Revue de presse

St. Rozès : "Notre pays avance propulsé par son universalisme, sans savoir où il va" (Marianne, 17 août 23)

(Marianne, 17 août 23). Stéphane Rozès, président de Cap, enseignant à Sciences-Po Paris 18 août 2023

[Les éléments de la Revue de presse sont sélectionnés à titre informatif et ne reflètent pas nécessairement la position du Comité Laïcité République.]

Stéphane Rozès (entretiens avec Arnaud Benedetti), Chaos. Essai sur les imaginaires des peuples, Cerf, nov. 2022, 224 p., 20 €.

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Lire "Stéphane Rozès : "La France dans le monde est tel un canard à qui on a coupé la tête"".

"[...] Les Français ont sans cesse besoin « d’embrasser le monde » selon le mot de Malraux. [...] Notre nation est une construction politique permanente qui doit encastrer ses disputes politiques communes dans plus grand qu’elle : le vaste monde… même quand ce dernier se dérobe à nos embrassades. [...]

L’influence culturelle française à travers la francophonie, les acquis de la Révolution française, les droits de l’homme et des peuples à disposer d’eux-mêmes, la souveraineté nationale et la République demeure dans toutes les civilisations. [...]

Ce qui est grave, c’est que la France se surexpose dans le monde du fait de son imaginaire, mais sans vision ni stratégie. Les raisons sont domestiques. Nos illusions universalistes nous ont amenés à mettre en place, sous la férule de l’Allemagne et de son imaginaire, une Union européenne à gouvernance néolibérale relayée par le sommet de l’État, fondée sur le respect de disciplines économiques immédiates contraires à l’imaginaire de notre nation, qui repose sur une construction politique de l’avenir à travers des projets communs. De cela découlent l’économie et les réformes. Cette contradiction existentielle entraîne notre dépression morale, essoufflement républicain, décomposition politique et effacement géopolitique. Nos classes dirigeantes sont devenues des gestionnaires d’intérêts immédiats indexés aux marchés. Elles s’irresponsabilisent et naviguent à vue, car elles ne sont plus ancrées dans l’imaginaire du peuple, sa culture, son génie. La France dans le monde est tel un canard à qui on a coupé la tête. Elle avance propulsée par son universalisme sans savoir où elle va par absence de stratégie de ses gouvernants. Le concept présidentiel d’« autonomie stratégique » ne peut être appropriable. La France ne joue plus sa partition dans le concert des nations. [...]

L’affaiblissement de l’Occident a des causes internes. Son imaginaire est fondé sur l’idée que l’homme maîtrise la nature et fait l’Histoire alors que le cours des choses néolibéral, en étant autopropulsé par les marchés, le dissout. L’imaginaire oriental est moins déstabilisé, car l’homme est mû par l’harmonie avec la nature et le cours des choses. [...]

Un universalisme abstrait est au fondement de la pensée néolibérale qui prétend substituer au gouvernement des hommes l’administration des choses [1]. Dès les Lumières, cette question cruciale est posée. Alain Supiot, dans sa nouvelle préface des Lettres persanes, rappelle que, pour le philosophe juriste Montesquieu, la loi découle des us et coutumes diverses des peuples. Le philosophe et mathématicien Condorcet balaiera ces « vieilleries ». La vérité étant une, ainsi que la raison, la loi doit être la même partout, nonobstant les mœurs des peuples. Du fait de notre imaginaire projectif, nous ne voyons pas la différence décisive entre l’universalisme concret et libéral de Montesquieu et l’universalisme abstrait de Condorcet, entre le déboîtement néolibéral permis par ce dernier et le libéralisme indexé à la souveraineté des peuples. Pour éviter le chaos, les nationalismes et les guerres, il faut réparer les imaginaires des peuples en faisant rentrer la globalisation néolibérale dans le lit de la mondialisation, mosaïque de civilisations et peuples divers. La France peut retrouver sa place dans le monde en participant à sa « recivilisation », en prônant l’universel de la condition humaine et la diversité des peuples. Comment ? Par le retour de leur souveraineté, condition préalable pour être à même de relever les immenses défis écologiques, sanitaires et migratoires de l’humanité. [...]"

[1Remplacer le « gouvernement des hommes par l’administration des choses » Saint-Simon (note de la rédaction CLR).


Voir aussi dans la Revue de presse le dossier Marianne "Pourquoi ils détestent la France" (17 août 23),
dans les Initiatives proches mezetulle.net St. Rozès - Les peuples, moteur de l’histoire (S. Tomei, mezetulle.net , 3 mars 23) (note de la rédaction CLR).


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