20 novembre 2020
[Les éléments de la revue de presse sont sélectionnés à titre informatif et ne reflètent pas nécessairement la position du Comité Laïcité République.]
"Emmanuel Macron y réfléchit depuis le début de son quinquennat. Mais la gestation fut longue et douloureuse, et les récents attentats ont changé la donne.
Par Olivier Beaumont, Pauline Théveniaud, Marcelo Weisfred
C’est à Bourzwiller que tout a commencé. Le 18 février, dans ce quartier populaire de Mulhouse (Haut-Rhin), Emmanuel Macron serre des mains à n’en plus finir, sans savoir qu’est en train de se jouer son destin politique. Il est tout sourire. A 250 m de là, se trouve pourtant un rassemblement évangélique de l’Eglise de la Porte ouverte. Ce sera l’un des clusters majeurs de l’ épidémie. Le point d’entrée de la maladie en France, avec plus de 1000 contaminations qui essaimeront dans tout le pays…
Mais le chef de l’Etat est loin d’imaginer ce qui se trame alors. Il est venu parler d’autre chose : la laïcité. A l’approche des municipales, il a décidé de faire taire l’opposition qui le dit gêné par le sujet. D’autant que dix jours plus tôt, des maires qu’il a reçus à l’Elysée l’ont pressé d’avancer sur ce terrain miné : « Monsieur le président, il faut une réponse. On a des remontées inquiétantes dans les écoles, des phénomènes de radicalisations dans certaines structures sportives, des doutes sur le financement de certains cultes », l’alerte l’un d’eux.
Alors à Mulhouse, Macron lance l’offensive : « Dans la République, on ne doit jamais accepter que les lois de la religion puissent être supérieures aux lois de la République », tranche-t-il, le ton ferme, avant d’annoncer pour les semaines à venir un grand plan contre la radicalisation et l’islam politique. Avec cette formule, pour la première fois employée en public : « séparatisme islamiste ». Expression avec laquelle il confesse se sentir « plus à l’aise » qu’avec celle de « communautarisme », au prétexte qu’elle « stigmatise ».
Un grand plan, accompagné d’une loi, donc. La promesse a été confirmée début octobre lors d’un second discours, celui des Mureaux (Yvelines), et son projet de loi « confortant les principes républicains » actuellement étudié par le Conseil d’Etat. Il sera présenté le 9 décembre en conseil des ministres, jour anniversaire de la loi de 1905. Tout un symbole. Entre-temps, les mots « séparatisme » et « laïcité » ont tout de même disparu de l’intitulé. C’est que l’accouchement fut difficile pour Emmanuel Macron et sa majorité …
Peu le savent, mais la genèse de ce texte remonte au tout début du quinquennat. Dès décembre 2017, le président demande au ministère de l’Intérieur de travailler sur les territoires d’où sont partis des combattants djihadistes. Trois mois plus tard, un plan d’action est même mis en place dans quinze quartiers tests. « Mais la consigne au début était claire : faire cela à bas bruit. Ne pas communiquer volontairement pour voir si ça marcherait », admet aujourd’hui un conseiller du Palais.
D’autant qu’en parallèle, Macron doit gérer les contradictions de sa majorité. « Il était très allant pour aller vite et loin sur le sujet, mais il devait composer avec cette majorité silencieuse de la République en marche très sociale-démocrate, très rétive à l’idée de légiférer autour de l’islam radical », confie un ancien de Matignon, avec le souvenir qu’Emmanuel Macron « était particulièrement tiraillé entre son conseiller spécial Philippe Grangeon ( NDLR, issu de la gauche et qui a quitté l’Elysée début septembre ), et les préfets de l’Elysée qui étaient au contraire très allants pour être fort sur les actes ».
En octobre 2018, quand Christophe Castaner est nommé à Beauvau après la démission de Gérard Collomb, sa feuille de route est claire : préparer un texte. Mais le ministre pose ce prérequis : toucher le moins possible à la loi de 1905, si ce n’est pour la renforcer. « Quand on touche au sacré, et là au sacré républicain, il faut agir avec la raison et le recul nécessaire », prévient-il. Outre la création des CLIR (cellule départementale de lutte contre l’islamisme et le repli communautaire), lui et son secrétaire d’Etat Laurent Nunez travaillent alors sur les mesures de neutralité dans les services publics, la question du financement des cultes par des puissances étrangères, la possibilité de dissoudre des structures ou de fermer des lieux de culte du simple fait de tenir des propos haineux ou discriminatoire. Le ministre des Collectivités Sébastien Lecornu plaide de son côté pour permettre aux préfets de suspendre des mesures ou de se substituer aux élus quand les principes de la laïcité sont menacés. Par exemple dans le cadre d’horaires aménagés dans les piscines.
