Revue de presse

Riss : "Vous avez quelque chose contre la jeunesse  ?" (Charlie Hebdo, 3 jan. 24)

(Charlie Hebdo, 3 jan. 24). Riss, directeur de "Charlie Hebdo" 6 janvier 2024

[Les éléments de la Revue de presse sont sélectionnés à titre informatif et ne reflètent pas nécessairement la position du Comité Laïcité République.]

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Lire "Vous avez quelque chose contre la jeunesse  ?"

Cela va bientôt faire dix années que Charlie a été victime du terrorisme et que la France a découvert l’ampleur de ce phénomène à travers une série d’attentats sanglants. Depuis, on se perd en interprétations pour en comprendre les raisons. Et demeure une question dérangeante qui n’a pas encore trouvé de réponse claire : pourquoi autant de jeunes sont-ils impliqués dans ces entreprises terroristes ? On pourrait ajouter : pourquoi des collégiens ou des lycéens répondent-ils, quand on leur demande ce qu’ils pensent des assassinats de Samuel Paty ou de Dominique Bernard, « qu’ils l’avaient bien cherché et n’auraient pas dû faire ce qu’ils ont fait » ? Comme pour Charlie en son temps.

Publier des caricatures du Prophète, les commenter dans le cadre d’un cours, ou enseigner l’histoire dans un lycée de la République constituent donc, pour certains jeunes, des raisons suffisantes pour se faire assassiner. Que s’est-il passé pour que, en une ou deux générations, une partie de la jeunesse ne s’offusque pas davantage de ce genre d’attentat ?

Des sondages ont mis en évidence leur hostilité à des valeurs comme la laïcité, qu’ils jugent liberticide à l’égard de la liberté de culte. Qu’ont-ils donc dans la tête pour croire que la religion est au-dessus de tout et que rien ne doit la contrarier ? Cette génération a-t-elle conscience de ce qu’est réellement une société religieuse ? Cabu dessinait une jeunesse désœuvrée à laquelle il manquait « une bonne guerre » pour la faire sortir de sa torpeur. La formule était ironique, mais quand on observe la servilité de certains ados devant Dieu, on se dit qu’à eux aussi il leur faudrait une bonne guerre, mais, cette fois, de religion.

Une bienveillance naïve
Paradoxalement, les sociétés occidentales, en s’extirpant de l’emprise des religions, les ont rendues abstraites aux yeux des plus jeunes qui s’imaginent que la foi se pratique comme le foot ou les jeux vidéo : une liberté aussi inoffensive que les autres. Cela est d’autant plus curieux que les mêmes se disent victimes d’« écoanxiété », inquiets de la dégradation des équilibres écologiques. Lucides sur ces questions, ils font au contraire preuve d’une naïveté affligeante avec la religion, qu’ils assimilent à une manifestation culturelle banale, démontrant ainsi qu’ils n’y comprennent rien.

Les êtres humains ne commencent à s’inquiéter du dérèglement climatique que lorsque leurs caves sont inondées, leurs toits arrachés et leurs maisons en feu. S’il faut attendre des catastrophes pour se réveiller, faudra-t-il que cette jeunesse soit confrontée dans sa vie et dans sa chair à l’arbitraire religieux pour en saisir enfin la signification exacte ?

Son rapport à Dieu, pétri de bienveillance naïve, semble contrebalancé par un excès de moralisme dont le mouvement woke est l’illustration. Ses exigences morales ne sont plus dirigées contre les dogmes religieux et leurs supposés prophètes, mais contre la liberté d’expression et de création, surtout lorsqu’elle s’exerce sans tabou dans les arts, le cinéma ou la littérature. La créativité est devenue la cible prioritaire de sa morale alors que, dans le même temps, elle a fait du spirituel un sanctuaire qu’il est fatal de profaner.

Surprenant retournement de situation et des valeurs. Dieu et ses thuriféraires sont à nouveau intouchables pendant que les fous du roi, les trublions, les artistes et les créateurs sont suspects d’être au service du diable. Curieuse génération. Combien de catastrophes lui seront nécessaires pour prendre conscience des impasses spirituelles et idéologiques dans lesquelles elle s’est fourvoyée ? Terrorisme, fanatisme, intolérance, moralisme, pudibonderie, est-ce le prix à payer pour que jeunesse se passe ? Et que les autres trépassent ?


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