Revue de presse

S. Mabrouk : « Il m’arrive d’être traitée d’islamophobe » (lefigaro.fr , 6 mars 17)

Sonia Mabrouk, journaliste à Europe 1 et à Public Sénat, auteur de "Le monde ne tourne pas rond, ma petite-fille" (Flammarion). 13 mars 2017

"INTERVIEW - Pour la journaliste franco-tunisienne, l’islam n’est pas qu’une question religieuse. C’est aussi un enjeu de société sur les deux rives de la Méditerranée. La journaliste publie un livre de conversation avec sa grand-mère tunisienne : "Le monde ne tourne pas rond, ma petite-fille" (Flammarion, mars 2017). L’école, la langue, la culture et le déclin de l’islam sécularisé. Un débat savoureux, courageux et très instructif.

LE FIGARO. - Pourquoi avoir choisi d’écrire un livre sous la forme d’une conversation ?

Sonia MABROUK. - La scène fondatrice du livre, c’est une colère de ma grand-mère devant le silence des médias après les événements de Kasserine. Des djihadistes ont voulu prendre ce village de l’arrière-pays tunisien et des femmes, voilées ou non, les ont repoussés au cri de « Vive la Tunisie » et « terroristes dehors ». Quel symbole ! Personne n’en a parlé dans les grands médias. On réduit souvent la Tunisie au rôle de pépinière à djihadistes. Je ne nie pas cette réalité, mais une autre la combat courageusement.

Le constat est parfois sombre…

Malek Chebel avait cette formule terrible : « L’islam de nos grands-parents a perdu. » Ma grand-mère est musulmane et vit un islam sécularisé. Quand de sa fenêtre, elle regarde le quartier très populaire de la Goulette, à Tunis, et qu’elle voit certaines femmes, en burqa, elle se souvient de sa jeunesse durant laquelle ce voile intégral n’existait pas. Les femmes étaient sous un voile blanc qui ne couvrait que les cheveux.

Votre grand-mère s’étonne de nos débats…

Ils sont souvent mal posés. Quand vous parlez d’islam en France, qui allez-vous convoquer ? L’imam. Sans vous demander s’il est représentatif des Français de confession musulmane. En oubliant que l’islam, ce n’est pas seulement une question religieuse, c’est un enjeu de société. Il y a des médecins, des chefs d’entreprise qui sont français, intégrés, patriotes et musulmans. On ne les entend jamais. Sans doute parce que leur propos est apaisé et nuancé. De la même façon, quand vous parlez de la banlieue. Voyez Mehdi Meklat . On lui a ouvert les plateaux et les journaux parce qu’il correspondait à ce que l’on attendait de lui. Il était « la banlieue » et, désormais, tout jeune d’origine maghrébine sera soupçonné d’avoir un double maléfique. Cette affaire, en quelques tweets orduriers et salissants, a mis à mal un travail silencieux qui se fait dans les banlieues difficiles. Enfin, pourquoi l’expression de la pauvreté et de la relégation serait-elle toujours confondue avec la banlieue ? Il y a dans les provinces, dans les campagnes, des oubliés, des déclassés que l’on invite jamais sur les plateaux.

Quel est votre rapport à l’islam ?

Ma grand-mère m’a appris que c’est quelque chose que l’on vit en soi et chez soi. Je suis croyante, je ne suis pas pratiquante. Je vis parfaitement ma religion dans le cadre des lois de la République et, surtout, dans le respect de l’autre. En revanche, je n’ai aucun complexe à dénoncer les germes de violence qui peuvent exister dans ma religion. Au point qu’il m’arrive d’être traitée d’islamophobe.

Pourquoi êtes-vous hostile au burkini ?

J’ai une double expérience de l’islam politique. En Tunisie, il est représenté par Ennahda, le mouvement au pouvoir. Tout l’enjeu est de savoir s’il pourra se fondre dans la démocratie. En France, en revanche, on ne peut pas tolérer qu’il y ait dans notre pays, qui n’est pas de culture musulmane, l’expression d’un islam politique. Ici, il s’exprime par une somme de provocations parfaitement assumées. Le burkini en est une.

Nombre de féministes y sont pourtant favorables…

Beaucoup ont invoqué la liberté pour défendre le port de ce vêtement mais elles oublient que, dans les pays du Maghreb, les choix français ont un fort impact. Les islamistes vont se saisir de cet argument et invoquer désormais « la liberté » pour défendre le port du burkini. Il ne faut pas avoir une vision étriquée et uniquement hexagonale sur ces sujets-là. Nous sommes observés et la moindre faiblesse sert aux ennemis de la liberté des femmes et de la liberté tout court. Les islamistes qui voient tout et comprennent tout ce qui se passe chez nous ont fait d’un symbole de domination, l’expression d’une liberté ! Cruel retournement de situation. Cette naïveté, au fond, n’en est pas une. Prenons l’affaire des cafés de Sevran où les femmes sont indésirables. Benoît Hamon, je crois, a refusé de voir l’aspect culturel ou religieux dans cette affaire pour invoquer la tradition ouvrière. C’est parfaitement hypocrite et il sait, comme député de Trappes, quels sont les motifs réels de ces lois non écrites. Gilles Kepel parle parfois des idiots utiles de l’islam politique. Je pense que tous ces gens qui cèdent sur ces provocations ne sont pas idiots. Ils savent ce qu’ils font. C’est une circonstance aggravante. Ils sont conscients des conséquences de leurs combats erronés. Sont-ils utiles à l’islam politique ? C’est un fait.

Le livre ne se limite pas, loin de là, au sujet de l’islam…

Nous abordons d‘autres sujets comme les traditions, les femmes, une certaine idée de la France, l’école…Ma grand-mère Delenda s’étonne des débats quasi hystériques sur l’école en France. Une école que l’on décrit comme fatiguée, en mauvais état. Ce qui est en partie vrai, mais on oublie combien cet enseignement attire encore en dehors de nos frontières ! C’est comme ça que j’ai appris à aimer notre langue et donc notre Histoire depuis ma Tunisie natale. Si l’école en France était débarrassée des idéologies qui la gangrènent pour davantage se concentrer sur ses missions premières, nous aurions alors un système qui s’apparenterait à un modèle !"

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