Raphaël Doan, agrégé de lettres classiques, ancien élève de l’École normale supérieure et de l’ENA. 6 avril 2021
[Les éléments de la revue de presse sont sélectionnés à titre informatif et ne reflètent pas nécessairement la position du Comité Laïcité République.]
"[...] Comme ce qui s’invente dans les universités aux États-Unis surgit souvent chez nous quelques temps plus tard, il n’est pas inintéressant de chercher les raisons d’une telle manie destructrice.
Les motivations de ces chercheurs activistes ne sont pas toujours d’une parfaite clarté, mais on peut en identifier deux principales.
1) Selon eux, l’étude du monde gréco-romain aurait servi les mauvaises causes : l’imitation de l’Antiquité aurait justifié, à travers les siècles, l’esclavage, la colonisation, le racisme, le fascisme, le nazisme, la « domination blanche », et même récemment les émeutes du Capitole.
2) Plus profondément, les mondes grec et romain eux-mêmes n’auraient rien d’admirable, étant esclavagistes, misogynes et inégalitaires, et ne mériteraient pas plus d’attention, voire moins, que d’autres mondes anciens.
Premier résultat : à force d’expliquer que notre monde n’avait aucun lien de filiation avec les Grecs et les Romains et que ces civilisations n’avaient aucun intérêt particulier, certains chercheurs se sont eux-mêmes plongés dans de véritables crises existentielles. [...]
En pratique, et au-delà des slogans appelant à « tout brûler », en quoi consiste cette entreprise ? D’abord, ses partisans préconisent d’abandonner le mot même de classics ainsi que les départements spécialisés qui y sont consacrés. À les en croire, il ne devrait plus y avoir que des départements d’histoire, de linguistique ou d’archéologie, sans prédominance particulière de la civilisation gréco-romaine. Car c’est là l’autre ambition : briser la suprématie des Grecs et des Romains, pour les remplacer par l’étude d’autres peuples soi-disant « invisibilisés » : Numides, Phéniciens, Carthaginois, Hittites…
Par suite, ces chercheurs se refusent à exiger une bonne connaissance du grec et du latin chez leurs étudiants. Katherine Blouin, professeur associé d’histoire romaine à l’université de Toronto, a appelé à abandonner « l’orthodoxie selon laquelle tous les classicistes devraient avoir une maîtrise de niveau philologique de ces deux langues », jugeant qu’il y avait de la « violence » et de la « cruauté » à attendre des chercheurs en lettres classiques qu’ils connaissent bien le latin et le grec - au motif que la version latine constituerait un « héritage colonial ».
Imagine-t-on dispenser les chercheurs en mathématiques de maîtriser l’algèbre, sous prétexte qu’elle aurait aussi été enseignée dans les écoles coloniales ? Mais peu importe, l’objectif est de marginaliser les langues classiques, éventuellement au profit d’autres langues des mondes antiques, et peu importe si aucune d’entre elles ne compte de littérature aussi riche et abondante que le grec et le latin.
Enfin, le but ultime est de faire de cette discipline un lieu de contestation et d’expression pour les « communautés qui ont été dénigrées par elle dans le passé. » Par exemple, faire des textes anciens un champ de laboratoire pour la « théorie critique de la race » ou pour des « stratégies d’organisation militante ».
En réalité, cela signifie que l’ambition est principalement raciale : « quand les gens pensent aux classics, affirme Padilla, je veux qu’ils pensent à des gens de couleur.” Mais si cela ne fonctionne pas, prévient-il, il faudra supprimer purement et simplement la discipline. « Je me débarrasserais carrément des lettres classiques », affirme Walter Scheidel, autre historien de Stanford, « je ne pense pas qu’elles devraient exister comme champ académique. »
Pour le moment, ces chercheurs militants ne sont pas parvenus à détruire les départements de classics des universités américaines. Mais ils sont devenus très influents dans le contenu des enseignements qui y sont dispensés et des recherches qui y sont menées.
Le mois dernier, l’université de Wake Forest, en Caroline du Nord, a annoncé que tous les étudiants du département seront désormais contraints de suivre un cours appelé « les classiques au-delà de la blanchité », qui portera sur « les préjugés selon lesquels les Grecs et les Romains étaient blancs, la race dans les sociétés gréco-romaines, le rôle des classiques dans les politiques raciales modernes, et les approches non-blanches des lettres classiques. » Petit à petit, l’enseignement du grec, du latin et de l’histoire ancienne dans les universités américaines est donc rabaissé, minimalisé et détourné, au nom d’une pureté morale intransigeante. [...]"
Lire "Raphaël Doan : « Ces historiens de l’Antiquité qui haissent l’Antiquité »".
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