Anne-Marie Le Pourhiet, professeur de droit public. 4 septembre 2019
[Les articles de la revue de presse sont sélectionnés à titre informatif et ne reflètent pas nécessairement la position du Comité Laïcité République.]
"À l’occasion de l’ouverture du « Grenelle des violences conjugales », le mot « féminicide » s’impose dans les médias et certaines associations veulent le consacrer dans la loi. Or ce terme heurte la conception française du droit pénal et son inspiration est d’ordre idéologique, répond le professeur de droit public Anne-Marie Le Pourhiet.
FIGAROVOX.- Le mot « féminicide » n’apparaît nulle part dans le Code pénal, mais fait partout la Une des journaux. Le droit doit-il l’adopter pour désigner le meurtre d’une femme victime de violences conjugales ?
Anne-Marie LE POURHIET.- Ce mot est employé par des associations féministes, qui prétendent désigner ainsi le meurtre d’une femme tuée « parce qu’elle est une femme ». Mais pourquoi ferait-on une distinction juridique selon le sexe de la victime ? On ne voit pas l’intérêt de créer un mot particulier, d’autant que la liste serait sans fin : il faudrait ensuite parler de « noiricide », d’« homocide », d’ « handicide » de « transcide ». L’universalisme républicain et le principe constitutionnel d’égalité devant la loi interdit de punir davantage le coupable selon la catégorie à laquelle appartient la victime : « La loi doit être la même pour tous, soit qu’elle protège, soit qu’elle punisse » dit la Déclaration de 1789. Il faut cesser de communautariser le droit pénal.
Si des femmes meurent sous les coups de leur conjoint ou de leur compagnon, elles ne sont pas tuées en tant que femmes mais parce qu’elles sont les compagnes de l’auteur et partagent (ou ont partagé) leur vie. Le meurtre n’est pas tant commis en raison du sexe de la victime mais dans le cadre du lien conjugal qui l’unit au meurtrier.
Or le meurtre du conjoint est déjà un crime plus gravement puni qu’un simple homicide, le terme « féminicide » n’ajoute rien. Il existe déjà dans le Code pénal toute une série de dispositions aggravant les peines pour les homicides commis sur parents, enfants et conjoints (y compris les coups et blessures ayant entraîné la mort sans intention de la donner) !
Les associations répondent que ce terme permet de dénoncer le nombre important de femmes qui meurent des suites de violences conjugales, et de pousser les pouvoirs publics à agir pour pallier ces drames.
Le mot « féminicide » a l’inconvénient de réunir sous une seule et même catégorie des situations qui n’ont rien à voir entre elles, et donc de simplifier outrancièrement la réalité. On met tout dans le même sac ! Le cas des violences régulières qui peuvent entraîner un jour la mort du conjoint (comme le cas de Marie Trintignant victime de « coups et blessures ayant entraîné la mort sans intention de la donner ») n’a rien à voir avec certaines tragédies familiales isolées où, dans un accès de désespoir ou de folie imprévisible, un mari qui n’a jamais levé la main sur quiconque auparavant, tue sa femme et parfois ses enfants avec une arme à feu avant de la retourner contre lui-même.
Le premier cas relève de la violence chronique de l’homme immature qui a souvent manqué de père pour marquer les limites mais que l’on peut tenter de prévenir ; le second échappe le plus souvent, comme le suicide, à toute prévention. Ce sont les psychiatres et neurologues qui ont compétence pour se pencher sur ces questions.
Mais le point commun entre chacun de ces crimes, c’est pourtant qu’il s’agit de la femme qui est tuée, pas du mari…
Bien sûr, mais il n’y a là rien de nouveau, et le dire ne fait qu’enfoncer des portes ouvertes. La violence physique dans les couples est infiniment plus souvent le fait des hommes, et ce depuis la nuit des temps, pour des raisons physiologiques et anatomiques évidentes. Là encore, inventer un nouveau mot ne va pas nous faire découvrir une réalité que l’on connaît depuis toujours ! Il n’en demeure pas moins que la violence féminine au sein du couple existe aussi mais davantage sous forme psychique et verbale.
Pour lutter contre la violence physique chronique des conjoints, il faut s’en remettre à la psychiatrie et à l’éducation plutôt que d’inventer des concepts juridiques purement idéologiques. Car le mot « féminicide » vise surtout, en réalité, à stigmatiser la masculinité jugée « toxique » par les militantes."
Lire "Le Pourhiet : « Le terme de ‘’féminicide’’ contrevient à l’universalisme du droit français »".
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