Communiqué du CLR

Supplique à M. Nicolas Sarkozy, président de la République française (1er fév. 08)

1er février 2008

Monsieur le Président,

Souffrez que nous revenions sur les importantes déclarations qu’il vous fut donné de prononcer à l’occasion de vos récents voyages à Rome et à Riyad [1]. Nombreux avant nous et, comme nous, profondément attachés à la laïcité, ont dit leur surprise de vous entendre évoquer les racines « essentiellement » chrétiennes de la France, ou encore, établir une hiérarchie entre les gens d’église et l’instituteur républicain, ceux-là ayant, selon vous, plus de titres à transmettre des « valeurs » que celui-ci. Nombreux, les mêmes, ont pu être franchement choqués de vous entendre associer religion et liberté dans la capitale du royaume wahhabite, théocratie peu recommandable et, surtout, terreau d’une secte religieuse dont le terrorisme islamiste est l’avatar contemporain. Il n’a toutefois pas échappé aux observateurs attentifs que, dans ces deux circonstances, vous avez professé un attachement explicite à la laïcité, rappelé les sagesses qu’elle dispense et salué les libertés qu’elle garantit aux religions elles-mêmes. Sans doute auriez-vous pu rappeler que cette liberté des religions suppose qu’elles renoncent de fait à imposer comme vérité unique, dans le monde d’ici-bas, la révélation qui fonde leurs espérances au-delà.

Quoi qu’il en soit, affirmer des valeurs laïques à Latran, où Vatican II s’oublie, et en Arabie saoudite, où on lapide au nom de Dieu la femme adultère, n’était pas sans audace. A l’avocat de la laïcité que vous semblez donc vouloir être, et sans chicaner sur l’inutile adjectif de « positive » que vous croyez devoir lui accoler, nous adressons une simple mais triple supplique. Que cet avocat, en preuve de son authentique attachement à la cause qu’il défend, veuille bien :

  • premièrement, s’engager à n’apporter aucune modification, fut-elle jugée « mineure » ou « technique » à la loi de 1905,
  • deuxièmement, oublier l’idée saugrenue de nommer des représentants des Eglises en tant que tels au Conseil économique et social [2],
  • et, troisièmement, renoncer à torturer nos principes constitutionnels pour y introduire le « respect de la diversité ». La diversité, nous y sommes favorables, mais c’est précisément le principe d’égalité porté par l’universalisme républicain qui la permet et non la discrimination positive qui enferme les individus dans leurs origines et qui aboutit invariablement, au nom du droit à la différence, à la différence des droits [3]. D’autant que, pour définir la diversité, il faut nécessairement recourir à des catégories : couleur, ethnie, religion, consonance du patronyme… Sous prétexte de lutter contre les discriminations, nous créerions de nouvelles barrières entre les citoyens.

Ces preuves étant fournies, il nous sera agréable de poursuivre la discussion sur quelques points qui semblent vous tenir à cœur. Sur les racines « essentiellement chrétiennes » de notre histoire nationale, par exemple. Nul doute que le christianisme ait eu à voir, du fond des âges, avec la France, « ses arts, ses armes et ses lois. » Mais les racines ne sont-elles pas les racines d’un arbre, sinon mort du moins rabougri, depuis qu’ont été plantées, aux alentours du XVIIIe siècle, les jeunes pousses des Lumières franco-kantiennes. C’est en tout cas ce que soutient le grand historien Paul Veyne dans son dernier ouvrage – Quand notre monde est devenu chrétien – dont nous ne saurions trop vous recommander la lecture.

Sur ce qu’il faut entendre par « laïcité », ensuite. Lorsqu’il vous prend de vouloir l’expliquer, vous semblez la réduire à la liberté religieuse et lorsque vous égrainez les professions de foi, vous croyez pouvoir y inclure celle « laïque ». C’est se méprendre profondément. La laïcité n’est pas une « croyance », ni comme les autres, ni même parmi d’autres. La laïcité est une liberté. Une liberté qui, pour s’épanouir, requiert que les convictions touchant aux fins ultimes soient réservées à notre for intérieur. Au fond, c’est ce for intérieur qui n’est pas votre fort. C’est cette dimension de retenue qui aura manqué à vos propos. Or, elle est un élément, non écrit certes, mais « essentiel » pour le coup, de notre pacte républicain. Serait-ce alors trop vous demander, Monsieur le Président, de bien vouloir à l’avenir en retrouver l’inspiration ?

En vous assurant de notre conviction républicaine, recevez, Monsieur le Président, l’assurance de nos sentiments respectueux.

CLR, 1er février 2008


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