(G. Chevrier, atlantico.fr , 29 nov. 24). Guylain Chevrier, docteur en histoire, enseignant et formateur en travail social, membre du Conseil d’administration du Comité Laïcité République 29 novembre 2024
[Les éléments de la Revue de presse sont sélectionnés à titre informatif et ne reflètent pas nécessairement la position du Comité Laïcité République.]
"Mercredi 27 novembre, lors de la 23e cérémonie des « Talents des cités », qui s’est tenue à l’Élysée, Emmanuel Macron a défendu une jeune femme voilée qui venait de recevoir un prix. « C’est ça la vraie image de notre pays. Ce n’est pas du tout une France qui vit dos à dos, qui se rejette », a-t-il affirmé."
Lire "Cet entrisme islamiste sur lequel Emmanuel Macron se voile résolument la face".
Mercredi 27 novembre, lors de la 23e cérémonie des « Talents des cités », qui s’est tenue à l’Élysée, Emmanuel Macron a défendu une jeune femme voilée qui venait de recevoir un prix. « C’est ça la vraie image de notre pays. Ce n’est pas du tout une France qui vit dos à dos, qui se rejette », a-t-il affirmé.
Guylain Chevrier
Atlantico : Mercredi 27 novembre, lors de la 23e cérémonie des « Talents des cités », qui s’est tenue à l’Élysée, Emmanuel Macron a défendu une jeune femme voilée qui venait de recevoir un prix. « C’est ça la vraie image de notre pays. Ce n’est pas du tout une France qui vit dos à dos, qui se rejette », a-t-il affirmé. En quoi ces propos d’Emmanuel Macron sont-ils en décalage avec la réalité du travail en France concernant les faits religieux ?
Guylain Chevrier : Ce prix « Talent des cités » donné à cette jeune femme voilée, pour Finition nette bâtiment (FNB), une entreprise qui dit vouloir « créer des emplois et favoriser l’inclusion des femmes », avec l’accès « à de nouveaux métiers », qui représenterait « la promesse républicaine » selon le Président de la République, a de quoi surprendre. Il explique pour le justifier, s’être engagé en politique contre l’idée que « parce que l’on est né quelque part ou qu’on a tel ou tel nom, on puisse se dire « c’est pas possible pour moi ». Ce qui peut passer pour une belle idée, mais là, il y a comme un couac ! Pour en rajouter une couche, « franchement qu’une femme aille dans le bâtiment, et en plus vous venez voilée, alors là sur plein de chaines on aurait parlé que de cela », banalisant totalement ce fait. « Et je vais vous dire la vraie difficulté de notre pays, c’est que la même jeune femme, envoyant son CV dans les entreprises de bâtiment, elle avait à mon avis, 6 refus sur 10. » Applaudissements… Autrement dit elle aurait été discriminée. On voit comment on prend là dans le sens du poil toutes les idées reçues qui trainent, alors que dans le bâtiment, que ce soit le nom, ou le quartier d’origine, la religion, on sait combien la main d’œuvre d’origine étrangère, y est bien « incluse ».
D’ailleurs c’est même selon le dernier Baromètre du Fait religieux en entreprise (2024) un des secteurs d’activité où on croise le plus le fait religieux, dans un contexte de progression des difficultés qu’il pose au bon fonctionnement de l’entreprise, et que dans 8 cas sur 10 il s’agit de salariés se réclamant d’être musulmans. D’autre part, selon le dernier rapport de la Défenseure des droits, portant notamment sur les discriminations, les réclamations qu’elle a reçues au titre de la religion, ne représentent que 3% du total. Sans vouloir sous-estimer les discriminations quelles qu’elles soient, on ne peut voir dans le propos du président qu’une caricature qui converge dans le sens des poncifs de ceux qui veulent faire passer la France pour raciste. Mais que cherche-t-il donc avec cette théâtralisation ? Alors que selon un sondage BFMTV, 63% des Français se disent favorables à sa démission en cas de censure du gouvernement, sinon à jouer une fois de plus le trouble par ce biais et tenter d’en tirer son épingle du jeu.
