par Gérard Durand. 23 octobre 2021
[Les échos "Culture" sont publiés à titre informatif et ne reflètent pas nécessairement la position du Comité Laïcité République.]
Richard Malka, Le droit d’emmerder Dieu, Grasset, 96 p., 10 €
Avocat de Charlie Hebdo, Richard Malka écrit toujours ses plaidoiries ; celle du procès des complices du massacre du journal ne fait pas exception. Mais il y a parfois des écarts entre le texte écrit et la plaidoirie, forcément influencée par l’ambiance et les interventions face au tribunal. C’est pourquoi il a décidé de publier, en accord avec l’éditeur Grasset, ce petit ouvrage reprenant son texte original. C’est une chance pour le lecteur.
Ce texte commence par une question, quel sens donner à ce procès ? Richard Malka y répond dès les premières pages. Il ne s’agit pas seulement de juger des hommes pour leur crime, mais de prendre en compte le sens de leur action. Leur action, « c’est l’arme de la peur pour nous faire abandonner un mode de vie construit au fil des siècles ». La question qui vient ensuite est : Comment leur répondre ?
Il faut bien regarder pour comprendre. En Autriche, il n’y a pas de passé colonial, pas de laïcité, c’est un des derniers pays d’Europe disposant d’une législation pénalisant le blasphème. Et pourtant ils sont victimes d’attentats. Dans les pays musulmans, des crimes se multiplient. C’est au Mozambique où cinquante jeunes musulmans sont décapités par une filiale d’Al Kaïda, c’est au Nigéria ou cent personnes, musulmanes, sont ligotées et égorgées par Boko Haram. Alors, que peut-on leur céder, à quoi devons-nous renoncer ? La vérité, c’est qu’ils haïssent tous ceux qui ne pensent pas comme eux et la France plus que les autres car nous sommes l’un des rares pays à porter un autre universalisme que le leur.
Tout renoncement ne peut que les renforcer « A un moment le crocodile munichois devient tellement gros, à force d’être nourri de nos renoncements que ce qui aurait pu être arrêté avec un peu de courage devient un monstre qui menace de nous engloutir. »
L’équipe de Charlie a été massacrée pour avoir publié des caricatures. Richard Malka nous raconte l’histoire de ces caricatures. Leur première publication, une série de dessins anodine, n’a dérangé presque personne. Mais des imams décident de provoquer la colère des musulmans et font un grand tour dans les principales capitales de pays islamisés en présentant un dossier dans lequel ils ont ajouté trois nouveaux desseins obscènes du prophète et d’autre dessins de diverses provenances, comme la fête du cochon de Tulle. Coup réussi, le monde musulman s’enflamme sur la base de cette escroquerie.
L’histoire du blasphème est riche en faits communément admis par les religions et démentis par la science. Dans tous les cas les premières ont réagi avec une grande violence, contre le fait que la terre soit ronde, contre celui qu’elle ne l’est pas tout à fait puisque aplatie aux pôles. Les religions n’admettent pas qu’elles aient pu se tromper. Alors renoncer à les caricaturer c’est renoncer à la plupart de nos valeurs, l’égalité homme femme, la fin de l’homophobie et tant d’autres.
L’histoire de Charlie est tout entière dans ce principe, l’irrévérence, avec Wolinsky puis une poignée d’irréductibles, Cavanna, Choron, Cabu, Topor, Reiser etc. L’histoire est chaotique, formée par ruptures et relances mais toujours marquée par l’irrévérence, par la liberté d’expression, que personne, malgré crises et psychodrames, n’a jamais contesté. Plus qu’un journal c’est une idée. On ne peut pas tuer une idée, même quand l’obscurantisme revient en force avec ses kalachnikovs.
On a parfois reproché aux défenseurs de Charlie de trop parler de religion, mais comment faire autrement quand les meurtres ont été commis aux cris de « Allah Akbar » et « On a vengé le prophète ». On tue au nom d’une religion mais c’est vous qui êtes responsables d’en avoir parlé. Encore la victimisation qui inverse les victimes et les bourreaux c’est énorme, trop gros pour passer. Et pourtant, chez beaucoup, ça passe.
Dans les derniers chapitres de sa plaidoirie, notre auteur parle des religions, de toutes les religions. Toutes se prétendent de paix et d’amour, et pourtant, par ses procès en hérésie le catholicisme a massacré des millions de personnes. Qui a oublié la Saint Barthélémy et ses trente mille assassinats en une seule nuit ? En Algérie, la guerre civile à fait deux cent mille morts, en Syrie plus du double, des musulmans tuent des musulmans pour des motifs pas toujours spirituels. Et pourtant de belles âmes continuent à les défendre. C’est le vice-président de l’Assemblée Nationale, Éric Raoult, qui dépose un projet de loi pour rétablir le délit de blasphème, tous se lamentent : il ne faut pas heurter la sensibilité des croyants. Bien sûr, il suffit pour cela de de renoncer, toujours et encore renoncer, Munich n’a vraiment pas servi de leçon.
Impossible de terminer sans citer les pires perles de cette culture du déni et de la victimisation. Après la publication des caricatures par Charlie, les bien-pensants hurlent à la provocation. Brice Hortefeux, Jean François Copé rejoignent monseigneur Vingt-Trois et Dalil Boubakeur. Pascal Boniface qualifie Charlie de « beauf de gauche » et insiste : « Le pire service à rendre à ce journal serait qu’un acte violent soit commis contre lui… » Le plus ignoble vient des rappeurs mais aussi du monde politique. La députée Danielle Obono déclare qu’elle n’a pas pleurer Charlie et s’indigne de voir ses amis participer à la manifestation de soutien du 11 janvier, quatre jours après l’attentat. Son chef de file, Jean Luc Mélenchon ne s’en émeut pas : pour lui Charlie aurait « un regard raciste qui encourage les débordements. Il facilite l’escalade zemmouriste ». Ne parlons pas de Virginie Despentes et de son admiration pour la virilité des terroristes.
Dans ses derniers mots, Richard Malka rend hommage à Charb, dont les parents sont dans la salle. « il nous inspire, il nous oblige, et dans les moments de doute, quand la lassitude nous gagne, quand on en a assez, quand on a envie de retrouver une vie normale, c’est encore lui qui nous donne du courage ».
A lire et conserver précieusement.
Gérard Durand
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