Revue de presse

Souâd Ayada : "Le visible de l’islam aujourd’hui en France est saturé par le voile et le djihad" (Le Monde, 26 oct. 19)

Souâd Ayada, présidente du Conseil supérieur des programmes (CSP) de l’Education nationale. 29 octobre 2019

[Les articles de la revue de presse sont sélectionnés à titre informatif et ne reflètent pas nécessairement la position du Comité Laïcité République.]

"[...] Quelle valeur de vérité faut-il reconnaître à l’affirmation de Jean-Michel Blanquer ? Pour répondre à cette question, demandons à un contradicteur hypothétique qui se situerait dans le même ordre de discours de soutenir la thèse inverse : « Le voile est souhaitable dans notre société. » Nul besoin d’un examen très poussé pour considérer que la position de Jean-Michel Blanquer est plus vraisemblable et, d’une certaine manière, irréfutable. Or, Il semble qu’on soit désormais sommé de le justifier puisque les plus élémentaires notions sont manifestement obscurcies. Un tel constat est inquiétant pour la raison.

L’islam, ou plutôt sa visibilité dans l’espace social au travers de ses femmes voilées, revient au-devant de la scène, dans un contexte où il a partie liée avec une autre visibilité qui fait horreur, celle des crimes terroristes. Le visible de l’islam aujourd’hui en France est saturé par le voile et le djihad. Tel est le contexte dont les belles âmes prétendent faire fi, mais qui désespère les amoureux du savoir et les tenants sincères de l’hospitalité. Le moment historique que nous vivons, ouvert par la révolution islamique en Iran et fixé par les attentats de 11 septembre 2001, rend inaudibles les distinctions qu’il faudrait pourtant établir : le port du voile est perçu comme l’affiliation aux représentations de l’islam politique ennemi de nos manières de vivre, et non comme la manifestation d’une foi vécue dans l’ordre spirituel.

Ce n’est pas critiquer l’islam que de rappeler ce contexte dans lequel il est engagé comme religion. Ce n’est pas rejeter ses fidèles que de les inviter à prendre la mesure du moment historique qu’ils vivent et dont ils sont les premiers à souffrir. Ce n’est pas stigmatiser les musulmanes que de leur indiquer, sans les humilier et sans s’immiscer dans leur foi, que le port du voile, bien qu’il ne soit pas interdit, ne peut devenir leur seul mode de visibilité. Si nous ne leur signifions pas cela, c’est notre solidarité avec toutes les femmes qui, en Tunisie, au Maroc, en Turquie, en Iran, dénoncent la domination du voile dans l’espace public qui deviendra un exercice de style.

La question engage notre représentation de la femme musulmane française. Nous supposons toujours, quoi qu’on en dise, qu’elle est culturellement soumise à un pouvoir patriarcal qui la considère comme un être mineur et lui impose de porter le voile. Un féminisme conséquent devrait s’assurer qu’il ne se laisse pas guider par un tel préjugé, quand il érige en droit le choix de se voiler. Le voile n’appartient pas tout à fait au régime des droits acquis et il faut, avec les musulmanes françaises, sujets de plein droit, en discuter sans concession.

La question engage aussi la représentation que nous nous faisons des musulmans. Pour certains, les musulmans sont toujours ces gens qu’il faut libérer de la domination étrangère, ces pauvres et ces déshérités qu’il faut protéger. Pour certains, l’islam est, par définition, en quelque sorte, la religion des faibles. La pensée « décoloniale » n’est pas indemne de relents néocolonialistes. Reconnaître que les musulmans sont en France des citoyens comme les autres, c’est accepter qu’ils puissent eux aussi envisager le voile dans une perspective où il y va du bien commun.

La question engage enfin la représentation que nous avons de l’islam et de son supposé rapport avec la laïcité. Elle est souvent très mal engagée et conduit à soutenir tantôt que l’islam est compatible avec la laïcité, tantôt qu’il est incompatible avec elle, dans les termes d’une alternative indépassable. Sans doute faut-il se placer à un autre niveau : on ne convaincra personne de la nécessité de la laïcité et de sa valeur si on s’en tient seulement à des arguments légalistes et à la délimitation des espaces, ceux où elle s’applique sans discussion et ceux où elle ne s’appliquerait pas. Il faut un effort de dévoilement et dire exactement ce qu’est la laïcité : une neutralisation du religieux comme tel qui a pour fin le recul de sa visibilité et sa sortie hors de la sphère publique, une intériorisation intégrale des manifestations de la foi, qui a pour fin sa spiritualisation. Le respect que l’on doit à nos concitoyens musulmans exige qu’on les croie dignes d’un discours de vérité qui les conduise à reconnaître, non pas seulement le régime des lois associé à la laïcité, mais aussi l’ethos auquel elle dispose et la forme de société qu’elle dessine."

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