Richard Malka, avocat (notamment de "Charlie Hebdo"). Prix national de la Laïcité 2020. 17 mai 2022
[Les éléments de la revue de presse sont sélectionnés à titre informatif et ne reflètent pas nécessairement la position du Comité Laïcité République.]
"« Parler de liberté n’a de sens qu’à condition que ce soit la liberté de dire aux gens ce qu’ils n’ont pas envie d’entendre ». George Orwell est agaçant de pertinence. La liberté n’a aucune utilité, si elle ne permet pas d’emprunter un chemin différent de l’Autre. Mais nous avons décidé du contraire. Il y a un dogme nouveau qui tend à évangéliser le Monde. Il nous vient des Amériques plus encore que d’Arabie : tu n’offenseras ni ne manqueras de respect à l’égard de ton prochain.
Le hic, c’est qu’il faudrait non seulement respecter « son prochain », ce qui est la moindre des choses, mais aussi toutes les absurdités auxquelles il croit, ses idées nauséabondes ou conspirationnistes, voire ses superstitions. À défaut, en lui apportant une trop ferme contradiction, on le blesserait, ce qui mériterait d’être « effacé » de toute vie sociale. Les puissances numériques répandent cette philosophie, miroir de leurs algorithmes qui ne font qu’alimenter ce que nous pensons déjà.
Cette idéologie du respect des idées et des croyances, d’apparence généreuse, est une tueuse sanguinaire. Elle torture la liberté avant de l’achever : dans les salles de spectacles, de théâtre ou de cinéma, dans l’édition, à l’université ou dans les médias... On ne doit plus bousculer les certitudes ancrées dans l’« intimité la plus profonde ». Comme si on ne trouvait que des trésors dans les profondeurs reptiliennes de 7 milliards d’individus.
Il ne faut plus choquer l’Autre sous peine d’excommunication par des militants d’une nouvelle société bienveillante si merveilleuse qu’ils ne tolèrent pas l’expression d’une pensée ou d’un vote contraire à leurs choix. Il en est ainsi dans de prestigieuses écoles de la République. Celles qui préparent les élites de demain.
Au Canada, on brûle des livres et aux États Unis, un professeur risque l’exclusion pour le moindre propos qui ne dégoulinerait pas suffisamment de bons sentiments. Hara kiri à la liberté. On se roule par terre et on casse tout pour éviter d’avoir à écouter ce que l’on n’a pas envie d’entendre. La radicalité s’étend et ne se conjugue pas avec la liberté ; leçon de l’histoire que nous ne retenons jamais.
Cette idéologie du respect a dû être inventé par le docteur Jekyll. Plus on en est adepte, plus Hyde se lâche sur les réseaux sociaux, injuriant, menaçant et cherchant à blesser à tout prix. Le rejet de l’offense est ironique ; il produit de la violence. Au nom du respect des croyances, on ne respecte plus les personnes. L’inverse serait préférable. Les nouveaux adeptes du dogme de la tolérance sont devenus les pires représentants de ce contre quoi ils combattent.
Les démocraties illibérales se moquent bien de ces histoires de respect mais elles sont parvenues à la même conclusion : la pluralité des expressions est un problème. Elle empêche de laver les cerveaux et de faire d’un peuple ce que l’on veut. L’ours de Moscou l’a bien compris.
Ces mouvements telluriques, venus d’ailleurs, assiègent le pays de l’irrévérence et de la controverse. Ils condamnent notre vision universaliste en exaltant les enfermements identitaires, sources d’une susceptibilité exacerbée sans même parler de l’hystérie lié à la critique des religions. Il suffit, pour s’en convaincre, de lire l’hostilité du New York Times, du Guardian, des journaux turcs ou algériens à l’égard des Lumières françaises.
La définition orwellienne de la liberté n’est plus dans l’air du temps mais c’est la seule qui garantit nos libertés, toutes nos libertés et il pourrait en découler une alternative à la tyrannie des sensibilités narcissiques et, peut-être, une respiration exaltante pour l’humanité."
Voir aussi dans la Revue de presse le dossier L’Opinion, 9e anniversaire : La liberté, notre combat (13-14 mai 22) (note du CLR).
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