Revue de presse

Stéphane Simon : « Si l’État avait joué son rôle, Samuel Paty serait encore des nôtres aujourd’hui » (Charlie Hebdo, 26 av. 23)

28 avril 2023

[Les éléments de la Revue de presse sont sélectionnés à titre informatif et ne reflètent pas nécessairement la position du Comité Laïcité République.]

Stéphane Simon, Les Derniers jours de Samuel Paty, Plon, avril 2023, 240 p. 20.90 e.

"Le journaliste Stéphane Simon a enquêté pendant un an sur les derniers jours de Samuel Paty : dysfonctionnements de l’État, surdité des services de renseignements ou encore absence de soutien de la part des collègues de l’enseignant... Pour Charlie Hebdo, il revient sur les circonstances de la mort du professeur d’histoire-géographie.

Propos recueillis par Alexis Da Silva

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Procédures kafkaïennes, signalements aux services de renseignements ou à l’Éducation nationale restés lettre morte, lâcheté, voire bassesse, de certains de ses collègues – qui oseront dire que le professeur d’histoire-géo dessert la cause de la liberté d’expression… dans son livre Les Derniers jours de Samuel Paty. Pourquoi cette tragédie aurait dû être évitée (Plon, 2023), Stéphane Simon retrace les 12 journées qui ont précédé l’assassinat de Samuel Paty, le 16 octobre 2020. Fruit d’une année d’enquête, l’ouvrage met au jour les responsabilités dans la mort de l’enseignant, décapité par un islamiste pour avoir montré des caricatures de Charlie Hebdo à ses élèves. Stéphane Simon nous a détaillé les failles de l’État et de l’institution scolaire dans ce qui constitue un tournant dans l’offensive islamiste qui mine le pays.

Charlie Hebdo : Qu’est-ce qui vous a poussé à enquêter sur les jours qui ont précédé l’assassinat de Samuel Paty  ?

Stéphane Simon : Je suis fils, petit-fils et arrière-petit-fils de profs, la lignée des Simon est donc indissociable de cette profession. Outre la barbarie de l’acte commis, cela explique que j’aie été aussi choqué, sidéré par la décapitation de Samuel Paty, car j’avais l’impression qu’on avait touché à l’un des miens. Je me souviens de mon grand-père, qui était un laïque, me racontant comment se passaient les cours qu’il donnait en Vendée, dans les années 1930. Alors que ses gamins avaient en tête que les troupes françaises avaient massacré leurs ancêtres, il n’a jamais eu de problème pour discuter de ces sujets avec eux et leur apprendre les valeurs de la République. Comment expliquer alors que moins d’un siècle plus tard un serviteur de l’école républicaine se fasse décapiter devant son collège  ? Il y a quelque chose qui s’est passé, et j’ai souhaité creuser, car les médias ont rendu compte de pas mal de choses, mais de façon très éparse. Avec deux collègues journalistes, on a mené ce travail de reconstitution de l’affaire, en rencontrant toutes les parties concernées. Cela a été difficile, car beaucoup de collègues de Samuel Paty n’ont pas voulu parler, s’abritant derrière leur droit de réserve de fonctionnaire.

Dans votre ouvrage, vous rappelez ces nombreux signalements concernant Abdoullakh Anzorov, l’assassin de Samuel Paty, faits à la Plateforme d’harmonisation, d’analyse, de recoupement et d’orientation des signalements (Pharos), six jours avant l’assassinat, et non pris en compte par les services antiterroristes rattachés à la Direction générale de la sécurité intérieure (DGSI). Comment expliquez-vous ces dysfonctionnements  ?

Cette plateforme, destinée à signaler les contenus et comportements illicites en ligne, était obsolète : non seulement les synthèses n’étaient pas complètes, mais surtout les informations qui devaient être analysées par la DGSI ne l’étaient pas non plus. Rien que le week-end précédant la mort de Samuel Paty, Abdoullakh Anzorov a été signalé à quatre reprises sur la plateforme Pharos. Cela s’explique en grande partie par le manque de moyens humains : si personne ne trie ces informations, elles ne servent à rien. Au niveau du renseignement, durant la période de pic des menaces contre Samuel Paty, ce dernier aurait pu bénéficier d’une « mesure d’éloignement », qui permet à chacun de ne plus aller au travail et d’être mis au vert. À tout moment, cette mesure peut être prise, sans aucune formalité, par la DGSI, mais cela n’a jamais été envisagé. Le minis­tère de l’Intérieur, lui, aurait pu lui assurer une protection policière. Il y a une responsabilité à plusieurs niveaux. Si l’État avait joué son rôle, il est évident que Samuel Paty devrait encore être des nôtres aujourd’hui.

