Revue de presse

M. Bock-Côté : « Islamophobie, un concept à congédier » (Le Figaro, 31 août 19)

Mathieu Bock-Côté, docteur en sociologie, chroniqueur au "Figaro". 2 septembre 2019

[Les articles de la revue de presse sont sélectionnés à titre informatif et ne reflètent pas nécessairement la position du Comité Laïcité République.]

"C’est une étrange querelle qu’a déclenchée malgré lui le philosophe Henri Peña-Ruiz lors de sa participation à l’Université d’été de La France insoumise, où il réaffirmait son droit, dans le cadre d’une conférence, de critiquer toutes les religions. Mais notre monde étant ce qu’il est, une phrase arrachée à son contexte s’est retrouvée sur les médias sociaux. Peña-Ruiz estimait qu’on avait le « droit d’être islamophobe ». Cette sortie a provoqué son lot de réactions indignées chez les belles âmes, sans qu’elles ne cherchent à comprendre ce que le philosophe voulait dire et sans le réinscrire non plus dans son contexte. Le ministre Julien Denormandie s’est lui aussi mêlé de la querelle en affirmant que l’on n’avait « pas le droit d’être islamophobe ».

Il faut moins se mêler de cette dispute que la détricoter en revenant au propos de Peña-Ruiz centré sur l’exigence moderne d’une possible libre discussion de toutes les croyances, quelles qu’elles soient. Aucune religion ne devrait pouvoir se mettre à l’abri de la critique ou expulser ses contradicteurs de la vie publique. Plus encore, dans la mesure où une religion est un système de croyances et d’idées, elle ne saurait obliger ceux qui y sont étrangers à l’aimer ou à la respecter. On devrait pouvoir en faire le procès et la rejeter, comme on peut le faire avec une idéologie. Le dogme des uns ne doit jamais devenir la croyance forcée des autres.

C’est justement avec ce cadre de pensée que rompt le concept d’« islamophobie », qui a pour principale fonction de sanctuariser l’islam et d’assimiler au blasphème sa critique. Certains ont noté le flou qui l’entoure : désigne-t-il la critique de l’islam, de l’islamisme, les considérations critiques sur l’intégration trop souvent ratée des populations musulmanes à la civilisation occidentale ou l’aversion bête et méchante à l’endroit de ces dernières ? Dans les faits, ces définitions s’entremêlent et créent un climat d’autocensure qui rend le débat public de plus en plus étouffant. De peur de se faire accuser d’« islamophobie », ils sont nombreux à s’interdire de parler de l’islam sauf pour l’encenser et en faire une religion d’amour fécondant pour le mieux les sociétés qu’elle pénètre. Comment voir dans de telles déclarations autre chose que des gestes de soumission ?

Que les islamistes fassent la promotion du concept d’« islamophobie » ne surprend pas. Il leur permet d’assimiler les propos de leurs adversaires à autant de discours haineux qu’il faudrait combattre au nom de la promotion du vivre-ensemble. On le sait : l’islamisme a trouvé moyen de formuler la plupart de ses revendications dans le langage de la diversité. Cela lui permet de progresser dans l’espace public en neutralisant psychologiquement ses adversaires. Par exemple, il veut faire croire que le voile n’est qu’une manifestation de piété personnelle alors qu’il s’agit d’un étendard communautariste visant à donner à l’islam une visibilité maximale dans l’espace public tout en communautarisant celles qui s’en réclament. L’islamisme est ainsi parvenu à convaincre une partie importante de nos élites qu’elles trahiraient la démocratie si elles ne se soumettaient pas à ses exigences.

Quand des hommes politiques reprennent le concept d’« islamophobie » en croyant par-là se ranger sous le drapeau de la société inclusive, ils mettent en fait le genou à terre et cèdent à l’intimidation idéologique. D’ailleurs, il faut relativiser considérablement l’idée d’une allergie occidentale à l’islam. Philippe d’Iribarne, dans Islamophobie. Intoxication idéologique (Albin Michel, 2019), a bien montré comment nos sociétés tolèrent sans problème l’islam comme spiritualité. C’est lorsqu’il s’accompagne de mœurs contradictoires avec notre civilisation qu’il suscite une vive réaction, et plus encore lorsqu’il cherche à les imposer. On ne saurait faire vivre ensemble des hommes absolument dissemblables sur le plan des mœurs sans entraîner des tensions sociales et identitaires. Les bouleversements entraînés un peu partout par l’immigration massive le confirment.

Retenons néanmoins une chose : la progression chez les élites occidentales du concept d’« islamophobie » est symptomatique de leur déstructuration intellectuelle. Qu’elles ne soient pas capables de décoder sa signification révèle à quel point elles ne comprennent pas la menace islamiste. Elles se disqualifient moralement lorsque, en plus, elles se retournent contre leur peuple en l’accusant de racisme alors qu’il souhaite simplement ne pas devenir étranger chez lui. Il veut conserver sa liberté de critiquer une religion qui ne confirmera sa compatibilité avec le monde qu’une fois qu’elle aura accepté qu’on puisse la remettre en question fondamentalement. Et cela, de manière irrévérencieuse s’il le faut, sans risquer sa réputation ou sa peau."

Lire Mathieu Bock-Côté : « L’islamophobie, un concept à congédier ».



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