27 mars 2021
[Les éléments de la revue de presse sont sélectionnés à titre informatif et ne reflètent pas nécessairement la position du Comité Laïcité République.]
"[...] On se magnifie soi-même en célébrant les grands hommes et notre pays déprimé en a bien besoin. [...]
N’imputons pas cette passion commémorative à un gouvernement dans une passe difficile. Sans doute le quinquennat actuel est-il plus adonné à la fièvre mémorielle que ses prédécesseurs, pour des raisons qui vont de soi. Le « macronisme » était au départ une ambition, non une pensée. Un coup d’audace, précédé d’aucun héritage ni testament. Une fois arrivé aux affaires, force est bien, puisque nous sommes en France, où les idées gardent un peu de lustre, de se forger une doctrine – un devoir de bricolage ingrat pour des managers et des DRH rassemblés au petit hasard. À quoi bon se torturer les méninges avec des colloques, des think tanks et des week-ends de réflexion. Il y a des anniversaires, des Commissions et des Missions idoines et des normaliens sachant écrire. « Nous n’avons plus prise sur grand-chose, l’époque est fade et l’horizon bien triste, mais il y a des centenaires, des cinquantenaires et des dixièmaires. Le passé sera notre pensée. Nous ne réfléchirons pas, nous nous souviendrons. Nous ne chercherons pas des idées, nous ferons des images. Et puisqu’un populo inculte nous cherche noise, nous irons dans les sépultures ressusciter de grands hommes, nous ferons donner les grandes orgues et ce sera chapeau bas pour tout le monde ». Laissons l’anecdote aux profs de Sciences Po et tournons-nous vers un phénomène de civilisation, qui va profond et vient de loin. [...]
On n’a jamais tant parlé « identité » que depuis qu’elle s’en va morceaux par morceaux. Le gaullisme est mort, De Gaulle au pinacle. Ce que tu ne pratiques plus, tu te dois de l’afficher.
On retrouve un basculement du même genre dans le champ littéraire, avec le passage du graphique au biographique. La diminution signalée du taux et du temps de lecture, ainsi que de la quasi-disparition des « grands lecteurs », ne signifie nullement une éclipse des auteurs mais bien au contraire la mise en valeur de leur personne intime. L’attention se déporte de l’œuvre vers l’ouvrier, ses amours et ses vices, sa canne et son chapeau. La critique littéraire a perdu sa place dans les journaux, comme dans les hiérarchies éditoriales, mais biographies, correspondances privées et journaux intimes ont le vent en poupe comme jamais. Venise ne fabrique plus de gondoles dans ses arsenaux mais vend du gondolier sur ses dépliants.
L’éditeur fabrique des livres mais, pour les écouler, doit vendre des auteurs (fonction stratégique de l’attachée de presse). Qui lit encore Le nœud de vipères ou Thérèse Desqueyroux ? La question centrale, c’est Mauriac, homosexuel et jusqu’où ? Qui lit encore la Psychologie de l’art ? La question, c’est Malraux, mythomane ou menteur ? Et de quand date exactement son entrée dans la Résistance ? Morand, dégueulasse et nauséabond, où mettre la barre ? Montherlant, combien de pissotières et de trucages ? Et tant pis pour les créateurs qui n’ont rien de très intéressant à mettre sous la dent d’un biographe – un Julien Gracq ou un Blanchot. Personne ne lit sérieusement les livres de BHL mais qui ne connaît sa chemise blanche ? Ce fut le génie prémonitoire des « nouveaux philosophes » que de saisir le crucial, en vidéosphère, des signatures visuelles. Après l’estomac, la littérature au faciès. C’est l’interview, non l’opus, qui fait foi désormais. Comme pour le politique en fonction, le livre d’un écrivain devient le ticket d’entrée donnant accès aux studios et plateaux, aux indiscrétions de presse et aux supermarchés. La France n’est plus la nation littéraire qu’elle était mais reste la seule peut-être en Occident où un littérateur peut accéder au statut d’un people à part entière.
Autre effet jogging : le président chaman. [...]"
Lire ""Le vieux, le neuf et le Panthéon", par Régis Debray".
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