anglo-saxons, où l’album a quitté le rayon des livres pour enfants pour rejoindre celui réservé aux adultes. Il y est aussi assorti d’une introduction évoquant le contexte historique dans lequel il a été créé - en 1931, dans sa première version.
Le plaignant demande qu’à défaut, les versions française et néerlandaise de
l’ouvrage soient entourées d’un bandeau, porteur d’une sorte de mise en garde. Ses avocats s’appuient notamment sur une loi belge de 1981 punissant le racisme et la xénophobie. " Mettez-vous à la place d’une fillette qui découvre l’album avec ses camarades de classe ", expliquait Me Ahmed L’Hedim à l’ouverture du procès, le 30 septembre. Elle y trouverait, selon lui, " un homme noir paresseux, docile ou idiot, incapable de s’exprimer dans un français correct ". Son confrère, Me Alain Amici, allait jusqu’à réclamer l’interdiction complète de la commercialisation de la bande dessinée.
Réplique de l’un des défenseurs de la société Moulinsart, Me Alain Berenboom : " Si on censure Tintin au Congo en l’interdisant ou en obligeant l’éditeur à y
mettre un bandeau, c’est l’ensemble de la littérature mondiale qui va se
retrouver dans les tribunaux, de Simenon à la Bible ! "
L’affaire peut sembler caricaturale, elle suscite néanmoins un malaise. Elle a
d’abord fait sourire, elle amène aujourd’hui à exhumer le passé des héros
nationaux que furent Hergé et Tintin. Et ce quelques jours avant la sortie
ultramédiatisée, le 22 octobre, du Secret de la Licorne, que Steven Spielberg
présentera en première mondiale dans la capitale belge.
Georges Remi avait qualifié son deuxième album d’" erreur de jeunesse ",
influencé, disait-il, par l’air du temps, ses origines petites-bourgeoises et
par certains milieux ultraconservateurs. Problème : quand il a eu l’occasion de
rectifier son " erreur ", en 1946 et après, il n’a gommé que quelques détails
sans toucher au fond de l’histoire de " missié Tintin "."
Comité Laïcité République
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