Le plan est sur les rails, mais le président tâtonne encore sur l’atterrissage général du texte. Quand il surprend à d’autres occasions. Comme lors de cette réunion avec des ministres organisée le 17 septembre dernier. Jean-Michel Blanquer y évoque la déscolarisation galopante des élèves et « propose de les recenser en croisant les fichiers d’aides sociales pour repérer les familles et mieux cibler les contrôles ». Macron tique : « On doit être plus ambitieux. Regardez plutôt quels seraient les moyens d’interdire carrément la scolarisation à domicile ». « Blanquer était scié. Il n’avait pas osé aller aussi loin, persuadé qu’il ne serait jamais suivi », raconte un participant.
En réunion avec ses chefs de cabinet, le patron s’agace aussi de ceux qui l’accusent de ne pas avoir la main ferme sur l’islam radical. « Le danger, c’est l’amalgame avec la religion musulmane. C’est pour cela qu’il a longtemps tergiversé autour du mot communautarisme », confie un ministre. Même si auprès des Français le mot « séparatisme » reste peu compris. Autour de lui, certains l’alertent d’ailleurs sur des sondages qui reflètent cette incompréhension lexicale. Mais lui s’arc-boute. « C’est le mot qui définit le mieux le but que je veux atteindre, c’est-à-dire de s’en prendre à ceux qui veulent se séparer de la République », appuie-t-il en privé. Le 4 septembre, à l’occasion des 150 ans de la proclamation de la République célébrée au Panthéon, le chef de l’Etat parle donc encore « d’aventure séparatiste » et annonce qu’un projet de loi « sera déposé dès cet automne ». Mais il finira quelques jours plus tard par abandonner l’usage de cette expression en public.
Entre-temps, un nouveau duo est arrivé au ministère de l’Intérieur, Gérald Darmanin et Marlène Schiappa. A la Justice, Eric Dupond-Moretti a succédé à Nicole Belloubet. « Ça a clairement mis un coup d’accélérateur au cours de l’été. Darmanin avait visiblement beaucoup réfléchi sur le sujet avant d’arriver à Beauvau, particulièrement sur les questions du culte », raconte un intime du président. Alors quand ce dernier se présente aux Mureaux pour présenter les contours du futur projet de loi, le texte est paraît-il « finalisé à 95 % ».
Mais dix jours plus tard, l’assassinat de Samuel Paty rattrape le calendrier prévu par l’Elysée. Il succède à une attaque terroriste devant les anciens locaux de Charlie Hebdo et précède de quelques jours celle de la basilique de Nice. « Heureusement que le discours des Mureaux état passé. Sinon, Macron aurait été taxé d’angélisme et de naïveté », soulève un membre du gouvernement.
Pour la énième fois, le texte est à nouveau repris et discuté. Les Conseils de défense dédiés à cette question se succèdent, en parallèle de ceux consacrés à la gestion de crise sanitaire. Macron et son Premier ministre, Jean Castex, tamponnent alors les ultimes arbitrages. Le délit réprimant la haine en ligne est notamment ajouté dans ce « PJL » long de quarante-sept pages pour cinquante-sept articles. Mercredi soir encore, Emmanuel Macron s’est impliqué en recevant à l’Elysée, aux côtés de Gérald Darmanin, les dirigeants du Conseil français du culte musulman (CFCM), l’instance chargée de représenter les musulmans de France auprès des autorités étatiques.
Au cours de cet entretien, le CFCM, à qui le chef de l’Etat a mis la pression pour qu’ils encadrent davantage la formation des imams, sur fond de regain de la menace islamiste, a présenté le projet de gouvernance d’un Conseil national des imams (CNI) chargé d’évaluer les connaissances des futurs imams, de les labelliser et même de délivrer une carte officielle d’imam. Ces derniers devront se soumettre à un code de déontologie rédigé par le CNI, mais aussi à « une charte des respects des valeurs républicaines ».
Un texte qui doit être finalisé dans les quinze prochains jours. Il sera écrit par le CFCM… en lien avec le ministère de l’Intérieur. « Deux principes y seront inscrits noir sur blanc : le refus de tout islam politique et de toute ingérence étrangère », explique-t-on à l’Elysée. Toutes les composantes du CFCM devront adouber ce texte, de « façon à lever les ambiguïtés », poursuit l’Elysée. Le président a profité de cette réunion pour rappeler les « grands équilibres » du futur projet de loi. « Le texte le plus important de cette fin de quinquennat », jure-t-on autour du chef de l’Etat. Autant dire, qu’une fois encore, Emmanuel Macron joue gros."
Lire "Séparatisme islamiste : l’histoire secrète d’un projet de loi brûlant".
Voir aussi dans la Revue de presse les rubriques Loi "Principes de la République" (2020-21), Organiser l’"islam de France", Macron et la Loi de 1905 ; le communiqué du Comité Laïcité République "Séparatisme" : plusieurs propositions du président vont dans le bon sens (CLR, 2 oct. 20) (note du CLR).
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