Comment peut-on ignorer que ce que représente cette jeune fille comme « inclusion » est tout de même marquée par une réalité, ce voile ne représente pas rien, il n’a rien « d’inclusif » pour les femmes, au sens républicain. C’est d’ailleurs tout le problème de ce terme « inclusion » qui ne renvoie qu’à une intégration économique et sociale. Mais où est donc passée l’intégration citoyenne, l’égalité républicaine dont celle entre hommes et femmes qui a été si difficile à conquérir ? Laissée dans l’étrangeté par ce bon samaritain... Ce n’est pas que le travail simplement qui émancipe, mais une liberté qui est bafouée systématiquement dans les pays où le voile domine, ce qui en dit long sur le message que celui-ci porte, qu’on le veuille ou non, celui d’un statut juridique inférieur de la femme vis-à-vis de l’homme affirmé dans le Coran, et qui signifie soumission. Ce sur quoi rien ne sera dit, qui pourtant est un enjeu cinglant en ces temps où en Iran, refuser de le porter c’est être sûr d’être l’objet d’arrestation et de violence, comme cette étudiante au courage inouï Ahou Daryaei, qui a défié le pouvoir des mollahs en réagissant à la police religieuse voulant lui imposer le voile, en défilant en sous-vêtements devant son université, actuellement enfermée, voire de perde la vie, comme la jeune Kurde Mahsa Amini en a été la victime pour un voile « mal porté », ou encore en Afghanistan où on enterre sous ce voile vivantes des centaines de milliers de femmes.
Ce voile qui dans certains quartiers est la règle, où bien des salafistes et autres Frères musulmans se frottent les mains de cette publicité. Mesure-t-on bien le sens que cela prend dans des quartiers où tombe ce message, qui n’est pas celui d’une République qui défend ce qu’elle représente comme voie de la liberté, mais qui flatte une diversité dont on sait combien elle sert une logique des droits selon chacun les siens, avec un communautarisme rampant ?
Notre société peut-elle entraver la liberté de conscience ? Par ailleurs, y a-t-il un sens à mettre en vigueur des interdictions que nous ne sommes pas capables de faire respecter ?
Tout d’abord, la liberté de conscience est garantie, protégée, par la loi de séparation des Eglises et de l’Etat. Un Etat que représente le président de la République par excellence, laïque. On peut ainsi s’étonner qu’il défende aussi ostensiblement le port d’un signe religieux, ce qui revient, du fait de sa position, à en faire publicité. On ne peut mieux brouiller les cartes, car la liberté de conscience, on le sait, et l’autonomie du choix de la personne, derrière ce que ce voile traine derrière lui, un communautarisme qu’il incarne à lui seul, tendent à disparaitre.
Lorsqu’avec la loi dite contre le séparatisme (2021), on établit l’obligation d’un contrat d’engagement républicain pour les associations voulant bénéficier de subventions de l‘Etat, qui implique le respect des valeurs et principes de la République et de ne pas faire de prosélytisme, et qu’on ne contrôle rien derrière, c’est pire que ne pas faire de loi, que de laisser faire qu’on ne la respecte pas. Où est donc l’organe chargé du contrôle du respect de ce principe lorsque l’on sait l’état d’esprit qui règne parfois dans certains milieux sociaux. Où est l’audit trois ans plus tard sur l’application de ce principe si important ?
On se rappelle ce 22 octobre 2020, où la secrétaire d’État chargée de la Jeunesse et de l’Engagement, Sarah El Haïry, était conviée à une rencontre à Poitiers organisée par la Fédération des centres sociaux et socioculturels de France (FCSF), qui a tourné à un meeting anti-laïque de la part des participants, dont beaucoup de jeunes musulmans. Certains adolescents réclament des "cours sur les religions à l’école", mais surtout la "possibilité de porter" des signes ostentatoires de croyance à partir du lycée. L’Éducation nationale est fustigée, accusée de stigmatiser, la police, désignée comme raciste, les médias également. À l’issue de la rencontre, lorsque la ministre entonne La Marseillaise, plusieurs jeunes refusent de chanter, comme certains adultes. Une inspection est ordonnée, on apprend à la suite que les inspecteurs remarquent que certaines associations à la ligne ambiguë sont discrètement intervenues dans l’organisation de l’événement, des matériaux pédagogiques fournis aux participants présentaient "différentes religions, mais aucun n’illustrant l’absence de croyance, alors que le rassemblement [était] ouvert aux non-croyants"… Où en est cette affirmation de la secrétaire d’Etat selon laquelle pour « des associations qui manquent au pacte républicain » ce sera « Pas un euro d’argent public » ?
