(E. Frèche, Le Point, 31 oct. 24). Émilie Frèche, écrivaine et réalisatrice. Auteur de "Le Professeur" (Albin Michel), ainsi que, avec Mickaëlle Paty, "Le Cours de monsieur Paty" (Albin Michel). 6 novembre 2024
[Les éléments de la Revue de presse sont sélectionnés à titre informatif et ne reflètent pas nécessairement la position du Comité Laïcité République.]
Lire "Samuel Paty, ou le procès des fatwas".
Engrenage. La cour d’assises spéciale de Paris s’apprête à juger ceux qui ont semé la haine sur les réseaux sociaux, entraînant la mort de ce professeur.
Par Émilie Frèche
Le 16 octobre 2020, Samuel Paty, professeur d’histoire-géographie à Conflans-Sainte-Honorine, était assassiné et décapité à la sortie de son collège pour avoir montré, dix jours plus tôt, une caricature de Mahomet à ses deux classes de quatrième. J’ai appris ce drame dans la soirée, alors que j’attendais un ami en terrasse dans la même douceur d’un certain 13 Novembre, et, au mot « décapité », je me souviens que quelque chose en moi s’est effondré.
J’ai relu ce mot plusieurs fois, comme s’il appartenait à une langue étrangère ; je l’ai prononcé à voix haute devant mon ami à son arrivée, sur ce ton incrédule que suscite l’effroi ; puis le souvenir du chevalier de La Barre m’est revenu, dernier Français condamné pour profanation de crucifix et décapité, lui aussi, à Abbeville, en 1766 – c’était ce crime et ce châtiment que les islamistes venaient de réhabiliter sur notre territoire.
Quatre ans plus tard, alors que la cour d’assises spéciale de Paris s’apprête à juger, après la condamnation de six mineurs dans cette affaire, huit adultes accusés d’avoir participé à la machine infernale ayant conduit au massacre de cet enseignant, je me demande encore si nous avons collectivement pris la mesure de ce que cet homme a subi et, à travers lui, de ce que cela signifie pour notre pays.
Mais peut-être est-ce une réalité trop violente, impossible à intégrer, sauf à avoir été confronté, comme je l’ai moi-même été pour les besoins des deux livres que j’ai consacrés à cet attentat, à la photographie du cadavre de cet homme : un corps sans tête couché sur le ventre dans le caniveau, vêtu d’une simple parka beige, d’un jean délavé et d’une paire de baskets, portant encore un sac sur le dos, mais que la violence des coups portés aura fait basculer sur le trottoir, à côté de ses lunettes de vue déposées là de manière si absurde, branches ouvertes comme sur un chevet, et puis, à gauche de ce corps sans tête, cette tête sans lunettes, ensanglantée à la base et disposée à la perpendiculaire du tronc, seule sur la chaussée.
Contexte
Oui, gardons cette image en mémoire pour ne pas oublier la guerre qui nous est menée, comme le contexte dans lequel cette « condamnation » islamiste s’inscrit. Car Samuel Paty ne s’est pas fait tuer à n’importe quelle date du calendrier. Il a été assassiné en plein procès des attentats perpétrés le 7 janvier 2015 contre la rédaction de Charlie Hebdo, et sa mort n’est au fond qu’une réplique de ce séisme.
Ce procès commençait le 2 septembre 2020 à Paris. La veille, le journal satirique avait republié les caricatures du prophète Mahomet, considérant qu’elles étaient « des pièces à conviction ». Emmanuel Macron se trouvait alors à Beyrouth (Liban) et, quand on l’interrogea sur ce choix éditorial, il défendit la liberté de blasphémer. Cela déclencha l’ire de la Turquie, de l’Égypte et du Pakistan, relayée sur le sol français par les médias francophones affiliés à ces pays. Aussitôt, les messages de haine à l’encontre de Charlie Hebdo pullulaient sur les réseaux sociaux, et, la semaine suivante, alors que les proches des victimes témoignaient à la barre, Al-Qaïda indiquait que « celui qui insulte [le Prophète] doit être tué », encourageant les musulmans installés en Europe à passer à l’acte.
Première victoire le 25 septembre : un Pakistanais attaquait au hachoir deux journalistes devant les anciens locaux de Charlie Hebdo, défigurant le premier et plongeant l’autre dans un coma de plusieurs mois.
Le nom de Samuel Paty livré en pâture
Voilà pour le décor. Voilà pour le théâtre sur la scène duquel, le 7 octobre 2020, Brahim Chnina allait s’illustrer en publiant une vidéo dans laquelle il traitait de « voyou » le professeur d’histoire-géographie de sa fille, que ce dernier avait prétendument exclue deux jours du collège pour avoir refusé de sortir de la classe, avec d’autres élèves musulmans, le temps qu’il montre des images du prophète nu. Cette élève était en réalité absente de ce cours, mais cela n’empêchait pas Chnina de livrer en pâture le nom de Samuel Paty, celui du collège, et d’enjoindre à sa communauté de se mobiliser pour « virer ce malade ».
