Robert Redeker, philosophe, auteur de "LʼEmprise sportive" (éd. Françoise Bourin). 7 août 2017
"[...] Lʼargent, depuis la crise de 2008, est devenu à son tour un spectacle. Le grand spectacle de lʼargent sʼest mis en scène. Après la politique-spectacle a émergé lʼargent-spectacle. La dernière campagne présidentielle a vu ce spectacle de lʼargent dévorer la politique elle-même, au point dʼéliminer François Fillon. Un partage simpliste entre le bien et le mal traverse le scénario de ce spectacle : le mauvais argent (celui des politiques, des patrons, des hauts fonctionnaires) qui serait illégitime, suscitant la haine, et le bon argent (celui des footballeurs, des stars du show-biz et de la télévision) qui, légitime, engendre lʼadmiration.
Les footballeurs sont-ils des héros ?
Le héros nʼest jamais un mercenaire aux fidélités inconstantes. Il ne se soumet pas à qui le paie le plus, ni à la cause la plus rémunératrice. Bref, tout le contraire dʼun joueur de football.[...]
Ceux qui fustigent la rémunération des grands patrons pardonnent celle des footballeurs…
Parfaitement irrationnel, ce paradoxe est un scandale en lui-même. Ni la raison ni la morale ne peuvent admettre que Neymar gagne 10 fois plus quʼun patron du CAC 40, 20 fois plus quʼun patron de grosse PME créative. Un grand patron, un capitaine dʼindustrie, un dirigeant de PME-TPE, apporte beaucoup plus à lʼhumanité quʼun joueur de football, fût-il aussi excellent que Neymar. Il affronte des tâches et des responsabilités autrement plus complexes et importantes que de marquer un but. Tout aussi scandaleux : un grand savant, un professeur au Collège de France est un miséreux comparé à un joueur de football. Pareille défaite du bon sens corrompt lʼesprit public en dévalorisant les activités économiques et intellectuelles utiles à la dignité de lʼhumanité et en survalorisant les acteurs dʼun simple jeu divertissant.
Quelle place reste-t-il pour le sport ?
Ce nʼest plus le sport qui se sert de la publicité, cʼest la publicité qui se sert du sport. Le naming - remplacer le nom des stades par celui dʼun sponsor - en est une illustration : Nice ne joue plus au Stade du Ray mais à lʼAllianz Riviera, Bordeaux plus au stade Chaban-Delmas mais au stade Matmut Atlantique, et le championnat va devenir Ligue 1 Conforama. Cette tendance arrache les stades à leurs noms de terroir, leur histoire locale, les déracine. Les projette dans lʼunivers hors-sol des noms de marque. Elle vole aux supporteurs leur stade, lʼâme des lieux. Les stades deviennent tout aussi déracinés que les joueurs mercenaires censés y briller. Heureusement, à travers les interstices de cette chape de plomb, comme par éclairs, luit encore le jeu, fulgure encore le talent des joueurs, lumineuses éclaircies procurant du plaisir aux amoureux de ce sport. [...]"
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