Note de lecture

Th. Porcher - Comment remettre l’économie au service de l’humain ? (G. Durand)

par Gérard Durand. 21 septembre 2021

[Les échos "Culture" sont publiés à titre informatif et ne reflètent pas nécessairement la position du Comité Laïcité République.]

Thomas Porcher, Les délaissés. Comment transformer un bloc divisé en force majoritaire, éd. Fayard, Pluriel, avril 2021, 240 p., 8 €.

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Thomas Porcher est docteur en économie et professeur associé à la Paris School of Business. Issu d’une famille modeste, il a passé sa jeunesse dans une HLM de la banlieue parisienne, le Blanc Mesnil, et sait de quoi il parle lorsqu’il traite des sujets ayant trait à la vie quotidienne de ses concitoyens. C’est sur cette base qu’il a construit ce livre qui détonne avec le discours économique dominant et parfois pontifiant.

Son analyse de la situation actuelle ne s’éloigne jamais du concret. Constat de l’explosion des inégalités et de la captation des richesses produite par une toute petite classe. Les 1%, d’hyper privilégiés qui ont réussi l’exploit de ne jamais être sanctionnés même quand ils sont à l’origine directe des crises du système (subprimes en 2008) et de convertir les « élites » à la propagande libérale. Combien de livres, d’éditos pour vanter les bienfaits d’une libéralisation de l’économie ? Le chômage devient un échec personnel, transformant ainsi une difficulté en humiliation. Combien d’autres pour expliquer que les classes les plus démunies, ouvriers, employés, petits fonctionnaires ou paysans, qu’ils ont encore trop ? Trop de vacances, de services publics, de retraites... Bref, "ceux qui ne sont rien" [1] et que l’on méprise en les traitants d’illettrés, d’alcooliques, de racailles et de fainéants. C’est ceux-là que Thomas Porcher veut défendre. « L’économie est un sport de combat et j’ai choisi mon camp. »

Il reprend dans sa démarche les thèmes développés par des économistes, des statisticiens et des géographes de plus en plus nombreux. Celui de la France archipel [2], des gilets jaunes, des banlieusards et des paysans étranglés par le productivisme. Il s’arrête longuement sur le sort des cadres déclassés, ceux qui ne trouvent pas de travail correspondant à leur qualification et doivent se satisfaire des « bullshit jobs » décrits par David Graeber. Le déclassement est aussi financier. Entre 2005 et 2018, le salaire des managers à baissé de 3,9%, celui des ingénieurs de 0,5%, alors que les prix de l’immobilier explosaient. Dans le même temps, le développement de l’informatique rendait inutiles un nombre important de postes de cadres intermédiaires, 44 000 pour le seul secteur bancaire ou 22 000 dans le secteur des télécommunications.

La deuxième partie du livre suivra ce constat. Comment s’y prendre pour remettre l’économie au service de l’humain ? Notre auteur commence par l’analyse du phénomène le plus politique, celui de l’immigration, en séparant la réalité des fantasmes mais en analysant les causes. Le modèle de développement erroné qui va, par l’inégalité des échanges, pousser les populations de pays pauvres à émigrer vers les pays plus riches. C’est ainsi que l’on a vu la Grèce se vider de sa jeunesse la plus dynamique, ou les pays du Maghreb fournir à l’Europe des contingents d’ingénieurs ou de médecins. La politique criminelle du FMI, entièrement favorable aux pays riches, ruine des continents et premier lieu l’Afrique.

Il faut aussi sauver les services publics d’une pseudo gestion identique à celle du secteur privé, avec en objectif caché la volonté de les affaiblir. La technique est simple. En réduisant leurs moyens, ils deviennent de moins en moins performants et leur disparition, ou leur privatisation, devient une évidence acceptable par la population. Le tout organisé par une poignée de hauts fonctionnaires dont le seul but est de se servir par des allers-retours entre public et privé. La doxa dominante est « Haro sur les fonctionnaires », et tout candidat à une élection majeure se doit d’aligner le nombre de postes qu’il va supprimer. Moins de profs, d’infirmiers, de lits d’hôpitaux etc… Le petit fonctionnaire, voila l’ennemi du Bien. Vive la concurrence du privé qui fera baisser les prix ! Alors même que toutes les expériences conduites en ce sens ont prouvé le contraire.

Le libéralisme et le capitalisme financier ont perverti l’Europe. Seule une volonté réelle d’aller à l’affrontement peut permettre d’en sortir. Hélas, nous n’avons plus de de Gaulle. Le massacre de l’industrie française continue, pour le plus grand bien de l’Allemagne. Dans cette Europe, rien ne sert de voter, que ce soit pour le traité de Maastricht, la constitution européenne en 2005, ou pour le peuple grec. Un référendum ne sert que s’il approuve la politique libérale, dans le cas contraire il sera imposé par une autre voie.

D’autres propositions suivent. Elles sont nombreuses : dans beaucoup de domaines, les solutions existent, elles sont connues, comme la séparation de la finance entre activités de dépôts et spéculations financières. Ici encore la volonté d’affrontement manque cruellement, les lobbies sont nombreux et puissants. La volonté d’agir vraiment est inexistante, comme pour la transition énergétique. Argument imparable : « Ce problème ne peut être traité qu’au niveau européen ». Tout est dit et remis à plus tard.

Ce livre est riche d’enseignements. Le constat de notre situation est sans concessions. L’écriture est simple et rend la lecture attrayante.

Gérard Durand


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