(collectif, Le Figaro, 3 déc. 24) 6 décembre 2024
[Les éléments de la Revue de presse sont sélectionnés à titre informatif et ne reflètent pas nécessairement la position du Comité Laïcité République.]
Notre-Dame de Paris : rendre payant l’accès serait une rupture des équilibres institués par la loi de 1905
TRIBUNE - Dans une tribune collective, 20 sénateurs de tous bords politiques*, dont Loïc Hervé, Yannick Jadot et Ian Brossat, s’opposent à l’idée de créer un circuit de visite payant à Notre-Dame de Paris, comme le préconise la ministre de la Culture.
Le 7 décembre prochain, la nef de la cathédrale de Notre-Dame de Paris sera de nouveau ouverte au monde après un chantier exceptionnel de cinq ans qui a mobilisé tous les savoir-faire de la restauration et grâce à une collecte à laquelle ont participé plus de 200 000 donateurs et 150 pays. Cet élan de générosité et l’intérêt planétaire pour ce chantier de reconstruction nous honorent et nous obligent, car ils établissent définitivement la cathédrale au sein du patrimoine commun de l’humanité.
Notre responsabilité est grande et il nous appartient pour le futur d’entretenir ce bâtiment, de l’animer et de le rendre accessible en pleine conscience de sa dimension patrimoniale universelle. Néanmoins, il demeure un lieu de culte. Historiquement, son architecture et son organisation interne ne se comprennent qu’en relation avec la liturgie qu’il accueille. En droit, depuis la loi du 2 novembre 1789 qui met à la disposition de la nation les biens du clergé et les lois de 1905 et 1907 qui affectent à l’usage exclusif du culte les édifices du culte, seul le clergé affectataire peut autoriser d’autres activités dans l’espace religieux qu’il gouverne.
Sous la conduite de Monseigneur Olivier Ribadeau Dumas, recteur-archiprêtre de Notre-Dame de Paris, l’espace liturgique de la nef de la cathédrale et de ses chapelles a été totalement repensé pour offrir à tous les visiteurs un parcours qui les mènera du narthex et sa cuve baptismale à la chapelle axiale et sa relique de la couronne d’épines du Christ en passant par les chapelles latérales et l’évocation des sept saints de Paris. C’est donc tout l’espace interne du bâtiment, magnifiquement restauré et dépouillé de ses aménagements liturgiques tombés en désuétude, qui est consacré au culte dans une démarche pédagogique qui s’adresse à la fois aux fidèles et aux non-croyants.
Nous sommes donc surpris et inquiets d’apprendre que la ministre de la Culture souhaite organiser dans la cathédrale un circuit de visite payant. Certes, nous avons bien compris son intention de profiter de son nouvel attrait pour apporter au Centre des monuments nationaux, qui gère déjà l’accès aux tours, une nouvelle source de recettes. Nous sommes en revanche plus dubitatifs sur la possibilité de financer de façon significative la rénovation des églises rurales avec ces revenus. Les besoins humains et budgétaires pour restaurer et entretenir ces édifices sont sans commune mesure avec les éventuelles recettes d’une billetterie.
Plus fondamentalement, nous ne comprenons pas comment il serait possible de distinguer les « visiteurs culturels » des visiteurs cultuels, sauf à constituer à l’intérieur de la nef un espace payant distinct, ce qui contrarierait le programme d’homogénéisation liturgique de l’espace élaboré par le clergé. De la même façon, il n’est pas plus envisageable, comme cela se fait à l’étranger, d’organiser cet accès payant en dehors des périodes des offices, car cela serait attentatoire à la liberté de culte qui ne peut être limitée dans le temps.
Le diocèse de Paris a rappelé sa ferme volonté d’accueillir dans la cathédrale « de façon inconditionnelle et donc nécessairement gratuite tout homme et toute femme, indépendamment de sa religion ou de sa croyance, de ses opinions et de ses moyens financiers ». C’est une exigence morale qui doit être respectée, car les lois de séparation des Églises et de l’État ne donnent aux propriétaires publics d’un édifice cultuel aucun droit d’usage. Rien ne peut se faire sans l’accord de l’affectataire. C’est une nécessité politique, parce qu’il serait inconvenant de mettre à contribution des personnes qui ont participé, à divers titres, à sa restauration. Ce serait enfin une rupture fâcheuse des équilibres fragiles institués par la loi de 1905 qui permettrait à l’État de contourner ailleurs, dans d’autres cathédrales, le principe d’autonomie des cultes dans la gestion des édifices religieux mis à leur disposition.
Signataires : Jérémy Bacchi, sénateur des Bouches-du-Rhône ; Jean-Baptiste Blanc, sénateur du Vaucluse ; Ian Brossat, sénateur de Paris ; Colombe Brossel, sénatrice de Paris ; Emmanuel Capus, sénateur de Maine-et-Loire ; Pierre Cuypers, sénateur de Seine-et-Marne ; Brigitte Devésa, sénatrice des Bouches-du-Rhône ; Rémi Féraud, sénateur de Paris ; Marie-Pierre de la Gontrie, sénatrice de Paris ; Dominique de Legge, sénateur d’Ille-et-Vilaine ; Antoinette Guhl, sénatrice de Paris ; Ludovic Haye, sénateur du Haut-Rhin ; Loïc Hervé, vice-président du Sénat ; Christine Herzog, sénatrice de la Moselle ; Yannick Jadot, sénateur de Paris ; Gisèle Jourda, sénatrice de l’Aude ; Marie Mercier, sénatrice de la Saône-et-Loire ; Pierre Ouzoulias, vice-président du Sénat ; Anne Souyris, sénatrice de Paris ; Jean-Marie Vanlerenberghe, sénateur du Pas-de-Calais.
Comité Laïcité République
Maison des associations, 54 rue Pigalle, 75009 Paris
Voir les mentions légales