S’il ne s’agit pas de contester le port du voile tant que cela est autorisé par la loi, une femme qui porte l’étendard du refus d’accorder l’égalité aux femmes, a-t-elle à être récompensée par la France ? Emmanuel Macron se voile-t-il la face sur l’entrisme islamique ?
Rappelons-nous de la « sombre prophétie » que Gérard Collomb, ministre de l’Intérieur faisait lorsqu’il a quitté ses fonctions : « Si j’ai un message à faire passer – je suis allé dans tous ces quartiers, des quartiers nord de Marseille, au Mirail à Toulouse, à ceux de la couronne parisienne Corbeil, Aulnay, Sevran – c’est que la situation est très dégradée et le terme de reconquête républicaine prend là tout son sens parce qu’aujourd’hui, dans ces quartiers, c’est la loi du plus fort qui s’impose, celle des narcotrafiquants et des islamistes radicaux, qui a pris la place de la République » (…) il faut une vision d’ensemble car on vit côte à côte et je le dis, moi je crains que demain, on ne vive face à face. Nous sommes en face de problèmes immenses. » Où en est donc trois ans après la loi dite contre le séparatisme, la clarté de cette vision d’ensemble traduite dans ce que la République doit promouvoir ? Certainement pas un signe religieux ostensible ! Personne n’a à empêcher cette jeune femme de faire ce qu’elle fait, et peut-être y croit-elle, mais en en faisant ainsi une icône, on dessert une République dont l’emblème est Marianne, et ce tableau de la liberté guidant le peuple d’Eugène Delacroix, dans les remous de la révolution de 1830. C’est une fille du peuple, vivante et fougueuse, le sein nu en signe de rébellion, libérée du carcan des préjugés religieux et du pouvoir royal qu’ils servent, qui incarne la révolte et la victoire. « Coiffée du bonnet phrygien, les mèches flottant sur la nuque, elle évoque la révolution de 1789, les sans-culottes et la souveraineté du peuple ». Le drapeau bleu, blanc, rouge, comme bannière... C’est l’Allégorie du peuple de citoyens conquérant le droit d’être libre. On voit là l’abîme avec cette image qui est à la racine de notre République, celle d’un peuple de citoyens par-delà les différences, qui n’a pas grand-chose à voir avec le sens donné à cette récompense.
Comment ne pas voir comme curieux, de choisir ainsi de mettre en valeur ostensiblement dans son propos cette jeune femme portant le voile, alors que la multiplication du port d’abayas dans l‘école publique, à quoi nous avons assisté, a été une provocation en forme de rébellion à l’interdiction des signes religieux dont le voile, par la loi du 15 mars 2004. Et que, se multiplient aussi les accrochages avec des élèves voilées dans l’enceinte scolaire, qui vont jusqu’à la violence contre des enseignants, des personnels de l’Education nationale, qui leur demandent de respecter la loi. C’est aussi une faute envers eux, et la France laïque qu’ils représentent, si difficile par les temps qui courent à défendre. On sait pourtant combien, d’enquêtes d’opinion en enquêtes d’opinion, on voit de plus en plus nombreux concitoyens de confessions musulmanes s’opposer aux lois de notre République et tendre à former une nation dans la nation. L’interdiction de l’abaya annoncée à la rentrée de septembre 2023 a fait l’objet d’un quasi-consensus, 81% des Français ont approuvé cette interdiction, les Français de confession musulmane ont été à peine 28% à la soutenir…
Le procès de l’assassinat de Samuel Paty témoigne de la manière dont la victimisation est érigée comme motif de lutte par les islamistes. Dans quelle mesure les propos d’Emmanuel Macron, qui entretiennent l’idée selon laquelle les musulmans sont victimes de la société française, participent du contexte où se produisent de tels drames ?
