"Dans "Une France soumise", des acteurs de terrain témoignent." 25 janvier 2017
Georges Bensoussan (dir.), Une France soumise. Les voix du refus, préface d’Elisabeth Badinter, Albin Michel, 544 p., 24,90 e.
"Dans "Une France soumise", des acteurs de terrain témoignent. Pour garantir leur sécurité, ils s’expriment anonymement.
Il y a deux ans, j’ai décidé de changer de fonctions et d’aller confronter mes expertises sur les politiques publiques au terrain des banlieues que l’on dénomme aujourd’hui « quartiers populaires ». [...]
Mon arrivée dans la commune coïncidait avec le mois de ramadan. Le quartier était désert, les commerces fermés, les stores de métal baissés. Pas âme qui vive en début d’après-midi. Comme dans tous les quartiers prioritaires en France, les commerces sont presque exclusivement communautaires et ethniques. De ce fait, les interdits sont plus facilement respectés. [...]
Les premiers jours dans mon poste ont été difficiles. J’avais envie de fuir, de retrouver un territoire où je retrouverai une vie « à la française ». Je me sentais épiée, regardée, véritablement étrangère dans une cité où je croisais des gens vêtus selon un code religieux. Les femmes sont vêtues de longues jupes ou de pantalons ; si elles ne portent pas le jilbab, elles portent des tenues qui évitent de montrer leurs formes. Elles ne portent pas de couleurs vives, ne se maquillent pas et sont presque toutes voilées. Les couleurs, le maquillage, les bijoux mêmes sont contre-indiqués pour les femmes qui doivent être les plus neutres possible dans leur apparence, les moins remarquables. Le vernis à ongles, par exemple, est proscrit, car il entrave la bonne pratique des ablutions, l’eau ne pouvant pénétrer sur les ongles maquillés. Certaines entreprises ont néanmoins compris l’intérêt de fabriquer des vernis « halal » qui, selon elles, laisseraient l’eau perler sous le vernis... Quelques rares femmes portent encore la burqa, on ne les croise que très rarement. Les autres ont adopté le jilbab, qui n’est finalement qu’une burqa sans voile sur le visage. De loin, dans ces tenues, les femmes se ressemblent toutes. Négation de l’identité et de l’individu, ces tenues affirment la force du groupe. [...]
J’ai cherché à comprendre la position des musulmans « modérés », de celles qui ne se voilent pas, de ceux qui ne portent pas la barbe ou la chemise longue, sur la pratique rigoriste de leurs coreligionnaires. Aucune critique n’est émise à leur égard. Au contraire, ils me font souvent part de leur admiration pour ces « salafis », ces personnes pieuses qui montrent l’exemple, qui ont le courage de vivre selon les principes édictés par le Prophète. A écouter ces modérés, ce sont plutôt le courage et la vertu qui manquent au plus grand nombre pour leur ressembler. Quand je pose la question aux femmes qui ne sont pas voilées, elles sont nombreuses à me répondre qu’elles le seraient si elles le pouvaient mais que la société française les en empêche dans leur travail.
Voilà un peu plus d’une décennie que j’y suis installé. Les choses ont progressivement changé, mais dans le mauvais sens du terme. Au début, j’avais le discours du nouvel arrivant : « C’est exotique », « Toute cette dynamique, c’est incroyable », « Les gens ici sont vraiment gentils et accueillants ». Peu à peu, j’ai acquis une expérience professionnelle singulière, et j’ai découvert la profondeur du mépris et du désamour de la France chez ceux qu’elle a accueillis et – concernant mon univers professionnel, la médecine de proximité – qu’elle accompagne avec bienveillance et générosité. La France est reconnue pour la qualité, et plus encore la gratuité de ses soins médicaux. Etudiant en médecine, je trouvais cela formidable. Pourtant, cette générosité n’est pas vue comme une force de la France généreuse qu’on remercie, mais bien plutôt comme un tribut normal d’un pays colonialiste qui « doit payer pour ce qu’il a fait ». Ces gens sont- ils heureux de devenir français ? Pas du tout ! Mieux encore, ils m’expliquent pour nombre d’entre eux qu’ils ne veulent pas le devenir. Un jour, un patient que je croyais français naturalisé d’origine algérienne m’avouait : « Moi, Français ? Ah non, docteur, ah non, ça jamais ! Jamais ! » En revanche, le droit du sol avait fait de ses enfants des Français. Dans quel contexte de respect pour leur pays de naissance allaient-ils grandir ? Je sentais que j’abordais chez lui un sujet sensible et cela m’a mis très mal à l’aise. D’autres patients plus jeunes, Français par le droit du sol, m’assurent que leur pays, c’est l’Algérie ou la Tunisie... et qu’ici « c’est secondaire ». Ils ne sortent pratiquement jamais de leur banlieue et glorifient un pays dans lequel ils ne bénéficieraient pas du quart de ce qu’ils reçoivent en France : l’éducation, la santé, l’emploi, l’ouverture culturelle, la liberté de circuler, la liberté d’expression. [...] La médecine est devenue un bien de consommation : on va faire ses courses, on va chez le médecin, puis on va au parc. Pas de problème, c’est gratuit. Dans les grandes aires urbaines, le médecin est un « consommable » comme le boulanger ou le boucher. La difficulté de son métier, son expertise, est ignorée, voire niée. Les services des urgences des grands hôpitaux en témoignent : surcharge de travail, « bobologie », violences de patients qui croient que le médecin ou l’infirmier sont à leur service exclusif, sans parler des exigences personnelles pour que les femmes soient examinées par des femmes sous peine de scandale ou de menaces.
