2 décembre 2023
[Les éléments de la Revue de presse sont sélectionnés à titre informatif et ne reflètent pas nécessairement la position du Comité Laïcité République.]
"Des associations reprochent à certains groupes le maintien des civilités « Monsieur » et « Madame » sur les formulaires. La Cour de justice de l’Union européenne doit trancher.
Lire "Anne de Guigné : « RATP, SNCF... Le sexe neutre divise les entreprises »".
Les associations qui demandent l’institutionnalisation d’un sexe neutre en France auront-elles cette fois-ci gain de cause ? Saisie de ce sujet inflammable, la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) tranchera courant 2024. Les juristes spécialistes de ces questions identitaires affichent la plus grande prudence quant à l’issue de l’affaire. Ces dernières années, les juges, que ce soit de la Cour de cassation (arrêt de 2017) ou de la Cour européenne des droits de l’homme (arrêt de 2023), ont tous conforté la vision de l’État français d’une répartition binaire de la population en fonction du sexe.
Le débat s’intensifie. La Commission européenne a d’ailleurs rendu, dans le cadre de cette procédure au long cours, il y a quelques jours, un avis défavorable à la Commission nationale de l’informatique et des libertés (Cnil) française, qui avait défendu le maintien des civilités « Monsieur » et « Madame » sur les formulaires de la SNCF. L’affaire remonte à 2021 et à la plainte, devant la Cnil, des associations STOP Homophobie, Mousse et de 64 usagers. Ces derniers reprochaient à SNCF Connect de discriminer les personnes ne se reconnaissant dans aucune des deux options proposées par le groupe.
La Cnil n’ayant pas donné de suites favorables, ils ont saisi le Conseil d’État sous l’angle du respect du règlement général sur la protection des données (RGPD). Selon les requérants, la demande d’identification de SNCF Connect serait illicite au regard des principes de minimisation de la collecte des données du RGPD. L’entreprise devrait supprimer cette demande ou a minima proposer une ou plusieurs cases supplémentaires, telles que « neutre » ou « autres ». Le Conseil d’État a renvoyé le dossier à la CJUE pour qu’elle précise son interprétation du RGPD.
Les conséquences de cette histoire de civilité sont moins anodines qu’il n’y paraît. « La société française n’est pas mûre pour un tel changement, plaide Jean-Jacques Gatineau, avocat au Conseil d´État et défenseur de la SNCF dans cette affaire. Il serait grave de se faire imposer cette évolution culturelle de façon extralégale. »
La France et l’Allemagne, deux cultures distinctes
Confrontée à des pressions identiques, la RATP a toutefois franchi le Rubicon. Depuis l’été 2022 (soit avant l’arrivée de Jean Castex à la tête du groupe), les utilisateurs de l’application du réseau ont le choix de s’identifier comme « Mme », « M. » ou « Non spécifié » lorsqu’ils achètent leurs titres de transport. Cette troisième option veut satisfaire les personnes qui ne souhaitent pas communiquer leur sexe, qui ne se reconnaissent dans aucune des deux premières catégories et les étrangers issus d’États où le sexe neutre est établi.
L’établissement public espère s’éviter ainsi des mauvais procès. Si elle influence la décision de la CJUE, sa stratégie pèsera toutefois lourd pour l’État français, qui se verrait dans l’obligation de modifier tous ses documents portant mention d’un état civil. Au-delà du coût économique, une telle décision heurterait la définition de l’universalisme français. « Il est légitime d’accorder à toutes les minorités un accès effectif aux droits mais pas d’accorder des droits spécifiques fondés sur des critères identitaires », avance encore Jean-Jacques Gatineau.
Derrière cette bataille autour du sexe neutre, se joue le traitement juridique de la différence entre les personnes. Sur cette question, la France et l’Allemagne, qui a légalisé dès 2018 l’existence d’un « troisième genre », ont développé deux cultures parfaitement distinctes. En France, « l’État n’a pas l’obligation de traiter de manière différente des personnes qui sont dans des situations différentes. Autrement dit, il n’y a pas de “droit à la différence juridique”. En Allemagne, la Cour constitutionnelle impose de traiter ce qui est égal de manière égale et ce qui est différent de manière différente, conformément à son caractère particulier », soulignaient ainsi dans un article récent [1] des juristes, issus des deux côtés du Rhin."
[1] Gerhard Binkert et Yves Struillou, Deux conceptions de l’égalité, dans L’Entreprise au défi de l’égalité et de la diversité, livre collectif du cercle des DRH européens, 2023.
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