10 février 2019
[Les articles de la revue de presse sont sélectionnés à titre informatif et ne reflètent pas nécessairement la position du Comité Laïcité République.]
"Comment peut-on être fonctionnaire ? Ils sont trop nombreux, trop coûteux, incompétents, tire-au-flanc, inutiles et, pis encore, pas rentables… A observer le déluge de griefs infligés depuis tant d’années à cette catégorie de la population, on en vient à s’interroger benoîtement, tel Montesquieu découvrant les us et coutumes des Perses : mais comment diable peut-on encore être fonctionnaire ? Comment peut-on continuer à exercer des missions de service public quand on est, depuis si longtemps, l’objet de tant d’acrimonie ? La dénonciation des fonctionnaires, jugés budgétivores et inefficaces, est une ritournelle quasi contemporaine de la naissance de l’Etat moderne.
Elle a repris force et vigueur dans l’Hexagone depuis un peu plus de trente ans, précisément depuis 1986, année où la droite française s’est laissé enivrer par le grand vent libéral anglo-saxon inspiré des expériences reaganienne et thatchérienne. Depuis trois décennies, cette vulgate néolibérale s’est transformée en rouleau compresseur, une pensée unique qui s’impose à tous, à droite comme à gauche.
Elle a gangrené les sociaux-démocrates qui, au pouvoir, ont fini par céder aux mots et arguments de l’adversaire. Le statut de la fonction publique est devenu une insupportable protection garantissant « l’emploi à vie » à l’heure du chômage de masse, l’âge de départ à la retraite de certains régimes spéciaux, un intolérable privilège au regard de l’allongement de l’espérance de vie, et le mode de calcul des pensions, une anomalie incompréhensible. Bref, le progrès est devenu « acquis » social voire, pis encore, « avantage », qu’il convient d’éradiquer au nom d’une certaine idée de la justice. Etrange conception de la justice d’ailleurs qui consiste à aligner par le bas les standards sociaux, en introduisant la précarité du privé dans le secteur public, et par le haut les standards fiscaux, en réduisant l’imposition des privilégiés pour mieux coller à nos concurrents anglo-saxons.
Mais il en va du credo antifonctionnaire comme du dogme de l’Immaculée Conception : cela peut sembler un peu étrange, mais ça ne se discute pas. C’est comme ça parce que… c’est comme ça !
Et le chœur médiatique décline sans faiblir tous ces clichés et idées reçues. Chaque semaine, la plupart de nos confrères fustigent les « assistés » du secteur public et dépeignent les fonctionnaires comme des oisifs qui grèvent nos sacro-saints comptes publics. Ils sont perçus par les élites qui nous gouvernent, et par celles qui chantent leurs louanges, comme des poids morts qui entravent la marche radieuse des « premiers de cordée » vers le « nouveau monde » de la « start-up nation ». Ceux qui contestent la logique purement comptable qui ne vise qu’à réduire les effectifs sont relégués avec dédain au rang de gardiens de dinosaure ou d’embaumeurs de « mammouth ».
Quiconque ose encore défendre les fonctionnaires est caricaturé en « archéo » poussiéreux, apôtre du statu quo, au nom d’une autre fumisterie, elle aussi largement partagée, l’idée fausse selon laquelle l’Etat « n’est pas réformable ». Depuis 1945, il n’est pourtant pas de secteur de la société qui se soit davantage réformé que la fonction publique. Il n’est pas de catégorie socioprofessionnelle qui ait connu davantage de textes de loi modifiant ses conditions de travail, statut, retraite, mode de calcul des rémunérations ou déroulement des carrières que la fonction publique, surtout à mesure que l’on descend vers le bas de l’échelle. Car, tandis que le sommet, énarques et grands corps, se protège et s’arc-boute, le bas, lui, trinque et subit.
Alors, oui, Marianne, seul contre tous, ou presque, ne craint pas de clamer son admiration pour ces fonctionnaires qui sont aujourd’hui les sacrifiés de la République. Il ne s’agit pas de cultiver une nostalgie dépassée ou de prôner un immobilisme stérile, mais de conforter ces enseignants, policiers, pompiers, personnels de santé et autres professionnels du public qui sont nos héros du quotidien.
On prête à François Mitterrand, qui avait une certaine idée de lui-même, une implacable prophétie : « Je suis le dernier des grands présidents. Après moi, il n’y aura plus que des financiers et des comptables… » Est-ce parce qu’Emmanuel Macron est « en même temps » l’un et l’autre qu’il est entré à l’Elysée ? Le chef de l’Etat a eu la sagesse de confesser cette semaine qu’il n’oubliait pas que son élection était le « fruit d’une forme de brutalité de l’histoire ». Pour le prouver, il y a urgence à délaisser, un temps, les « premiers de cordée » qu’il choie depuis son élection pour se préoccuper davantage du sort des premiers de corvée de la fonction publique dont le dévouement fait tenir l’Etat, et le pays."
Comité Laïcité République
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