29 septembre 2012
"Le Conseil français du culte musulman "étudie la possibilité de porter plainte contre Charlie Hebdo" pour ses caricatures du prophète Mahomet au niveau européen ou en Alsace-Moselle, où "le droit local stipule que l’acte de blasphème est punissable" (1) annonce M. Moussaoui. Pourtant malgré les appels de groupes obscurantistes, la majorité des musulmans de France n’est pas tombée dans le piège. Cet appel au délit de blasphème va à contre-courant de notre laïcité et de l’une des propositions du Président : constitutionnaliser la laïcité. Le CFCM s’inscrit plus largement dans la vague qui agite le monde arabo-musulman depuis plusieurs semaines.
Les manifestations autour du 11 septembre 2012 dans le monde reproduisent à l’envie la même rhétorique implacable : les musulmans se soulèvent contre l’ennemi occidental qui salit l’Islam. La date et le message nous ramènent onze ans en arrière et ce n’est pas hasard. Les néoconservateurs occidentaux d’un côté et les intégristes islamistes de l’autre, prenant en otage une religion, un milliard de personnes.
L’attaque de l’ambassade US en Lybie qui a causé la mort de l’ambassadeur et d’autres représentants officiels survient dans le seul pays post-révolution arabe qui n’a pas vu les islamistes arriver par les urnes. Ceci n’est certainement pas une coïncidence. Ce qui a mis le feu au poudre est un film obscur contre l’islam. Et nous voilà face à une démonstration de force planétaire. Il y a plusieurs effets à ce drame : ranimer le choc des civilisations, rappeler que l’être musulman est incompatible avec la démocratie et surtout, une fois de plus écraser les démocrates dans les pays arabes.
Il n’aura pas fallu bien longtemps aux gouvernements islamistes des frères musulmans en Egypte et en Tunisie pour saper les révolutions auxquelles ils ont pris part. Ces deux régimes se sont attaqués aux intellectuels, artistes : l’industrie du cinema égyptien fuit le pays et en Tunisie les producteurs, artistes ou journalistes sont mis en prison, tabassés. Les femmes subissent les attaques répétées dans l’espace public, humiliées en Tunisie, réduites à n’être que le simple appendice de l’homme passant du statut d’égale à celui de "complémentaire". Le double discours des gouvernements islamistes ne doit tromper personne. Leur politique de surenchère avec leur bras armé salafiste s’inscrit dans un rapport de force totalement banal et don l’unique objectif est de confisquer la révolution. La bataille entre les démocrates et les intégristes qui se joue dans les rues depuis plusieurs mois dans un climat de terreur, d’intimidations, d’arrestations n’a pas particulièrement ému de ce côté de la méditerranée.
On a préféré multiplier les soutiens, accueillant Marzouki à l’Assemblée Nationale qui expliqua au peuple français que les islamistes de Ennahda sont le pendant des partis démocrates chrétiens européens. Personne pour dire alors que Ennahda refuse la séparation de la religion et de l’Etat, principe imposé à tout parti en France.
Et on inventa le concept de "islamiste modéré". Où est la modération quand l’une des premières mesures du ministre de l’Enseignement supérieur en Tunisie est d’autoriser le niqab à la fac. Où est la modération quand au pic de la violence des salafistes, Ghannouchi, leader de Ennahda, veut une loi contre le blasphème et l’atteinte au sacré, relayé par en France par le CFCM. Un autre pays avait fait cette demande à l’ONU : la république islamique d’Iran.
La course pour le leadership de la communauté des croyants "oumma" n’a jamais cessé depuis 11 septembre 2001 et c’est aujourd’hui à qui fera la démonstration de force la plus spectaculaire.
Tous ces leaders du Hezbollah, du Hamas, des Frères Musulmans ou d’Al Quaida veulent reprendre la main sur l’opinion, traversée depuis les révolutions arabes par les revendications de liberté et de démocratie. La crainte de perdre du terrain est bien réelle. Depuis la révolution verte en Iran, on entrevoit une ouverture. Aussi mince soit-elle, elle est bien là : et si il y avait une alternative aux islamistes ?
