"Pour vaincre le terrorisme islamiste :
- il faut arrêter de nier les évidences.
- il faut arrêter de se raconter des histoires.
- il faut arrêter de dire que tout est intégralement notre faute.
- L’évidence qui s’est imposée progressivement depuis le 11 janvier, c’est que cette immense manifestation patriotique, qui fera date, ne faisait pas l’unanimité. Le Front national en était absent, les jeunes musulmans des banlieues également. Ce que l’on a découvert au contraire, c’est une véritable béance dans la cohésion nationale, qu’a révélée, dans beaucoup d’écoles où se trouvaient de jeunes musulmans, la minute de silence à la mémoire des victimes. Pour la France, pour ses valeurs universalistes, pour son école, c’est un immense défi, que l’on a trop attendu pour relever.
- Ne plus se raconter d’histoires, c’est arrêter de répéter que tout cela n’a rien à voir avec l’islam. Le djihadisme a malheureusement beaucoup à voir avec l’islam. Et la reconstitution d’un califat, au Moyen-Orient, en Afrique, dans la mouvance de Boko Haram, encore davantage. La France n’est qu’un cas particulier ; et l’ensemble de l’Europe également. Dans ces conditions, attribuer les attentats actuels à quelques paumés devenus des barbares, sans racines et sans objet, c’est se moquer du monde, ou se plonger la tête dans les sables bitumineux.
Ecoutons ce que nous dit le philosophe Abdennour Bidar, dans sa « Lettre ouverte au monde musulman » [1], qui fait un tabac sur le site de Marianne. Ecoutons l’écrivain algérien Boualem Sansal, cet infatigable combattant de la liberté. Ecoutons la déclaration publiée dans le Monde daté du 11-12 janvier par plusieurs centaines d’intellectuels, d’artistes, d’enseignants, de chercheurs d’origine maghrébine et musulmane, dont Salman Rushdie. Et encore cet appel lancé par des laïcs d’origine islamique, publié dans l’Obs. du 14 janvier. Ecoutons Kamel Daoud, brillant et intrépide romancier algérien : le conflit actuel n’est pas extérieur à l’islam ; il passe au contraire à l’intérieur de l’islam, entre des courants obscurantistes mortifères et ceux qui représentent l’esprit de progrès et de raison. Notre devoir est d’être aux côtés de ces musulmans de progrès ; pour les soutenir et, au besoin pour les protéger.
- Enfin, on ne gagnera pas cette guerre, guerre larvée, guerre asymétrique, mais guerre tout de même, a dit justement Manuel Valls, en allant répétant sans trêve que c’est la faute de la France. J’appartiens à une génération qui a fait de la lutte contre le colonialisme le cœur de son engagement politique. Aussi loin que remontent mes souvenirs, c’est pour des musulmans que je me suis battu : pendant la guerre d’Algérie, pendant celle de Bosnie, au Darfour… Pour autant, instruire aujourd’hui le procès systématique de la France en reprenant mécaniquement l’argumentaire des islamistes, c’est ne pas tenir compte de l’effort qui a été fait depuis des années dans les banlieues, comme le rappelait quelques instants avant de mourir Bernard Maris.
C’est surtout ne pas comprendre que le fondement du conflit n’est pas principalement économique, mais idéologique. Quand, en réponse à une caricature, du reste bienveillante, du prophète Mahomet, 45 églises sont brûlées à Niamey (Niger), force est de constater que ce sont des masses musulmanes, excitées par les prédicateurs, qui pratiquent le plus détestable des amalgames.
Alors, que faire ? Défendre, sans esprit de recul, nos valeurs, que l’arrière-fond religieux du conflit invite à ranger sous le vocable de « laïcité ». Non pas la laïcité du passé. Je suis, je dois le dire, resté sans voix quand j’ai lu, sous la plume d’un chroniqueur de Mediapart, qu’il fallait revoir de toute urgence le statut religieux de l’Alsace et imposer un service public unique de l’Education nationale, c’est-à-dire, en clair, relancer la guerre scolaire en France, abasourdi devant tant de candeur – ou tant de perversité, je ne sais.
La laïcité que nous défendons ici, c’est le primat de l’individu sur les collectivités, quelles qu’elles soient ; c’est par conséquent le refus de la responsabilité collective, mère de tous les fanatismes et de toutes les barbaries. Il ne s’agit ni de casser du catho, comme nous y invitent certains, ni de casser du musulman, comme nous y invitent d’autres. Il s’agit de constater que les valeurs de la République sont les seules, oui, les seules, qui permettent la coexistence de tous parce qu’elles sont fondées sur des valeurs communes à tous les hommes : la raison et le besoin de liberté.
C’est pourquoi, lorsque de bonnes âmes, qui vont de Terra Nova (toujours là où il ne faut pas) [2] jusqu’à Jean-Louis Bianco, le regrettable président de l’Observatoire de la laïcité [3], en passant par le philosophe Alain Renaut, nous invitent au communautarisme, c’est-à-dire à la libanisation intellectuelle, religieuse et, à terme, inévitablement politique de la France, nous répondons par un non ferme et définitif. Notamment dans notre école. On connaît les positions de Marianne, constantes sur le problème, depuis sa création. Transformer l’école en clinique de calinothérapie et en forum de discussion, pire qu’Internet, c’est trahir sa mission. C’est trahir la France des Lumières. Que ce soit Najat Vallaud-Belkacem qui en appelle aujourd’hui à plus d’autorité en dit long sur l’état de désarroi des responsables de l’éducation dans ce pays. Ce que nous voulons, là comme ailleurs, c’est le primat de la raison, le respect de la science, la pédagogie de la liberté. Ce n’est plus désormais une querelle entre pédagogues et tenants du savoir, c’est une question de survie pour la République."
Lire "Tenir bon sur nos valeurs".