J’enseigne l’histoire-géographie depuis vingt-cinq ans dont dix-huit dans un lycée de Région parisienne, un établissement sans histoire qui jouissait encore il y a peu d’une excellente réputation. [...]
Le mardi 2 décembre 2014 a lieu le vote concernant la reconnaissance par l’Assemblée nationale de l’Etat palestinien. On frise l’hystérie dans les couloirs du lycée, tout particulièrement devant ma porte de classe. J’entends mes propres élèves hurler sous mon nez des « inch Allah », avec une joie démonstrative et quelques youyous.
Au cours de cette journée éprouvante, une de mes élèves de seconde, déjà âgée de 18 ans, m’interpelle vivement pendant le cours (sur l’Antiquité romaine) pour me sommer de me positionner sur le conflit israélo-palestinien. Je lui réponds que ce n’est pas le sujet. Elle insiste et parle d’un peuple « chassé de sa terre », accuse les Israéliens de crimes contre l’humanité et précise qu’« ils se servent de kalachnikov pour tuer les enfants ». Pendant de longues minutes, elle garde furieusement la parole, s’agite et se lève, cherche à soulever les autres, ce qu’elle ne parvient pas à faire à l’exception d’un seul, un garçon réputé instable et violent, déjà exclu récemment d’un autre établissement. Après quelques efforts de discussion, je demande à la jeune fille de sortir, elle s’y refuse et insiste dans des débordements qui me sont directement adressés. Je demande : « Dois-je comprendre que vous me menacez ? » Elle répond : « Moi, je vous menace, moi je vous menace ? D’accord ! » Elle range ses affaires dans son sac, s’avance furieusement vers moi. Une fois arrivée à ma hauteur, elle crache par terre à mes pieds en me fixant et me dit : « Je vais te faire un kick », entendez « je vais te casser la gueule ».
Son conseil de discipline a lieu le mardi 6 janvier, veille de l’attentat de Charlie Hebdo. Je note le ton aimable, voire conciliant et compassionnel, du proviseur à l’égard de la jeune fille et de son père. Je regrette le ton dur et cassant qu’il m’adresse, ravi à chaque occasion de me rabrouer publiquement. Alors qu’on écoute attentivement la jeune fille qui s’explique, on me demande de justifier avec précision l’enchaînement des faits, comme pour y déceler un manquement quelconque de ma part.
Le CPE [Conseiller principal d’éducation] [1] qui connaît bien la jeune fille et pourrait témoigner de son comportement est curieusement absent, remplacé par une autre CPE qui ne connaît rien au dossier. C’est mon procès, en somme.
Parce que « j’en fais trop », que mon comportement est qualifié de « jusqu’au-boutiste », gênant, voire suspect. Parce que j’empêche la liberté d’expression de mes élèves. Parce que j’évoque la dérive communautariste et les agressions ad hominem dont je fais l’objet. Parce que je ne peux être victime que de moi-même, le proviseur m’interrompt régulièrement sur un ton peu amène en plein conseil : « Monsieur, vous avez un sentiment, vous avez des impressions, mais personne d’autre que vous ne les partage. »
Après une longue délibération, le conseil de discipline décide une « exclusion définitive... avec sursis ». Autrement dit, je retrouve cette même élève dès le lendemain matin dans ma classe, comme si rien ne s’était passé.
