Riss, directeur de la publication de "Charlie Hebdo". 23 mars 2022
[Les éléments de la revue de presse sont sélectionnés à titre informatif et ne reflètent pas nécessairement la position du Comité Laïcité République.]
"La semaine dernière ont été commémorés deux anniversaires : celui des 60 ans des accords d’Évian, qui mirent fin à la guerre d’Algérie, et celui des 10 ans des attentats de Toulouse et de Montauban, perpétrés par le terroriste islamiste Mohamed Merah. La mémoire des événements marquants du passé est devenue un exercice nouveau dans nos civilisations modernes. L’oubli n’est plus permis. Mais l’oubli de quoi ? Les tragédies qui changèrent la face du monde sont si nombreuses qu’on pourrait en commémorer une chaque jour de l’année. Car notre conception moderne de la politique s’est construite sur un postulat : il ne faut pas recommencer les erreurs du passé. Ce qui implique donc, premièrement : qu’il faille bien connaître ce passé ; deuxièmement : qu’on doive se le remémorer pour ne pas l’oublier. Mais ces deux conditions sont souvent difficiles à respecter. Qui peut se targuer d’être un expert de la guerre d’Algérie ou de la Seconde Guerre mondiale ? Chaque période de l’Histoire possède ses spécialistes, et pour bien en maîtriser juste une seule, une vie entière suffit à peine. Faut-il qu’un peuple soit aussi érudit pour lui éviter de reproduire les erreurs passées ? Pour l’y aider, on a inventé le devoir de mémoire. Le devoir de mémoire ressemble aux devoirs que le maître donne à ses élèves, où on apprend par coeur les tables de multiplication et des récitations sans toujours en comprendre la signification exacte. Les citoyens sont tenus de ne pas oublier une date, mais pas nécessairement d’en connaître la portée, et moins encore la multitude d’événements complexes qui en sont à l’origine. On fait l’effort de se souvenir d’épisodes dramatiques, en croisant les doigts pour que cela suffise à ne plus en voir d’autres survenir.
L’autre phénomène qui illustre la fragilité du devoir de mémoire, c’est de le faire reposer sur le témoignage des rescapés. Il n’y a plus de poilus pour nous décrire la guerre de 14, de moins en moins de vétérans pour nous parler de la Seconde Guerre mondiale, et encore moins de rescapés de la Shoah pour transmettre leur expérience aux jeunes générations. Comment les citoyens du XXIe siècle accéderont-ils à une conscience aiguë de ces événements sans l’aide d’un témoignage oral ? Ils devront apprendre à le faire uniquement grâce aux livres et aux archives audiovisuelles, ce qui n’est déjà pas si mal. Mais qui, demain, lira les livres qu’aujourd’hui on écrit en espérant qu’ils serviront notre mémoire future ?
Lors d’une visite récente dans une classe, je me risquai à demander aux collégiens s’ils savaient ce qu’était l’édit de Nantes. Comment comprendre la laïcité sans connaître les étapes qui, à travers l’histoire de France, ont lentement construit un concept aussi original ? Aucun des élèves n’en avait jamais entendu parler. Le devoir de mémoire ne semble pas aller au-delà des soixante-dix dernières années. Avant, le passé devra se démerder tout seul pour qu’on se souvienne de lui. [...]"
Comité Laïcité République
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