par Patrick Kessel, président d’honneur du Comité Laïcité République. 19 juin 2018
Tania de Montaigne, L’Assignation. Les Noirs n’existent pas, Grasset, 2018, 96 p., 13 e.
Les races n’existent pas mais le racisme a la vie dure. Officiellement extirpées d’Europe avec l’effondrement du nazisme, elles reviennent en douce dans les wagons du communautarisme et de la bienpensance.
Tania de Montaigne, journaliste et écrivaine, auteure de plusieurs ouvrages, dans un pamphlet enlevé [1] nous met en garde contre cette idéologie qui veut essentialiser les individus, les renvoyer aux déterminismes de leur naissance, à leur "Race", leur couleur, leur religion. Chaque couleur aurait sa psychologie, sa sexualité.... "Plus de culture, juste la nature, seul le sang et l’ADN font la loi." "Plus besoin d’être en relation avec l’autre, d’écouter, de penser, il suffit de regarder : voir c’est savoir", écrit-elle ironiquement.
"J’essaie de me souvenir du temps où je n’étais pas Noire, mais seulement noire sans majuscule. Ce temps où noire était un adjectif, pas un nom", dit-elle prenant le contre-pied de ces mouvements indigénistes, communautaristes qui revendiquent leur couleur en lieu et place de leur citoyenneté, des traditions et des coutumes à la place de la loi commune, des accommodements, des quotas, voire s’en prennent directement à la République qualifiée de colonialiste et de raciste.
Depuis les années 1990, "la culture devient peu à peu clôture, moyen de délimiter l’espace des uns et des autres. Chacun doit désormais agir en fonction de la culture qu’on lui prête et ne plus en bouger", ajoute l’auteure qui expose l’affligeante aventure de Kate Perry. La chanteuse pop américaine blanche avait commis l’odieux crime "d’appropriation culturelle" en faisant avec ses cheveux des tresses africaines. Ç’en était trop pour les différentialistes. "Il y a des coiffures de Noirs, des coiffures de Blancs, des coiffures de Jaunes, des coiffures de Rouges et que chacun reste à sa place", écrit-t-elle. La chanteuse sera contrainte de s’excuser publiquement et de promettre qu’elle ne le fera plus. Ainsi avance la dictature différencialiste qui se donne à voir comme défenseur des minorités ! [2]
Autre exemple, la "nourriture ethnique". Depuis décembre 2015, on ne sert plus de sushis, ni de tacos, sur le campus d’Oberlin dans l’Ohio, car seuls des japonais ou des mexicains devraient pouvoir préparer ces plats. Ce sera donc désormais du poisson cru posé sur du riz ! Nos samaritains de l’essentialisme croient combattre une survivance du colonialisme ; ils se couvrent de ridicule. Mais ils réhabilitent des idées hautement réactionnaires que des siècles d’émancipation progressive avaient permis de marginaliser. "Nationalistes et communautaristes se ressemblent et rêvent d’un monde où la race mettrait de l’ordre dans la complexité des rapports humains", écrit la journaliste. Un monde de "pureté qui en aurait terminé avec l’universalisme et les Lumières.
"Il faut que l’on croie, pas que l’on pense. Même si la Science a fait la preuve qu’il n’y a aucune différence chromosomique entre une personne d’une couleur et une personne d’une autre couleur, pas plus qu’entre une personne d’une religion et une personne d’une autre, la Race tient bon", poursuit-elle. Avant de se moquer de l’inculture de ces "racialistes" qui semblent ne pas connaître leurs classiques. Et Tania de Montaigne rappelle cette phrase de Frantz Fanon : "Vais-je demander à l’homme blanc d’aujourd’hui d’être responsable des négriers du XVIIe siècle ?"
A lire et à faire lire sans modération.
Patrick Kessel
[1] Tania de Montaigne, Noire, Grasset, 2014. Prix Simone Veil 2015.
[2] Lire aussi "Appropriation culturelle" : "Rien ne peut justifier les apartheids" (A. Rosencher, RTL, 5 juil. 17) dans la rubrique "Appropriation culturelle" (note du CLR).
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