Certains patients étrangers de culture musulmane ayant une pratique rigoriste justifient leur refus de quitter l’hôpital par des habitudes culturelles : pour eux, il est impossible de recevoir quotidiennement à domicile un infirmier ou une infirmière pour le suivi de soins car ils considèrent que c’est le rôle de leur épouse (restée au pays). Héloïse : « "Vous êtes payée pour ça" est une phrase que j’entends souvent quand j’essaie d’expliquer à un patient qu’il doit faire seul certains soins pour s’autonomiser, comme mettre ses gouttes ou faire son dextro [Mesure du taux de glucose dans le sang (la glycémie), par exemple en cas de diabète] [2]. Ces hommes ont visiblement l’habitude d’être servis et refusent d’apprendre ces gestes, ils se reposent toujours sur un tiers, si possible féminin : épouse, fille, belle-fille. Quand cela est impossible, nous devons les garder jusqu’à la fin des soins, qui pourraient pourtant se faire à domicile et libérer un lit. Des patients étrangers restent des mois dans le service où je travaille alors que s’ils étaient français ou accueillis par leurs proches en France, ils seraient depuis longtemps retournés à leur domicile. Parfois je me demande si l’administration hospitalière se souvient que c’est le contribuable qui finance cette vision hôtelière de l’hôpital. »
Marcel : « Ce phénomène semble s’aggraver depuis une quinzaine d’années sous l’effet de l’attractivité de la CMU et de l’AME. Pourquoi leur pays d’origine n’assure-t-il pas une bienveillance envers ses concitoyens ? Refuser de le dire est un déni de réalité : la gratuité des soins y est pour beaucoup dans l’afflux de patients étrangers dans nos services et de certains qui viennent de pays ayant un lien historique avec la France (ce qui ne fait pas d’eux pour autant des francophones !). Ils ont des proches vivant en France qui leur permettent d’entrer sur le territoire pour s’y faire soigner, il ne s’agit pas de malades transférés officiellement d’un hôpital étranger à un hôpital français. Rien que pour l’AP-HP, il y a 118 millions d’euros d’impayés suite à des soins ayant bénéficié à des patients étrangers.
Voici maintenant près de vingt ans que je travaille dans le secteur social, d’abord en province, dans un établissement d’accueil d’urgence pour enfants, puis depuis deux ans en tant que responsable d’un centre communal d’action sociale (CCAS) en région parisienne. [...]
Dans certains quartiers relevant du territoire, les assistantes sociales, les puéricultrices ou encore les sages-femmes ont vraiment peur lorsqu’elles doivent faire des visites à domicile. Leurs visites ne sont jamais inopinées, les familles sont toujours prévenues. Elles ne peuvent plus entrer dans certains immeubles, dont de jeunes trafiquants empêchent l’accès. Ils surveillent les assistantes sociales, les interrogent sur les raisons de leur venue, exigent parfois le nom des personnes visitées, relèvent la plaque d’immatriculation de leurs véhicules. Désormais, dans certains secteurs, elles se rendent en visite à deux et souvent ne disent pas pourquoi elles viennent. Quand les assistantes sociales vont aux permanences à la maison de quartier, certaines commencent à avoir peur, car le gardien y reçoit la visite de dizaines d’hommes en tenue salafiste qui occupent l’espace et imposent insidieusement leurs exigences par leur seule présence. Elles me disent y ressentir une pression très difficile pour travailler. Mais tout cela se fait sans agressivité verbale, par simple occupation ostentatoire de l’espace public et mise en minorité de ceux qui ne font partie de leur groupe. Je peux citer ici deux exemples éclairants. Une collègue du territoire conduisait sa voiture aux abords d’un quartier populaire quand un gros 4 x 4 lui grille la priorité ; elle klaxonne, le 4 x 4 pile et la bloque. Une femme voilée en descend et l’interpelle : « C’est vous qui m’avez klaxonnée ? » Ma collègue confirme en lui rappelant poliment les règles de priorité, à quoi elle se voit répondre : « Mais madame, ici vous n’êtes pas chez vous, vous n’avez pas la priorité. » Peut- être plus terrible et moins anecdotique, une psychologue de notre institution était au marché pour y faire quelques courses avant de rejoindre le bureau. C’est un marché populaire où l’immense majorité des clients appartient à la communauté musulmane de la cité proche. Elle aperçoit au loin l’imam qu’elle a rencontré dans le cadre d’un partenariat avec les enfants. Il s’avance vers elle, elle le salue, quand elle s’entend dire : « Madame, ici vous êtes chez moi, vous partez immédiatement, vous n’avez rien à y faire. » Elle était tellement stupéfaite qu’elle n’a pas trouvé les mots et est partie dans l’instant. Cet échange l’a profondément marquée. [...]