Il doit permettre d’éclairer les véritables enjeux derrière la volonté de certains des protagonistes de ce drame de se faire passer pour des victimes, ou d’avoir été dépassés par les événements, entraînés dans une sorte de maelstrom sur lequel il n’avait pas prise. En réalité, c’est justement la conjonction de mensonges à charge, et le relaie qui en a été fait sur les réseaux sociaux ou on sait comment tout enfle, avec des islamistes à la manœuvre pour cela, que l’on peut en arriver à déclencher un tel drame, l’assassinat d’un enseignant amoureux de la liberté par un terroriste islamiste. En encourageant à penser qu’en raison de tel nom ou telle religion on est l’objet de discriminations de masses, on contribue à une rumeur qui fait son travail dans certains esprits, dont la rancœur qui en résulte est le magma qui n’attend que le signal favorable pour faire éruption. Un président de la République sait bien cela ! Mais aussi, on laisse ainsi planer que ceux qui sont jugés pourraient se trouver des excuses, à ce qu’ils présentent comme une erreur, ou encore être jugés avec une compassion déplacée, parce que d’abord les victimes d’une société raciale qui les rejette.
On peut se poser la question de savoir concernant la République, en l’occurrence son premier représentant, le président de la République, s’il défend l’Egalité qui est le principe sur lequel elle repose, l’intérêt général qui est celui du grand nombre, qui relève d’une certaine conception de la justice, ou si nous sommes passés sous un régime anglo-saxon de la non-discrimination, qui fait prévaloir le chacun selon sa différence, avec la perspective du multiculturalisme. Il y a un problème qui devient énorme ici, avec ce président et son « en même temps », dont cet épisode est typique, dont d’ailleurs il faudrait établir une typologie après un mandat présidentiel et demi, qui fait que, répondre à chacun ce qu’il attend finit par ne faire qu’aiguiser les contradictions, perdre le sens de ce que veut dire gouverner, et même monter les uns contre les autres.
Que peut-on penser du rôle de la justice dans de tels drames, au regard des différentes auditions menées lors du procès de l’assassinat de Samuel Paty ?
Mardi 26 novembre, Zohra Chnina (le prénom a été changé), cette collégienne qui avait menti, en accusant le professeur d’histoire-géographie d’avoir montré en classe des caricatures de Mahomet nu, publiées dans Charlie Hebdo, et demandé aux élèves musulmans de sortir de la salle s’ils étaient choqués. », alors qu’elle n’y était pas, ce qui a mis le feu aux poudres, a dit "J’aimerais m’excuser auprès de la famille" de Samuel Paty, "j’ai détruit votre vie, je suis désolée", à la barre de la cour d’assises spéciale de Paris. Ce qui n’a pas convaincu la sœur de Samuel Paty, Gaëlle Paty, qui "balaie" les excuses présentées, "Comment accepter des excuses de quelqu’un qui ne montre pas de sincérité dans ses propos ?", interroge-t-elle. "Je suis en colère contre la jeune fille qu’elle est devenue. Elle n’a fait aucun chemin vers la vérité. Elle refuse ce chemin. » Cette jeune fille qui est à l’origine du drame, a allumé la mèche, et d’autres ont pu ensuite faire qu’elle atteigne un baril de poudre. C’est tout l’esprit dont émane ce type d’attitude, et le lien que l’on peut faire avec l’influence islamiste, que pour mentir sur le fait d’avoir été exclue deux jours auprès de ses parents, pour raisons disciplinaire, elle ait pu choisir de produire ce type de mensonge. Cela reflète bien ce climat intégriste religieux de certains quartiers favorables à s’emparer de toute rumeur pour mettre des cibles dans le dos de professeurs, comme ce fut aussi le cas de Dominique Bernard plus récemment. On sait combien la question du voile est au centre des enjeux pour les prosélytes et les intégristes, de leur stratégie de conquête d’espaces communs contre la République. On connait aussi ce que représente « le regard du quartier » et ce qu’il pèse sur les comportements et un voile qui y est très présent. En plein procès Samuel Paty, que dire de cette initiative encore ? Croit-on vraiment que c’est ainsi que se fera la reconquête républicaine de certains quartiers, où demain, les mêmes ingrédients peuvent produire les mêmes horreurs ? « Tout est pardonné… », et bien non !
Voir aussi dans la Revue de presse G. Collomb : Dans certains quartiers, « c’est plutôt la loi du plus fort qui s’impose, des narcotrafiquants, des islamistes radicaux, qui a pris la place de la République » (3 oct. 18), le dossier Rencontres des jeunes des centres sociaux (Poitiers, oct. 20) (note de la rédaction CLR).
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