16 janvier 2008
Allocution du président de la République française devant le Conseil consultatif d’Arabie Saoudite, Riyad – lundi 14 janvier 2008 (extraits).
« [...] Sans doute, Musulmans, Juifs et Chrétiens ne croient-ils pas en Dieu de la même façon. Sans doute n’ont-ils pas la même manière de vénérer Dieu, de le prier, de le servir. Mais au fond c’est bien le même Dieu auquel s’adressent leurs prières. C’est bien le même besoin de croire et d’espérer qui leur fait tourner leurs regards et leurs mains vers le Ciel pour implorer la miséricorde de Dieu, le Dieu de la Bible, des Evangiles et du Coran.
Le Dieu unique des religions du Livre.
Dieu transcendant qui est dans la pensée et dans le coeur de chaque homme.
Dieu qui n’asservit pas l’homme mais qui le libère.
Dieu qui est le rempart contre l’orgueil démesuré et la folie des hommes.
Dieu qui par-delà toutes les différences ne cesse de délivrer à tous les hommes un message d’humilité et d’amour, un message de paix et de fraternité, un message de tolérance et de respect.
[...]
En tant que chef d’un Etat qui repose sur le principe de la séparation de l’Eglise et de l’Etat, je n’ai pas à exprimer ma préférence pour une croyance plutôt que pour une autre. Je dois les respecter toutes, garantir que chacun puisse librement croire ou ne pas croire, que chacun puisse pratiquer son culte dans la dignité.
Je respecte ceux qui croient au Ciel autant que ceux qui n’y croient pas.
J’ai le devoir de faire en sorte que chacun, qu’il soit juif, catholique, protestant, musulman, athée, francmaçon ou rationaliste, se sente heureux de vivre en France, se sente libre, se sente respecté dans ses convictions, dans ses valeurs, dans ses origines.
Mais j’ai le devoir aussi de préserver l’héritage d’une longue histoire, d’une culture, et, j’ose le mot, d’une civilisation. Et je ne connais pas de pays dont l’héritage, dont la culture, dont la civilisation n’aient pas de racines religieuses.
Je ne connais pas de culture, pas de civilisation où la morale, même si elle incorpore bien d’autres influences philosophiques, n’ait un tant soit peu une origine religieuse.
Dans le fond de chaque civilisation il y a quelque chose de religieux, quelque chose qui vient de la religion. Et dans chaque civilisation il y a aussi quelque chose d’universel, quelque chose qui la relie à toutes les autres civilisations.
[...]
Il n’y a pas de civilisation qui ne soit le produit d’un métissage. L’Occident a recueilli l’héritage grec grâce à la civilisation musulmane. Et ce que fut la civilisation de la Grèce antique, elle le devait pour une large part à ce qu’elle avait hérité de l’Egypte et de l’Orient.
C’est peut-être dans le religieux que ce qu’il y a d’universel dans les civilisations est le plus fort. Ce sont les religions, malgré tous les forfaits qui ont pu être perpétrés en leur nom, qui nous ont les premières appris les principes de la morale universelle, l’idée universelle de la dignité humaine, la valeur universelle de la liberté et de la responsabilité, de l’honnêteté et de la droiture.
[...]
Cette vérité qu’il y a dans toutes les religions, les croyances et les cultures quelque chose d’universel qui permet à tous les hommes de se reconnaître comme faisant partie de l’Humanité, de se parler, de se comprendre, de se respecter, de s’aimer, cette vérité nous avons tous le devoir de la promouvoir parce que c’est par elle que nous pouvons vaincre la barbarie qui n’accorde aucun prix à la vie et à la dignité de la personne humaine.
Cette vérité nous avons le devoir de la faire reconnaître parce que sa reconnaissance est la condition de la paix, de la fraternité et du progrès humain.
L’Homme n’est pas sur Terre pour détruire la vie mais pour la donner.
Il n’est pas sur Terre pour haïr mais pour aimer.
Il n’est pas sur Terre pour transmettre à ses enfants moins qu’il n’a reçu mais davantage.
C’est ce qu’enseignent toutes les grandes religions et toutes les grandes philosophies. C’est l’essence de toute culture et de toute civilisation.
C’est ce sur quoi nous devons fonder la politique de civilisation dont le monde aujourd’hui a tant besoin.
[...]
