Revue de presse

Riss : "La sincérité, espèce en voie de disparition" (Charlie Hebdo, 8 juin 22)

Riss, directeur de "Charlie Hebdo". 9 juin 2022

[Les éléments de la revue de presse sont sélectionnés à titre informatif et ne reflètent pas nécessairement la position du Comité Laïcité République.]

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"Cette semaine, on va voter. Pour qui  ? Pour quoi  ? L’Assemblée nationale est une institution qui tient encore debout, alors que l’hôpital est au bout du rouleau et que l’Éducation nationale est au bord du précipice. Depuis des années, on vote pour des gens censés défendre l’intérêt général, mais qui, aussitôt élus, gèrent les services publics comme des entreprises cotées en Bourse. L’hôpital public a été livré pieds et poings liés à des managers qui semblent avoir été formés par Amazon, et le résultat est qu’aujourd’hui le personnel compétent s’enfuit et qu’on ferme des services d’urgences. Et les responsables de ces choix sont toujours en place. Et ils nous demandent de voter encore pour eux.

De son côté, l’Éducation nationale en est réduite à recruter des profs comme on embauche des saisonniers pour cueillir les fraises et les pêches. L’école est devenue une friche qu’il faut entretenir un minimum pour éviter que le chiendent ne pousse à la place des salades, des radis et des profs démissionnaires. Récemment, le journal télévisé montrait des files d’attente de candidats, issus de divers milieux professionnels, sans aucune compétence pédagogique, qui postulaient pour devenir profs. On avait l’impression de voir des repris de justice se présentant à un bureau de la Légion étrangère pour y refaire leur vie.

Tout ce qui tenait debout il y a encore quelques années est systématiquement déconstruit, et c’est au tour de l’école de passer à la casserole : n’importe qui peut faire n’importe quoi. Bientôt, à l’hôpital, un chirurgien pourra passer l’aspirateur dans les chambres, et les femmes de ménage pourront brancher des perfusions aux malades. La souplesse et l’adaptabilité qu’on exige des salariés depuis des années sont telles qu’ils ont été transformés en mollusques. L’idéologie libérale nous a sectionné la moelle épinière et a fait de nous des invertébrés, incapables de se tenir droits et de se dresser contre les responsables de ce désastre.

En politique aussi. Oubliant leurs différences idéologiques, les adversaires d’hier s’allient aujourd’hui sans vergogne, dans le seul but de gagner des voix et des sièges. Pour devenir député ou prof, ce que vous avez dans la tête n’a aucune importance, car l’essentiel est votre capacité à vous adapter à l’air du temps. Et l’air du temps est aujourd’hui celui des imposteurs.

Comme l’expliquait Roland Gori [1], l’imposteur est un type qui n’a rien à dire d’original mais qui est suffisamment malin pour observer son environnement et l’imiter afin d’y trouver sa place, comme le ver fait son trou dans une pomme. La politique est devenue le terrain privilégié des imposteurs, où jamais autant de parasites n’avaient prétendu devenir des élus du peuple. On en retrouve dans toutes les familles politiques, et quand vous serez dans l’isoloir, demandez-vous si celui ou celle qui recevra votre suffrage n’est pas l’un d’eux. La culture de l’imposture a envahi tous les recoins de la société, de la finance, de l’économie, mais aussi de secteurs qu’on pensait épargnés, car on n’imaginait pas que des missions sacrées comme la santé ou l’éducation puissent être confiées à des amateurs sans réelles compétences dans des domaines pourtant extrêmement exigeants. Postulants sans aucune formation qu’on incite à devenir professeurs, politiciens renégats candidats à la députation, l’imposture est partout. Où sont passées la sincérité et l’authenticité  ? Ces valeurs sans lesquelles aucune société humaine ne peut durer disparaissent presque aussi vite que les ours blancs et les baleines à bosse. La communication politique, la frénésie des modes et des tendances menacent l’homme sincère d’extinction. Aux citoyens qui voteront dimanche d’avoir les yeux bien ouverts pour déceler les imposteurs qui ont le culot de vouloir entrer à l’Assemblée nationale."

[1La Fabrique des imposteurs, de Roland Gori (éd. Actes Sud).


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