On nous parle volontiers de « vivre-ensemble », mais à quel prix ? Où est le respect des droits de chacun ? Par exemple, dans le quartier que j’évoque, il est désormais acté qu’on n ‘a plus le droit d’écouter de musique. Le cours de gymnastique pour les femmes se fait désormais sans musique et c’est de façon tout à fait ostentatoire que les « sportives » voilées en jilbab s’y rendent. Lorsque vous venez dans le quartier, que vous n’y êtes pas résidente, en tant que femme vêtue « à l’occidentale », vous devez supporter les regards inquisiteurs, voire désapprobateurs, des hommes qui discutent groupés à côté de l’épicerie. Tout cela est insidieux. C’est essentiel de le comprendre : aucune menace physique ou même verbale n’est formulée pour vous dire de quitter les lieux. Il faut le vivre au quotidien pour comprendre ce qui se passe, ce qui se joue, sans violence apparente mais par des regards, des postures qui vous font clairement ressentir que vous n’êtes pas sur votre territoire, mais sur le leur. Je le ressens plus encore depuis les attentats de janvier 2015 : chacun reste dans son coin et on se regarde en chiens de faïence. Jusqu’à quand ? Avant quoi ?
Policier depuis une quinzaine d’années et affecté au sein d’une compagnie républicaine de sécurité depuis plus de dix ans, je suis un des très nombreux témoins de cette lente mais inexorable descente aux enfers d’une démocratie en mal de repères. [...]
Où est la laïcité dans ces quartiers qui ne sont plus aujourd’hui que des zones de non-droit et où le communautarisme règne en maître ? Où la police ne peut plus entrer sans faire déplacer une compagnie de CRS pour assurer sa propre sécurité ?
Nombre de nos concitoyens sont totalement laissés à l’abandon et placés sous la coupe de tel ou tel caïd ainsi autoproclamé. Je travaille dans ces lieux où les pompiers refusent désormais d’intervenir et où les médecins ne se déplacent plus. J’y passe des nuits entières loin des caméras qui accompagnaient, le temps d’une visite éclair, les costumes sombres de nos élites dirigeantes et leur aréopage de thuriféraires depuis longtemps éclipsés. J’y ai été invectivé, sali, agressé, blessé, même.
Les « nique la police » succèdent aux « sales blancs » ou « Allah va vous niquer » que l’on peut entendre à longueur de vacation ou lire sur les murs pourtant régulièrement repeints par les plans d’urbanisme successifs. Le délaissement de ces quartiers s’accroît à mesure que s’enracine la radicalité, exacerbée par les événements tragiques de janvier 2015 et les actes terroristes accomplis ou déjoués depuis. Les actes de racisme antiblancs n’ont cessé d’augmenter depuis le début de l’année dans ces pans entiers de notre territoire où certains habitants revendiquent de plus en plus haut et fort de n’être « pas français », où le sentiment d’appartenir à la même nation, de construire ensemble le monde de demain s’étiole jour après jour. L’angélisme n’a plus cours. L’urgence frappe à la porte de notre République.
J’ai rencontré depuis plusieurs mois de nombreux collègues expérimentés de toutes les compagnies de France qui me font part de leurs inquiétudes légitimes face à des situations de plus en plus tendues. Galvanisés par les événements de janvier 2015, et avant eux par les tueries perpétrées par Mohammed Merah en 2012 à Toulouse et à Montauban, certains délinquants n’hésitent plus désormais à braver l’autorité des fonctionnaires de police, notamment en lançant, sous forme de provocation à peine voilée des phrases telles que : « On vous a bien eus en janvier », « Ce n’est que le début, vous allez voir », « Encore quelques années et Allah va prendre le pouvoir »."
Lire aussi G. Bensoussan : "L’antiracisme dévoyé a fait taire le peuple français" (Le Figaro Magazine, 13 jan. 17), "Cette France abandonnée aux islamistes" (Le Figaro Magazine, 13 jan. 17), "Quand les femmes deviennent indésirables dans les lieux publics" (France 2, JT 20h, 7 déc. 16) (note du CLR).
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