La diversité ce n’est pas seulement une valeur occidentale. C’est une valeur commune à toute civilisation.
C’était une valeur qui était à l’honneur à Alexandrie, à Constantine, à Cordoue.
C’est une valeur que j’ai voulu faire respecter en France en créant le Conseil du Culte Musulman.
C’est la valeur qui m’inspire quand je veux faciliter la construction de mosquées en France pour que les musulmans puissent prier dans des lieux de culte décents.
[...]
Chacun, remontant aux sources de ce qu’il est et de ce qu’il croit, retrouvera les origines communes, ce qui rapproche les religions du Livre et les civilisations qui en sont issues, et tous ensemble héritiers du judaïsme, du christianisme, de l’Islam, nous resouvenant de ce que nous devons à l’Egypte, à la Grèce et à Rome, ayant tous dans le coeur quelque chose qui nous rattache à Alexandrie, à Jérusalem et à Cordoue et nous les fait aimer, nous apprendrons à parler d’une même voix à tous les hommes d’un grand rêve de civilisation plus fort que la bêtise, la violence et la haine.
[...]
Sur la condition des femmes, sur la liberté d’expression, l’Arabie saoudite elle-aussi s’est mise en mouvement. Lentement, certes, mais qui ne serait impressionné par les changements qui se sont produits en quelques années, dans le respect de l’intégrité des lieux saints de l’Islam, qui est une exigence avec laquelle le Royaume ne peut pas transiger et qui l’oblige à être pour les croyants du monde entier un modèle de piété et de fidélité à la tradition ?
C’est à cause de cette exigence, c’est à cause de ce que représente l’Arabie Saoudite pour tous les musulmans, à cause aussi de l’autorité morale et religieuse du Roi Abdallah, que ce qui se passe ici est si important. Et quand en juin 2006, six femmes sont pour la première fois désignées comme
administratrices du Conseil Consultatif, cela représente ici une évolution dont je mesure bien la portée et que je salue.
C’est ici que le changement est le plus délicat, le plus difficile sans doute, mais c’est ici aussi qu’il a la plus grande valeur symbolique, la plus grande portée.
Le rôle d’équilibre et de modération que joue l’Arabie Saoudite n’a pas seulement une importance régionale. Il a une importance mondiale.
Il ne s’inscrit pas dans le court terme. Il s’inscrit dans la longue durée de l’histoire des civilisations.
Ici se joue le rapport de l’Islam avec la modernité. Ici l’Islam démontrera une forme de modernité qui lui est propre, qui ne viendra pas détruire son identité, qui n’entrera pas en conflit avec la foi.
C’est cela qui donne à l’Arabie Saoudite une importance si grande sur la scène du monde.
Quand Sa Majesté le Roi Abdallah rencontre le Pape, ce geste a plus d’importance pour la paix et pour l’avenir de la civilisation que bien des conférences internationales.
[...]
Tout ce qui se passe ici, toute la politique de l’Arabie Saoudite, tout ce qu’exprime, tout ce que fait Sa Majesté le Roi Abdallah montre une volonté non de rejeter la modernité mais de l’apprivoiser pour la transformer, et la mettre au service d’une certaine idée de l’Homme, d’un projet de civilisation.
C’est la voie que la France, par ailleurs si différente du point de vue de sa tradition, de sa culture, de son histoire, a elle aussi choisie.
La France ne veut pas être seulement un partenaire économique stratégique pour l’Arabie Saoudite, même si dans ce domaine, comme dans le domaine scientifique ou technique, nous avons beaucoup de choses à faire ensemble.
La France veut être aussi pour l’Arabie Saoudite un partenaire politique, parce que l’Arabie Saoudite et la France partagent les mêmes objectifs d’une politique de civilisation, parce que l’Arabie Saoudite et la France ont le même souci de tout faire pour que soit évité le choc des civilisations et la guerre des
religions, parce que l’Arabie Saoudite et la France ont toutes deux dans le monde, chacune à sa manière, une influence morale qui leur fait un devoir de se battre pour la paix et pour la justice.
L’Arabie Saoudite et la France n’ont pas seulement des intérêts en commun. Elles ont aussi un idéal commun. Elles doivent s’unir pour le faire progresser malgré toutes les forces qui dans le monde s’y opposent. [...] »
Comité Laïcité République
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