Vous avez pu interroger Jean-Michel Blanquer à ce sujet. Que vous a-t-il confié  ?

Quand la principale du collège a eu vent des menaces qui ­pesaient sur Samuel Paty, elle a effectué un signalement « fait établissement », un dispositif rarement déclenché qui permet aux chefs d’établissement de faire remonter au ministère des faits graves portant atteinte aux valeurs de la République. Elle a également prévenu le directeur académique adjoint par téléphone. Pourtant, quand j’ai rencontré Jean-Michel Blanquer, il m’a assuré qu’il n’avait jamais entendu parler de Samuel Paty avant son assassinat, mais également que son ministère recevait entre 30 et 40 plaintes par jour pour atteinte à la laïcité, ce qui ne permettait pas de toutes les traiter. Cela m’a scié  !

Certains professeurs du collège ont carrément lâché Samuel Paty. « Non seulement notre collègue a desservi la cause de la liberté d’expression, il a donné des arguments à des islamistes et il a travaillé contre la laïcité en lui donnant l’aspect de l’intolérance », déclare par exemple l’un d’eux, à propos des deux caricatures du prophète Mahomet que Paty a choisi de présenter à ses élèves. Quel regard portez-vous sur leur attitude  ?

Avant tout, il faut mettre un terme à ce faux débat autour de la liberté d’expression : les caricatures de Mahomet de Charlie Hebdo sont disponibles sur le réseau Canopé, missionné par l’Éducation nationale pour fournir du matériel pédagogique aux enseignants. On ne peut donc pas reprocher à Samuel Paty de s’en être servi. Quant à la lâcheté de ses collègues, on peut d’abord l’expliquer par ce fameux « pas de vagues » qui gangrène les écoles. Beaucoup de professeurs considèrent que rien ne vaut le calme, que tous les sacrifices sont possibles, du moment qu’en apparence tout se passe bien. La raison vient aussi du fait qu’ils ont la trouille. Dans une enquête sur le climat scolaire faite par l’association L’Autonome de solidarité laïque (ASL), en octobre 2022, sur près de 10 000 enseignants, 55 % déclaraient ne pas être satisfaits de leur travail, contre 31 % il y a dix ans. Les professeurs sont livrés à eux-mêmes, et ne se sentent plus forcément en sécurité pour aborder certains sujets.

Concernant le cas de Samuel Paty, il convient d’abord de rappeler que c’était un enseignant extrêmement consciencieux, pédagogue, qui avait à cœur de faire des cours vivants. Il avait par exemple fait intervenir un candidat de l’émission Danse avec les stars pour un cours sur le handicap. Dans la même ­logique, en montrant les caricatures, il avait fait un tableau avec les arguments « pour Charlie » d’un côté, et « contre » de l’autre. Cela rend les messages de certains de ses collègues, qui lui ont explicitement dit qu’il avait « merdé », d’autant plus lâches et injustes. Une autre anecdote illustre à quel point Samuel Paty était seul. Se sentant menacé, il a fini par se résigner à utiliser sa voiture pour rentrer à son domicile, situé à quelques mètres du collège. Mais pour se garer à l’intérieur de l’établissement, il était nécessaire d’avoir un bip, qu’il ne détenait pas. Aucun de ses collègues ne lui aura alors proposé le sien. Cela semble être un détail, mais en réalité il aurait pu ne pas se retrouver dans la rue face à son assassin  !

Où en est l’affaire aujourd’hui  ?

L’enquête menée par les policiers de l’antiterrorisme est bouclée et le procès devrait avoir lieu fin 2024. Une partie des audiences pourrait se tenir à huis clos, car parmi les 14 individus mis en examen dans cette affaire, il y a 6 mineurs, dont la fille de Brahim Chnina, la collégienne qui avait menti en disant avoir participé au cours de Samuel Paty. Il y a aussi Abdelhakim Sefrioui, qui s’est présenté à la principale du collège comme étant le représentant des imams de France, alors qu’il n’est rien du tout. Une deuxième instruction est en cours, à la suite d’une plainte déposée par Me Virginie Le Roy, avocate de la famille Paty, pour « omission de porter secours ». Elle vise à faire la lumière sur les responsabilités des services de l’État. Malheureusement, à ma connaissance, l’affaire Paty n’a pas changé grand-chose à la manière dont travaillent les services de renseignements aujourd’hui."



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