Le surlendemain, cette vidéo était relayée par la mosquée de Pantin à ses 100 000 abonnés Facebook, puis M. Chnina, qualifié de « nouveau lanceur d’alerte » sur les ondes de la radio France Maghreb 2, se voyait invité à témoigner au micro de cette radio.
Parmi les contacts de Chnina figurait un certain Abdelhakim Sefrioui, fiché S, bien connu des services de renseignements pour son activisme à la tête du collectif Cheickh Yassine, association qu’il avait lui-même créée en 2004 en hommage au fondateur du Hamas.
Dès le 7 octobre 2020 au soir, Sefrioui réagissait au post de Chnina : « Il faut absolument qu’on agisse. » Et, le 8, les deux hommes se présentaient au collège du Bois-d’Aulne pour réclamer à la principale le renvoi de Samuel Paty. N’obtenant rien, le militant islamiste passa à la vitesse supérieure en publiant à son tour une vidéo intitulée L’islam et le Prophète insultés dans un collège public, le vrai séparatisme, qu’il envoya, entre le 12 et le 16 octobre, à plus de 6 000 contacts.
Le procès en islamophobie qu’il intentait ainsi à Samuel Paty tout comme la rhétorique victimaire dont il usait, utilisée par la propagande djihadiste pour attaquer nos libertés sous couvert de lutte contre une prétendue discrimination, étaient d’une telle virulence qu’un internaute les signala sur Pharos.
Acquittement
Aujourd’hui, les avocats de Sefrioui qualifient d’« aberration intellectuelle et judiciaire » la mise en accusation de leur client pour « association de malfaiteurs terroriste criminelle » au motif que l’instruction n’a pas permis d’établir qu’Abdoullakh Anzorov a vu cette vidéo avant d’assassiner Samuel Paty ; ils plaideront donc l’acquittement.
Hadi Matar, auteur de l’attentat islamiste perpétré au couteau contre Salman Rushdie le 12 août 2022 à Chautauqua, aux États-Unis, a refusé de dire si la fatwa de l’ayatollah Khomeyni proférée en 1989 à l’encontre de l’auteur des Versets sataniques l’avait inspiré. Pour autant, peut-on en déduire que l’ayatollah Khomeyni ne porte aucune responsabilité dans cet attentat ?
Les avocats de Sefrioui me répondraient que la responsabilité morale n’est pas la responsabilité pénale, et que, pour établir cette dernière, il faut une culpabilité et une imputabilité. Sauf à comprendre que le principe même d’un procès en islamophobie, qui n’est rien d’autre qu’une fatwa lorsqu’il est question de Mahomet, est d’avoir force de loi et d’inviter tous les fidèles à passer à l’acte.
Pendant près de vingt ans, Abdelhakim Sefrioui a affiché son soutien au Hamas et au Hezbollah, mis en place, avec sa librairie, ses réseaux sociaux et son collectif, une stratégie de propagande de leurs discours antisémites et anti-Occident ; il a multiplié les menaces à l’encontre d’acteurs modérés de l’islam ; il a dévoyé la cause palestinienne en collectant des fonds qu’il envoyait à des contacts à Gaza appartenant à la mouvance radicale et en organisant des manifestations où il fustigeait la France, exactement comme Elias d’Imzalène aujourd’hui, lui aussi fiché S, ardent pourfendeur de la loi dite « séparatisme » à la tête du collectif Urgence Palestine et qui, en septembre dernier, appelait à l’intifada dans les rues de Paris aux côtés des Insoumis Louis Boyard et Rima Hassan.
Cette nébuleuse qui a entrepris de déstabiliser la paix sociale
Rima Hassan aurait-elle pu aussi être en lien avec Abdelhakim Sefrioui ? Peu importe la réponse. Leur activisme pro-Hamas, leur combat contre une « islamophobie d’État », leur dérive antisémite et le fait qu’ils soient défendus par le même avocat permettent de saisir les contours d’une nébuleuse qui, de nos écoles au cœur du pouvoir européen, a entrepris de déstabiliser la paix sociale.
Le lendemain du cours de Samuel Paty sur la liberté d’expression, le profil de Sefrioui était signalé par la principale du collège à sa hiérarchie, qui en informait aussitôt la police municipale, le renseignement territorial et le ministère de l’Intérieur. Mais, pendant les onze jours qui suivirent, la seule chose qui occupa tous ces services fut d’éviter le « trouble à l’ordre public avec risque de retentissement médiatique » que faisait peser la menace d’une manifestation de musulmans devant le collège.
Qu’avait écrit Riss, déjà, dans son édito de Charlie Hebdo du 2 septembre 2020 ? « Nous ne nous coucherons jamais. Nous ne renoncerons jamais. » On aurait aimé que les faits lui donnent raison, mais dans cette affaire, ni la loi, ni l’exécutif, ni l’administration n’auront permis de mettre les prêcheurs de haine hors d’état de nuire et de protéger Samuel Paty. Reste maintenant notre pouvoir judiciaire. Est-il encore debout face à la guerre que nous mène l’islamisme radical ? C’est tout l’enjeu du procès qui s’ouvre le 4 novembre, pour sept semaines, devant la cour d’assises spéciale de Paris.
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