Depuis une semaine, les images positives créée par les printemps arabes sont chassées par celles de ces manifestations de fanatiques plus spectaculaires les unes que les autres. Personne ne pourra pourtant effacer que des millions de femmes et des hommes ont bien crié horriya, liberté, démocratie à travers le monde arabe. Ils ont répondu à la question de néo-conservateurs et islamo-gauchistes du monde entier : oui, l’être arabe est compatible avec la démocratie, il peut en prendre le chemin.
Certains ici n’y ont pas cru tout simplement. Pétris d’ une vision pour l’essentiel religieuse du monde arabo-musulman, nos leaders politiques n’ont pas su soutenir sur le terrain les démocrates et les tenants de la laïcité. L’individu arabe, démocrate ? Non, pour eux il peut être au mieux un islamiste modéré, au pire un salafiste. Pourtant les résistant-es sont bien là comme Leena Ben Mehni, bloggeuse et activiste tunisienne, en lice pour le dernier prix Nobel de la paix. Et si on tendait l’oreille on pourrait entendre son appel : "La charia est pour moi du vrai avec lequel on voudrait imposer du faux, un opium par lequel on endort ou on enflamme la masse, la charia -telle qu’entendue et clamée par ces gens qui se disent les seuls représentants de dieu sur terre, est un plongeon dans les ténèbres des temps révolus..."
Face à cette rhétorique mondiale, il faut un discours cohérent et courageux. En France, je retrouve les même hésitations catastrophiques depuis plus de dix ans. La gauche n’est pas vacciné, les débordements des islamo-gauchistes à la fête de l’Huma en sont le triste signe et les organisateurs n’ont pratiquement pas réagi : le programme a continué, les discours n’en ont pas parlé, l’Huma n’a pas fait de mise au point le lendemain. Le refus de la laïcité semble être acquis au nom de la reconquête du vote des banlieues. Ce renoncement fait le lit de l’extrême droite qui a dès lors la latitude pour faire une OPA sur la laïcité en osant même la redéfinir comme la défense des valeurs chrétiennes.
Quant à la demande de criminaliser le blasphème en France, il faut ici se rappeler du Chevalier de La Barre, dernier cas de torture et d’exécution pour blasphème en France, comme d’une démonstration de l’obscurantisme des lois religieuses et de la nécessité de défendre la liberté de pensée. Le délit de blasphème ne peut s’appliquer littéralement qu’à un membre fautif de la même communauté de croyant. Autrement dit, dans le cas des caricatures, le délit de blasphème ne peut s’appliquer qu’à un musulman. Si un tel délit était institué dans le droit positif, cela reviendrait à dire que les lois de la Charia s’appliquent à tous et toutes et que toute individu en France qui ne respecte pas l’une des multiples interprétation de la Charia, peut être inquiété. Les articles 10 et 11 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 suppriment la notion de blasphème du droit français. Depuis 1791 il n’existe plus de délit spécifique de blasphème, c’est l’ordre social et la tranquillité publique qui sont protégés. Cependant, le rattachement de l’Alsace et la Moselle en 1918 a réintroduit la notion de blasphème dans le droit français, via l’incorporation de l’article 166 du code pénal allemand. En Alsace-Moselle, il n’y a pas de séparation entre l’Église et l’État, talon d’Achille de la République Laïque que le CFCM entend bien utiliser.
Manuel Valls qui a été l’un des seuls à gauche à soutenir la loi contre la burqa est condamné à devoir ré-organiser le vivre ensemble avec la laïcité comme gouvernail et sa mise en oeuvre sans concession sur le terrain, avec en embuscade d’un côté, les bien-pensants et les islamo-gauchistes et de l’autre, l’extrême droite et les intégristes.
Quant à la politique étrangère française, elle doit réaffirmer son soutien aux démocrates laïques au risque de devenir complice d’un hold-up des révolutions arabes par les islamistes. Le XXIe siècle sera-t-il le siècle de l’avènement de la laïcité ou du fanatisme religieux ? Des Pussy Riot en Russie aux militants démocrates dans les pays arabes, ces appels à la Laïcité sont des cris autrement plus importants et porteurs d’avenir pour tous, que le vacarme "déjà-vu" des islamistes mondialisés, fait de repli sur soi et de rejet de l’autre.
(1) Déclaration du président du CFCM sur RFI."
Lire "Derrière la volonté de réhabilitation du crime de blasphème, le trou noir de l’obscurantisme".
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