(La Tribune Dimanche, 19 mai 24) 19 mai 2024
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Rima Hassan : la candidate insoumise qui se vit comme une « icône »
La Franco-Palestinienne est devenue le visage le plus visible et surtout le plus clivant de La France insoumise. Son discours ambigu a servi son ascension brutale.
Caroline Vigoureux
À la table du déjeuner, dans un restaurant près de la place de la République, trois Insoumis font face à Rima Hassan : Jean-Luc Mélenchon, la présidente du groupe à l’Assemblée nationale, Mathilde Panot, et le député du Val-d’Oise Paul Vannier, chargé des élections. En cet automne 2023, les questions pleuvent. Les Insoumis la sondent sur la nature de son engagement, elle veut savoir comment ils fonctionnent. Le parti de Jean-Luc Mélenchon a découvert la juriste franco-palestinienne quelques semaines plus tôt, lorsqu’elle était venue animer une conférence à leur université d’été. Les attaques du 7 octobre renforcent à leurs yeux la légitimité de sa présence sur la liste de Manon Aubry pour les européennes du 9 juin.
La trentenaire leur raconte sa vie - du camp de réfugiés en Syrie où elle est née jusqu’à son arrivée en France à Niort à 9 ans, puis sa naturalisation à 18 ans - et son parcours, elle qui a fondé l’Observatoire des camps de réfugiés en 2019 puis, quatre ans plus tard, le collectif Action Palestine France. Sa connaissance aiguë de la question palestinienne impressionne les Insoumis. Ils ont le sentiment d’avoir face à eux une intellectuelle à la pensée bien construite.
« Je m’ennuie sur les plateaux télé »
Entre eux, il y a tout de même une différence majeure sur le conflit au Proche-Orient. Rima Hassan défend depuis toujours l’idée d’un seul État binational, démocratique et laïque quand Jean-Luc Mélenchon plaide pour une solution à deux États. Mais elle les rassure sur sa capacité à faire sienne la défense de cette solution. Les Insoumis proposent alors à Rima Hassan la septième place sur la liste de Manon Aubry : « On ne peut pas faire mieux, les autres femmes avant vous sur la liste sont des députées sortantes. » Le deal est passé.
Savaient-ils, à ce moment-là, qu’elle deviendrait en à peine quelques semaines l’une des figures les plus controversées de la gauche mélenchoniste ? Inconnue il y a six mois, elle est désormais omniprésente dans le débat public. Rima Hassan est de tous les meetings, elle enchaîne les plateaux télé où elle parle d’« apartheid » et de « génocide » en cours à Gaza, revendique le slogan contesté « From the river to the sea », dénonce les relents « colonialistes » d’une partie de la classe politique française. La jeune femme à la longue chevelure noire et aux yeux en amande confie : « Ce qui m’effraie, c’est le niveau du débat public. Je m’ennuie sur les plateaux télé. » Rima Hassan s’ennuie beaucoup car elle apparaît quotidiennement dans les médias.
En nous parlant, elle tweete aussi, presque de manière frénétique. Elle mitraille ses opposants, s’insurge, poste des messages qui laissent la place à toutes les interprétations possibles, comme cette vidéo du drapeau palestinien en train de flotter : « Il était là avant vous, il sera là après vous. » Deux millions de vues et une avalanche d’indignation, entre ceux qui l’accusent d’être antisémite, ceux qui lui reprochent de vouloir rayer Israël de la carte, ceux qui mélangent les attaques racistes et sexistes, et tous ceux-là qui lui permettent de mieux exister. « Je cumule ce qu’une partie de la France déteste. Je suis une femme, racisée, politisée, éduquée, qui ne se laisse pas faire. À force de faire de moi une cible, ils font de moi une icône », conclut-elle avec un brin d’arrogance.
La crise fin avril à Sciences-Po, bloquée à plusieurs reprises par les étudiants propalestiniens, lui donne un incroyable écho médiatique. Si elle plaide pour une action non violente, les mots qu’elle utilise laissent parfois penser le contraire. Le jour d’un blocus au sein de la prestigieuse école, elle appelle au « soulèvement » des universités françaises pour Gaza. Sur Twitter, elle relaie ces vidéos d’étudiants scandant « Rima, Rima, on est avec toi ! » comme pour mieux prouver qu’elle est désormais le nom et le visage de la cause palestinienne en France.
Le 30 avril, Rima Hassan a été auditionnée par la police avec Mathilde Panot pour « apologie du terrorisme » à la suite d’une plainte de l’Organisation juive européenne (OJE). C’est une interview au média en ligne Le Crayon, dans laquelle elle répond « vrai » à la question de savoir si le Hamas menait une action légitime qui a tout fait basculer. L’entretien, auquel la police a eu accès dans son intégralité, a été tronqué, selon Rima Hassan. Elle se dit « fatiguée » à l’idée même d’en parler. Son discours ambivalent - notamment sur le drame ouïgour, qu’elle refuse de qualifier de génocide - questionne aussi beaucoup de monde à gauche. À quoi joue-t-elle ?
Sa notoriété soudaine et toutes les menaces qui accompagnent le discours radical qu’elle porte ont changé sa vie. Elle est partie vivre à Amman, en Jordanie, de novembre à mars. En revenant, elle a dû quitter son domicile de Montreuil et vit désormais chez un proche. Elle a aussi désactivé sa ligne de téléphone portable après que son numéro a été donné dans le canal Telegram d’un groupe d’activistes juifs. En réponse à toutes les attaques, elle porte plainte à tout-va. Ses déplacements provoquent désormais des arrêtés préfectoraux. Ses conférences sur le conflit au Proche-Orient sont interdites les unes après les autres. La version française du prestigieux magazine américain Forbes, qui l’avait classée parmi les 40 femmes d’exception de l’année 2023, a annulé sa soirée de remise de prix le 28 mars « pour des raisons de sécurité ».
« Rage et colère »
Dans les rangs de La France insoumise, on admire la détermination implacable de cette personnalité singulière. « Elle est le prototype de la candidate transversale, elle parle aussi bien aux habitants des quartiers populaires qu’à ceux du 10 e arrondissement », loue Paul Vannier. Manon Aubry, qui semble plutôt bien vivre le fait que la septième de sa liste concentre toute l’attention médiatique, l’a dit à Rima Hassan : « La violence en politique, on ne s’y fait jamais, mais on apprend à transformer cette colère et cette rage en énergie. » Sa rage à elle vient de l’histoire de sa famille « déracinée, arrachée de sa terre natale ». C’est son moteur, mais aussi « une souffrance, la plaie d’une vie », affirme cette fille d’une mère communiste, la seule parmi ses cinq frères et sœurs à être engagée politiquement.
Le 9 juin, la vie de Rima Hassan basculera. Si Manon Aubry recueille 7 % des voix, comme le prédisent les sondages, elle sera élue au Parlement européen. Si la candidate Insoumise obtient un score moindre, elle n’ira pas à Strasbourg. Dans ce cas, Rima Hassan reprendra la rédaction de son prochain livre sur l’exil palestinien et retournera vivre en Jordanie.
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